Gibbet Hill Bram Stoker

La nouvelle Gibbet Hill de Bram Stoker (Gibbet Hill est un nom propre existant bel et bien, qu’on pourrait cependant rendre par Colline au Gibet, Colline du Gibet, Gibet-Sur-Colline…) est publiée dans le supplément de Noël du Daily Express de Dublin, daté du mercredi 17 décembre 1890. Stoker à l’époque vit à Londres et commence déjà à travailler sur son roman célébrissime, Dracula. La nouvelle quant à elle… disparaît. Pendant plus d’un siècle, elle n’est pas listée parmi les œuvres de l’auteur, comme cela a été le cas (et l’est encore !) pour d’autres de ses textes. C’est presque par hasard qu’elle est retrouvée en octobre 2024 dans les archives de la Bibliothèque nationale d’Irlande, par Brian Cleary. Ce dernier est un passionné de Bram Stoker et faisait des recherches à son sujet, sans pour autant chercher une nouvelle oubliée ! Il contacte ensuite Paul Murray, biographe et spécialiste de Stoker, avec qui il met au point une édition anglaise de Gibbet Hill.
Celle-ci est due par ailleurs à la Rotunda Foundation, rattachée au Rotunda Hospital (réputée être la plus ancienne maternité du monde !) pour lequel travaille Brian Cleary. Il est important de préciser que les bénéfices de cette édition sont reversés au Charlotte Stoker Fund, créé pour l’occasion et nommé ainsi d’après la mère de Bram Stoker qui était engagée en faveur de l’éducation des malentendants et des sourds. Ces bénéfices sont par conséquent destinés à la recherche sur la perte d’audition chez les enfants.
Si donc je vous propose ci-après de lire gratuitement une traduction personnelle de Gibbet Hill, suivie d’un commentaire et du texte anglais (Irlande), je vous encourage également à faire un don en suivant ce lien. Les lecteurs curieux peuvent également se renseigner sur la situation de la surdité en France en se rendant sur le site de l’action connaissance formation pour la surdité.

[À noter : la traduction est encore en cours de révision, mais le texte est complet, et le commentaire en cours de construction.]

Gibbet Hill – Bram Stoker

Lorsque je quittai l’auberge de Royal Huts, au sommet de Hind Head, afin de visiter le Devil’s Punchbowl et Gibbet Hill, immortalisés par Turner dans le Liber Studiorium, je longeai une route droite et large — la nouvelle grand-route entre Londres et Portsmouth — et arrivai promptement au bord du Punchbowl, réjoui à la vue de cette beauté. Le brouillard, qui empoissait Londres lorsque je partis en cette matinée de la mi-octobre, s’étirait jusqu’à Haslemere et surplombait les vallées au point que les sommets des collines du Surrey émergeaient de la mer de brumes tels des îles, et, dans la lumière éclatante du soleil qui magnifiait ces hauteurs, s’adoucissait, s’attendrissait toute la vaste étendue de collines, vallons et coteaux déployés entre moi et la côte du sud. La colline s’escarpait de tous côtés hormis le nord-ouest, où la vallée circulaire donnait sur la plaine au-dessous. Tous les coloris estivaux étaient tempérés et atténués ; toute la plénitude des couleurs que le soleil avait magnifiées s’était évanouie dans la flétrissure de l’automne. Le rose et le violet de la callune se changeaient en un brun dont seule une pointe de couleur défraîchie échauffait la teinte. La fougère était d’un orange intense et d’un jaune terne, et la myriade de plantes et de fleurs sauvages avaient revêtu leur parure d’hiver — les teintes de la pourriture. À travers tout ce riche amas de nuances automnales, le genêt, que le gel laissait encore intact, lançait un éclat émeraude. Les buissons verts qui bordaient le ruisseau minuscule qui traversait la vallée semblait d’une vivacité surnaturelle, le vert sombre des pins qui recouvraient le talus à l’ouest et se précipitait dans la vallée paraissait affirmer, de quelque façon positive le droit de la nature à maintenir sa couleur propre en dépit de toute influence. Loin au nord et à l’ouest, au-delà des éperons et des arêtes de la colline, les bois et les vallées, les bosquets, les villages, les collines et les crêtes s’étiraient en une suite infinie ; ce fut après une longue, longue halte que je me détournai, cessant de me désaltérer à la beauté du paysage, mon cœur empli du pouvoir, de la majesté et de l’influence purificatrice dus à la beauté de la nature. « Ici, au moins, me dis-je, l’âme de l’homme s’élève ; et sur ce niveau supérieur de l’ouvrage de la nature, le mal venu de nos cœurs est apaisé. »
Alors que je m’écartais, cependant, je tressaillis, car, comme par ironie du sort, là, près de moi, se dressait un lugubre monument de la cruauté de l’homme et de sa soif de sang — une pierre tombale sur le bas-côté, qui indiquait l’endroit où, un siècle auparavant, un pauvre marin, s’en venant clopin-clopant de Portsmouth, avait été assassiné.
