Envoi est un très bref texte de William Somerset Maugham tiré de son recueil de nouvelles The Trembling of a Leaf: Little Stories of the South Sea Islands, daté de 1921 (États-Unis), connu en français sous le titre : L’Archipel aux sirènes (traduction de Marie-Christine Blanchet). Envoi est le texte de fermeture du recueil, son explicit en quelque sorte, et c’est aussi le plus court. Lorsqu’il écrit son recueil, Maugham voyage avec son amant Gerald Haxton dans le sud du Pacifique. Ce n’est pas un simple voyage de plaisance : Maugham est en fait envoyé au Samoa par les services secrets britanniques, qui cherchent à obtenir des informations sur les forces allemandes de la zone. Haxton, plus sociable que Maugham, lui sert d’intermédiaire. L’auteur, qui prétend lui-même n’avoir guère d’imagination, observe et prend des notes. Envoi, par sa brièveté, peut passer pour un poème en prose : il fait de ce point de vue un parallèle avec The Pacific, le premier texte du recueil à lire en français ici, les deux textes offrant au lecteur l’image d’un aller-retour, ou plutôt d’un double départ, où ce sont d’abord les impressions qui sont mises en avant, entre excitation et mélancolie. Je propose ici une traduction personnelle du texte, suivie de quelques notes et du texte original en anglais.
VIII. Envoi (traduction)
Lorsque votre navire quitte Honololu, on suspend des leis à votre cou, des guirlandes de fleurs au doux parfum. Le quai est encombré, l’orchestre joue une mélodie hawaïenne à faire fondre. Les passagers à bord lancent des banderoles à ceux qui se tiennent au-dessous, et le flanc du navire est rendu gai par les minces rubans de papier, rouge et vert, jaune et bleu. Lorsque le navire s’éloigne lentement, les banderoles se déchirent doucement, et c’est comme la rupture de liens humains. Hommes et femmes sont unis un moment par une bande de papier aux couleurs joyeuses, rouge et bleu, vert et jaune, puis la vie les sépare et le papier est mis en pièces, si aisément, d’un petit clac sec. Une heure durant, les fragments poursuivent la coque, puis ils sont emportés par le vent. Les fleurs de vos guirlandes flétrissent et leur fragrance est étouffante. Vous les jetez par-dessus bord.
Notes :
– Honolulu : capitale d’Hawaï, archipel qui constitue le seul état des États-Unis hors du continent nord-américain, situé en Océnanie. Hawaï a commencé à être rattaché aux États-Unis dès 1898. Une autre nouvelle de The Trembling of a Leaf est intitulée Honolulu, dans laquelle le narrateur déclare : « Rien ne m’avait préparé à Honolulu. »
– Leis : le lei est le collier de fleurs caractéristique d’Hawaï, fréquemment offert aux touristes en signe de bienvenue et d’adieu.
VIII. Envoi
WHEN your ship leaves Honolulu they hang leis round your neck, garlands of sweet smelling flowers. The wharf is crowded and the band plays a melting Hawaiian tune. The people on board throw coloured streamers to those standing below, and the side of the ship is gay with the thin lines of paper, red and green and yellow and blue. When the ship moves slowly away the streamers break softly, and it is like the breaking of human ties. Men and women are joined together for a moment by a gaily coloured strip of paper, red and blue and green and yellow, and then life separates them and the paper is sundered, so easily, with a little sharp snap. For an hour the fragments trail down the hull and then they blow away. The flowers of your garlands fade and their scent is oppressive. You throw them overboard.