Keats poème traduit en français

« I had a dove », parfois désignée simplement sous le titre « Song », est un court poème de John Keats (1795-1821), auteur fameux de la seconde génération des Romantiques anglais, proche de Percy Bysshe Shelley. Le poème, daté de 1818, a été publié de façon posthume dans un des volumes des Life, Letters and Literary Remains of John Keats publié par Edward Moxon, également poète.
J’en propose ci-dessous trois traductions personnelles différentes, dont une rimée, ainsi qu’une traduction de Robert Draveux, suivie du poème en anglais et de quelques éléments d’analyse.

Le poème traduit en français

[1ère version. À noter : je privilégie ici une brièveté relative, un rythme assez net, quitte à sacrifier certains adjectifs du texte initial.]

J’avais une colombe

J’avais une colombe et la colombe est morte ;
Je l’ai crue morte de chagrin :
Ô, mais de quel chagrin ? Ses pattes étaient nouées,
Par un cordon de soie tissé de ma main ;
Tendres petites pattes ! pourquoi fallait-il mourir —
Pourquoi me quitter, tendre oiseau ! pourquoi ?
Tu vivais seul dans l’arbre sylvestre,
Pourquoi, mon beau ! ne pas vivre avec moi ?
Je t’embrassais souvent, je te donnais des pois blancs ;
Pourquoi ne pas vivre dans la douceur, tel que dans les arbres verts ?

[2ème version. À noter : je cherche ici, contrairement à la version précédente, à restituer certains termes et tournures, quitte à allonger le vers.]

J’avais une colombe

J’avais une colombe et la tendre colombe mourut ;
Et j’ai pensé qu’elle était morte de langueur :
Ô, de quoi pouvait-elle se languir ? Ses pattes étaient liées,
Par des fils de soie tissés de ma propre main ;
Tendres et rouges petites pattes ! pourquoi fallait-il que tu meures —
Pourquoi devais-tu me quitter, tendre oiseau ! pourquoi ?
Tu vivais seul dans l’arbre forestier,
Pourquoi, mon joli ! ne voulais-tu pas vivre avec moi ?
Je te baisais souvent et te donnais des pois blancs ;
Pourquoi ne pas vivre tout doucement, ainsi que dans les arbres verts ?

[3ème version. À noter : cette version est rimée, selon le schéma du poème anglais, mais sans chercher à imposer de mètre précis ni d’alternance de rimes propres au français.]

J’avais une colombe

J’avais une colombe et la tendre mourut ;
Je l’ai crue morte de chagrin :
Ô, de quoi souffrait-elle ? Ses pattes étaient retenues
Par des fils de soie tissés de ma propre main ;
Tendres, rouges petites pattes ! pourquoi fallait-il mourir —
Pourquoi, mon tendre oiseau ! pourquoi partir ?
Tu vivais seul dans l’arbre forestier,
Pourquoi, mon beau ! ne pas vouloir rester ?
Je t’embrassais souvent, te donnais des pois blancs ;
Pourquoi ne pas vivre avec douceur, tel que dans les arbres verdoyants ?

John Keats poème traduit en français
Portrait de femme à la colombe, peinture de Marie Laurencin, 1932, source : musée d’Orsay.

[La traduction suivante est celle du défunt Robert Draveux, dans l’anthologie bilingue intitulée Seul dans la splendeur, de la collection poésie Points. Il précise en note que le poème a été écrit « probablement en décembre 1918 », et publié en 1848.]

Chanson

J’avais une colombe et la douce colombe est morte,
Et j’ai pensé que c’était de chagrin :
Oh d’où pouvait lui venir ce chagrin? Elle avait les pieds attachés
D’un fil de soie tissé de ma propre main.
Charmants petits pieds rouges ! Pourquoi cette envie de mourir —
Pourquoi te fallait-il m’abandonner, charmant oiseau, pourquoi ?
Tu vivais seul perché dans l’arbre forestier,
Pourquoi, mignonne créature, ne pouvais-tu vivre avec moi ?
Je te donnais des baisers souvent, et aussi des pois blancs ;
Pourquoi ne pas ainsi jouir de la vie, tout comme dans les arbres verts.

Le poème en langue d’origine (anglais) :

I had a dove

I had a dove and the sweet dove died;
And I have thought it died of grieving:
O, what could it grieve for? Its feet were tied,
With a silken thread of my own hand’s weaving;
Sweet little red feet! why should you die —
Why should you leave me, sweet bird! why?
You liv’d alone in the forest-tree,
Why, pretty thing! would you not live with me?
I kiss’d you oft and gave you white peas;
Why not live sweetly, as in the green trees?

Éléments d’analyse

Le poème est composé d’une seule strophe de dix vers, ce qui correspond à la pente naturelle de Keats qui avait des difficultés à composer les poèmes longs qui étaient privilégiés à son époque. Le schéma de rimes est le suivant : A-B-A-B-C-C-D-D-E-E, les rimes croisées ABAB permettant de distinguer un premier quatrain introductif : le locuteur est en deuil d’un oiseau hautement symbolique, la colombe, et réagit à cette mort par l’incrédulité.
Les rimes sont ensuite suivies, mais on peut également distinguer un quatrain central, dominés par une série d’interrogations sans réponse, les deux derniers vers formant alors une conclusion qui synthétise le propos, en quelque sorte, un tel découpage rapprochant le poème d’un sonnet shakespearien (où le dernier vers constitue une chute).
Le thème du deuil conduit naturellement le locuteur à opposer le passé (bonheur fantasmé) et le présent (malheur inexpliqué) : le présent est en fait une période d’incrédulité et de questionnement, le locuteur s’avérant incapable de donner des réponses satisfaisantes. Mais le lecteur, bien sûr, perçoit bien qu’il ne s’agit pas seulement d’un poème de révolte face à la mort (sur ce thème, on pourra lire « N’entre pas docilement dans cette douce nuit » de Dylan Thomas) : la colombe perdue, qu’elle symbolise l’amour ou même l’innocence, subissait une existence de prisonnière. Son existence donc pouvait paraître douce, puisqu’elle était bien traitée, choyée, nourrie, embellie par le fil de soie, mais au détriment de sa liberté, voire de sa nature : d’où l’évocation finale des arbres verts, la suggestion du vol rendu impossible par le fil de soie censé être marque d’amour. L’oiseau et l’amour meurent ainsi par manque de liberté, étouffés par un amour possessif. Le ton élégiaque qui annonce dès le premier vers la sombre réalité de la mort, la série de questions ouvertes, amènent le lecteur à recomposer une narration dont le poème est une chute douloureusement ironique : aux « pourquoi ? », le lecteur ne peut qu’apporter des réponses affligeantes pour le locuteur.
À noter : le titre du roman The Sweet Dove Died de Barbara Pym, publié en 1978, fait référence à ce poème de Keats.

Une traduction du poème au format image :

poème rupture amoureuse