Mais ce n’était pas seulement la pierre qui éveillait l’intérêt ; car auprès d’elle se tenaient trois silhouettes qui auraient retenu l’attention n’importe où. Il ne s’agissait que d’enfants, mais d’un genre qui s’avérait peu communs. Deux étaient des jeunes filles indiennes dont l’âge, considérant le développement plus lent des filles anglaises, devait être treize ans ou quatorze ans ; cependant, étant d’origine orientale, elles étaient probablement bien plus jeunes. Elles étaient debout de part et d’autre de la stèle funéraire, semblant presque des supports héraldiques, puisque chacune, laissant reposer une fine main brune sur une saillie de la pierre, appuyait le visage sur la main tout en me regardant d’un air grave, avec des yeux allongés, sombres, impénétrables. Toutes deux étaient très jolies dans leur genre, et leurs minces silhouettes enfantines étaient drapées de noir, dans quelque étoffe moirée, portée en partie à la mode orientale avec une large ceinture du même tissu à l’entour de la taille, et une sorte d’étoffe sombre enroulée autour de la tête faisant office de couvre-chef. Le troisième membre du groupe était un petit garçon, d’une dizaine d’années, aux cheveux tissés d’or, aux yeux de porcelaine bleue, au sourire engageant sur un visage rose. On pouvait le tenir indifféremment pour un Cupidon ou pour un ange. Il était vêtu d’une tunique foncée, couleur de sang.
Pour quelques instants, je continuai à contempler ce groupe, eux me regardant avec constance, sans le moindre mouvement. Puis je pris la parole, leur adressant quelque remarque à propos de la beauté du paysage. L’une des filles demanda, tapotant la pierre tout en parlant : « Pouvez-vous nous dire quoi que ce soit au sujet de cette pierre, monsieur ? Nous sommes des étrangers.
— Je suis étranger moi-même, mais je crois que nous trouverons quelque chose ici, » répondis-je, comme je m’avançais pour lire l’inscription, qui s’étend des deux côtés de la pierre. Lorsque je lus le mot meurtre, tous trois se regardèrent les uns les autres, puis moi, et ils furent pris d’un frisson et, chose étrange à dire, suivirent le frisson d’un sourire, je pensai qu’ils étaient peut-être effrayés, aussi m’empressé-je d’ajouter : « Mais que cela ne vous alarme pas. Tout cela arriva il y a une centaine d’années, quand la région était très différente de ce qu’elle est à présent. » L’une des filles dit, d’une voix basse, dont le timbres était singulièrement strident : « Je n’espère pas — je ne le crois pas” ; le petit garçon leva les yeux vers moi en riant et s’exclama : « J’imagine que si un meurtre avait lieu maintenant, quelqu’un se retrouverait cloué sur Gibbet Hill !
— Or çà, jeune homme !” fis-je, “Vous savez tout de la question, je vois. Je compte me rendre au sommet de la colline pour voir la Croix commémorative. Voulez-vous venir, et voir où ils mirent le meurtrier ?
— Avec plaisir », dit-il, arborant un air d’une gravité presque surnaturelle, soulevant sa casquette en signe de gratitude envers mon invitation. Les filles s’inclinèrent également, et nous gravîmes ensemble la colline.
Comme nous marchions, je remarquai que le garçon gardait une de ses mains fermement serrée. « Qu’as-tu [donc] là ? » lui demandai-je.
— Ça ! dit-il, ouvrant la main et me montrant un amas plissé de grands vers de terre, qui, rendus soudainement à la liberté, se mirent à tortiller. « J’aime les vers, continua-t-il. Regardez ! ils gigotent, comme ça, et on peut les étirer jusque-là ! », et il fit la preuve de ce dernier fait.
« Pauvres vers ! dis-je. Pourquoi ne pas les laisser aller ? Ils seraient bien mieux, sur le sol.
— J’en ferai rien » fut sa seule réponse, tandis qu’il les renfonçait dans les plis de sa tunique.
Il y avait beaucoup de monde au pied de la croix, lorsque nous eûmes rejoint le sommet de Gibbet Hill, en plus de l’abondance des traces de visiteurs récents, sous la forme de coquilles d’œuf et de morceaux de papier — car la croix est un coin de pique-nique recherché. Parmi les inconnus, ma fantaisie fut surtout captivée par une dame et un gentleman que je surnommai « le couple en lune de miel ». Je devins bientôt si absorbé par la vue magnifique qui s’étalait devant moi — une contrée sauvage où se dressent les cimes des collines, et parsemée de bois verdoyants et de vallées foisonnantes — que j’en oubliai tout à fait mes jeunes compagnons. J’allai au bord de de la colline escarpée, et je m’assis, les yeux tournés vers l’est, et je me perdis dans la beauté du paysage.
À cet instant, je me souvins des mes jeunes compagnons, et je les cherchais du regard ; mais ils avaient totalement disparu : il n’y avait pas trace d’eux où que ce fût dans les parages.
Mon départ de Londres avait eu lieu tôt, et la marche depuis Hazlemere sous le soleil éclatant d’octobre avait été plutôt fatigante, aussi, au bout d’un moment, lorsque j’eus fait le tour du sommet du Head et que j’eus, pour ainsi dire, boxé l’étendue du paysage, pris-je la direction d’un bosquet épais et ombragé, planté de noisetiers et de hêtres surmontés par de grands pins — l’un de ces denses boqueteaux qui grimpent du fond de la vallée, éparpillant des pointes de verdure dentelée le long des versants de la colline. C’était bien là dans sa perfection la plénitude automnale. Les fourrés poussaient avec luxuriance à l’abri du rassemblement des pins. Le marron de leur écorce et le bleuté de la fleuraison de leur feuillage, cependant que l’on scrutait la pénombre des allées les séparant — le doux arôme qu’ils exhalent — le silence engourdissant que ne faisait que souligner le vrombissement des existences vigoureuses qui peuplent la nature par myriades — l’herbe grasse, foisonnante, dont la verdoyance estivale demeurait pour l’instant intacte, dans cette combe — tout invitait au repos. Avec un sentiment béat de contentement, je m’allongeai sur l’herbe, et bientôt perdis le fil de mes pensées et de la conscience dans l’enchevêtrement des branchages au-dessus de moi.
Combien de temps je dormis, je l’ignore ; mais ce dut être un long moment, car je me sentis pleinement revigoré, pour ce qui est de l’entendement, et presque endolori par la crispation des muscles qui survient après une longue période passée dans la même position ; m’enveloppait également cette impression mystérieuse de temps écoulé qui montre aux philosophes que notre pensée est continue sous une forme ou l’autre. Ne se manifestait, en revanche, aucun sens du devoir omis — aucune tension due à une tâche à venir, ce qui en pareil cas ruine l’enchantement du réveil. Je savais qu’un temps largement suffisant était à ma disposition, et que je pouvais méditer, sans contrainte, que je pouvais me délecter à ma grande satisfaction d’un sentiment de liberté, profiter de la fraîcheur et la pureté de l’air en ce merveilleux endroit.
Donc je ne m’agitai pas, mais demeurai allongé, les mains sous la tête, à regarder les branchages, à observer la lutte des lueurs à travers l’entrelacs des frondaisons. Je pensai bien des choses, à la manière semi-rêveuse, qui relève d’un loisir luxueux, et qui est celle d’un homme habituellement affairé. Suivant le fil de pensées et le perdant de nouveau — balançant entre des idées générales et particulières — en tous points accomplissant le plus grand des plaisirs, le laissez-aller intellectuel.
Dans l’air flottait le même vrombissement discret de sons variés qui m’avait tout d’abord bercé jusqu’à m’endormir ; mais d’une manière ou d’une autre, le volume en était plus intense qu’auparavant — plus ample et plaisant à l’oreille, pourvu d’une signification spéciale, comme si non seulement la nature entière s’exprimait, mais que d’entre la myriade des voix il y en avait une plus puissante que les autres. J’écoutai avec un intérêt grandissant, et le son parut prendre une place plus définie parmi les harmonies de la nature. Ce n’était pas qu’elle parut plus retentissante, mais simplement comme si les vibrations s’accumulaient, par vagues qui arrivaient plus vite qu’elles ne pouvaient disparaître.
Peu à peu tous les autres bruits semblèrent s’évanouir, et je n’entendis plus que ce seul son. Il avait l’air de plus en plus proche comme je commençais de le distinguer plus nettement, jusqu’à ce que je parvinsse bientôt à la conclusion que sa source n’était séparé de moi que d’une douzaine de yards. Puis je me mis à pouvoir l’analyser un peu. D’une façon générale, il était pareil à une sorte de mélodie étouffée, celle du râle des genêts — un murmure de crécelle — mais doté de quelque douceur subtile qui prévalait et paraissait d’un attrait presque irrésistible. Je levai bientôt la tête du lit de fougères où je reposai, et cherchai du regard la provenance du son.
Là, à ma grande surprise, dans un ravin exposé, où la lumière tombait à travers une brèche dans les arbres, s’étaient regroupés les enfants que j’avais rencontrés. Les deux filles étaient assises, et entre elles le petit garçon se tenait debout. L’une des filles tenait dans sa main gauche quelque chose qui ressemblait à une flûte de Pan composée de minces roseaux, mais un peu plus plus épais que de la paille de blé. Elle passait dessus, attachée aux doigts de sa main droite, quelque chose qui produisait les notes graves de l’étrange son de crécelle. L’autre fille tenait une coque barrée de cordes qu’elle touchait mollement ; et le garçon maniait une sorte de flûte de roseau qui lançait une note d’une longueur et d’une douceur singulières, mais qui se fondait dans le flot de musique. Puis les filles communièrent en une sorte de mélopée d’une délicatesse étrange, mais très, très ténue. Tous trois me présentaient leur profil. Enfin les filles se levèrent ; tous se mirent à tourner légèrement, et je pouvais voir qu’à l’évidence ils tournaient de façon à former un cercle complet, avec lenteur, comme s’ils cherchaient dans toutes les directions autour d’eux. Alors qu’ils s’apprêtaient à me faire face, je me couchai de nouveau dans les fougères afin de rester hors de leur vue, car cette affaire commencer à me captiver. Je pris soin, cependant, d’épier à travers le feuillage pour ne rien manquer de la scène. Un très bref instant s’écoula avant que mon attention ne fût détournée, et pas de la plus plaisante des façons.
Percevant de l’agitation et un bruissement parmi les feuilles morts près de moi, je regardai alentour, et me dressai presque d’un bond, car il y avait là, tout proche, et s’approchant encore, un grand serpent de l’espèce des serpents-minutes. Il venait droit sur moi et de fait glissa sur mes pieds. Je ne bougeai pas, et il s’en alla, ne prêtant pas plus d’attention à moi que si j’avais été un rondin de bois, puis il ondula en direction du groupe qui se tenait dans la clairière ensoleillée. De toute évidence, il était attiré par la musique étrange, bizarre, et comme il s’agissait de ma première expérience authentique avec des charmeurs de serpent, mon intérêt s’accrut, aussi examinai-je la petite bande plus attentivement qu’auparavant. Ils continuaient leur musique, et le serpent approchait de plus en plus près, jusqu’à s’arrêter aux pieds de l’enfant au cheveux blonds ; alors il se lova, dressa la tête et se mit à siffler. Le garçon baissa le regard, les filles tournèrent les yeux vers lui, mais la musique ne s’arrêta pas un instant ; au contraire, elle s’accéléra quelque peu. Ensuite le serpent s’entortilla autour de la cheville de l’enfant, commença de grimper le long de son corps, s’enroulant tout autour de sa jambe et de sa cuisse, de plus en plus haut, tant et si bien qu’il en vint à ramper sur le bras qui tenait la flute.
Alors, soudainement, la musique cessa. Les deux filles se levèrent, le garçon étendit le bras où s’enroulait le serpent, et la main grande ouverte, paume vers le haut. Le serpent demeura parfaitement immobile, comme s’il était transformé en pierre. Puis les filles se prirent par les mains et firent lentement la ronde autour du garçon, murmurant une mystérieuse psalmodie, d’une voix grave, d’une façon quelque peu identique à la précédente, mais cette fois par un decrescendo, par comparaison avec le crescendo de la première, et en tonalité mineure. Cela dura encore deux ou trois bonnes minutes. Le garçon resta absolument impassible, gardant le bras tendu, ses yeux bleus fixés sur le serpent. Enfin, ce dernier leva légèrement la tête et parut suivre avec elle les mouvements circulaires des filles. Elles poursuivirent leur lente ronde, tournant toujours, les rotations du serpent se faisant de plus en plus prononcées à chaque révolution, jusqu’à tourner bientôt d’une façon énergique autour du bras du garçon, pareille aux successions automatiques d’un feu d’artifice. Peu à peu le mouvement des filles ralentit et celui du serpent s’amoindrit en proportion, au point que, après un bref instant, le mouvement des filles, de même que la musique fredonnée tout bas, qui ne s’était jamais interrompue, cessèrent tout ensemble, et le reptile, masse inerte aussi molle qu’un bout de ficelle, resta à pendre par le travers de la main du garçon. Celui-ci ne bougea jamais, mais les filles se lâchèrent les mains, et l’une d’elle, qui s’était arrêtée juste en face de son compagnon, saisit le serpent par la tête et la queue et sembla l’allonger tout droit. Lorsqu’elle le laissa aller, il gisait sur la main du garçon aussi raide qu’un bout de bois. Il y avait là quelque chose d’inouï qui me remettait en mémoire le souvenir d’un homme que j’avais vu autrefois dans une crise de catalepsie, et dont le corps conservait toute position selon laquelle il était disposé, aussi grotesque, inconfortable ou contraignante fût-elle. Le serpent paraissait être dans un état comparable, et, mû par une curiosité insolite, j’attendis l’étape suivante. Le garçon demeurait, imperturbable, sa main toujours tendue et le reptile reposant au-dessus. Les filles se tenaient debout, un peu en avant et de part et d’autre de lui, de façon à ce que la main grande ouverte fût placée au milieu d’elles.
Ensuite commença entre eux une sorte d’interrogatoire, dans un langage que je présumai être quelque idiome indien, mais que je ne comprenais pas. Les deux voix étaient douces, d’une puissance singulière, pénétrante, pourtant l’une d’elles me parut instinctivement effrayante, quoiqu’il s’agît de la plus douce et tendre des deux. D’une certaine façon — la pensée m’en vint de façon tout à fait spontanée — elle semblait suggérer un meurtre. Du ton et de l’inflexion des voix, je saisis que toutes les paroles étaient formulées sous la forme de questions — une hypothèse bientôt confirmée d’étrange manière, car les réponses furent données par le serpent figé. Lorsque chaque fille à son tour avait pris la parole — à leur ton elles insinuaient du positif puis du négatif — le reptile tournait avec lenteur, comme l’aiguille d’un compas, et pointait la tête vers l’une ou l’autre. La voix la plus douce semblait exprimer le positif, et l’autre le négatif de la requête ; lors de toutes les questions préalables le serpent, après avoir lentement oscillé, resta la tête en direction du négatif. Cela d’abord parut troubler, puis contrarier la solliciteuse positive, sa voix se fit d’une douceur plus mortelle et pénétrante au point que j’en frissonnai. Elle eut l’air ensuite d’enrager de plus en plus, puisque ses yeux se mirent à luire d’un sombre éclat impie, et à la toute fin sa question fusa en un murmure avide, saisissant. En réponse, alors, le serpent tournoya de plus en plus vite, et soudain s’arrêta pour de bon devant l’autre fille.
Celle qui était déçue émit un bruit féroce, bref, cinglant, pareil à l’aboiement d’un chien, tandis qu’un air de malveillance meurtrière recouvrait son visage ; puis il disparut, le laissant aussi serein qu’auparavant. Au même instant la rigidité du reptile s’évanouit, et il resta un moment à pendre, aussi mollement qu’avant, et enfin glissa jusqu’au sol, où il forma un tas immobile, donnant toutes les apparences de la mort. Le garçon sursauta, comme s’il passait du sommeil à l’éveil, et éclata de rire. Les filles se joignirent à lui pour ce rire rauque, et en un instant la clairière, qui avait paru si bizarre, s’emplit de rires, comme les enfants s’enfonçaient dans les replis du bois, se pourchassant les uns les autres jusqu’à se retrouver hors de vue.
Alors je me levai de mon lit de fougère. J’avais du mal à en croire mes yeux, et pensai que j’avais dû dormir et rêvé tout cela. Mais là, devant moi, gisait le serpent mort en apparence, preuve palpable que j’avais assisté à quelque chose de bien réel.
Le soleil était loin à l’ouest lorsque j’eus fini ma flânerie par les sentiers et les bosquets qui s’étendent du côté de Witley, près de Hind Head, et je me retrouvai une fois encore sur Gibbet Hill, à son point le plus élevé.
L’endroit était maintenant désert. Les pique-niqueurs étaient rentrés chez eux ; les calèches tirés par des poneys ou des ânes et les bandes d’écoliers avaient disparu, rien ne restait des visiteurs du jours hormis l’augmentation habituelle de vieux journaux et de coquilles d’œufs brisés. Comme la lumière commençait à peine à décliner et l’air à prendre une teinte plus froide, le sentiment de solitude était plus prononcé que jamais. Mais j’étais venu des tréfonds tourmentés et vrombissants de la ville pour profiter de cette même solitude, dont le luxe était pour moi indicible. Au fond des vallées la brume ténue persistait, d’une blancheur laineuse, dont émergeaient noires et sinistres les cimes des collines. Une ceinture nébuleuse bordait l’horizon entier, au-dessus de quoi s’étirait une mer de jaune soufreux, tachetée ici et là de petits nuages blancs qui, surnageant loin au-dessus du niveau de la colline, captaient les derniers éclats du soleil, obscurci à présent par l’horizon. Une ou deux étoiles commencèrent à scintiller dans le ciel assombri, et une quiétude qui semblait douée de conscience se faufila dans la vallée, remonta jusqu’à l’endroit où j’étais assis.
Puis l’air se rafraîchit, le silence devint sublime. Les étoiles nageaient à travers ciel, qui se teignait maintenant d’un bleu plus sombre, une lumière plus douce descendait sur le paysage. Je demeurai longuement assis, me désaltérant à la beauté merveilleuse dans quoi j’étais immergé. La lassitude de l’esprit et du corps semblait appartenir à un passé indéfini, comme si jamais plus ils n’eussent pu être autre chose qu’un triste souvenir. En pareils instants, un homme paraît presque renaître, chacune de ses facultés étant complètement rétablie. Le dos appuyé contre la grande croix de pierre, je plaçai les mains derrière moi et enlaçai celle-ci, de façon à pouvoir changer de position pour profiter plus pleinement d’un repos luxueux.
Soudain, sans un mot d’avertissement, chaque main fut saisie par derrière et retenue avec force dans une paire de mains, menues et chaudes, si fermes pourtant que je ne pus faire un geste ; au même instant une écharpe ou un châle constitué de quelque tissu léger, laineux, mais épais, recouvrit mon visage et se resserra étroitement depuis l’arrière, maintenant ma tête près de la pierre. Ainsi entravé et bâillonné, je ne pouvais ni bouger ni parler, et faute d’autre choix il me fallait attendre la suite des événements. Ensuite mes mains furent liées par une cordelette enroulée autour des poignées et serrée vigoureusement, au point que j’était immobilisé encore plus fermement qu’auparavant. Je n’entendais aucun son, et tenais pour acquis qu’on me maltraitait de la sorte pour me dépouiller. J’étais seul, bien loin de quiconque, entre les mains d’hommes plus forts que moi ; je me résignai donc autant que possible à la situation — en mon for intérieur, j’étais satisfait de n’avoir sur moi qu’une petite somme d’argent. Au bout d’un moment qui me parut long, mais qui probablement ne dura qu’une poignée de minutes, l’écharpe s’abaissa assez pour me permettre de voir librement, quoique ma bouche fût encore recouverte, m’empêchant de pousser des cris d’alarme.
Pendant quelques instants, je fus bien trop surpris pour formuler ne serait-ce qu’une pensée, tant ce que je vis devant moi était étrange. Au lieu de solides larrons, aux manières vulgaires, à la force grossière, se tenaient les trois enfants qui avaient capté mon attention plus tôt dans la journée. Ils restèrent debout devant moi pendant un bref instant, parfaitement calmes et silencieux, leurs yeux s’avérant les seuls attributs qui exprimaient une quelconque forme de conscience ou d’intérêt. Deux d’entre eux, le garçon et une fille, me firent alors un sourire de supériorité amusée, tandis que l’autre — celle qui, dans la clairière, avait fait preuve de tant de colère — souriait en arborant une haine glaciale qui, attaché comme je l’étais, m’arracha un frisson. Puis cette dernière se rapprocha de moi, les autres demeurant tout à fait calmes, conservant leur sourire de supériorité amusée. Elle tira de son corsage, où il était dissimulé dans les plis de sa robe, un long poignard aiguisé, fin, à double tranchant, mortel en apparence. Elle continua de le brandir devant moi avec une dextérité et une rapidité extraordinaires. La plupart du temps son tranchant affilé entrait véritablement en contact avec ma peau, et j’en tressaillai de douleur. De temps à autre elle agitait la lame vers mes yeux, jusqu’à ce que je pusse en sentir la pointe froide effleurer pour de bon mes prunelles. Puis elle avait l’air de se jeter sur moi, la pointe de l’arme mortelle dirigée vers mon cœur, mais s’arrêtait à l’instant précis où ma dernière semblait être arrivée. Cela se poursuivit un petit moment ; mais aussi court fût-il, il parut infini. Je sentis qu’un frisson glacé, qu’une étrange torpeur s’emparaient de moi ; mon cœur donnait l’impression de se refroidir, de s’affaiblir — plus froid, toujours plus froid — plus faible, toujours plus faible, si bien qu’enfin je perdis conscience.
La dernière chose que je me souviens avoir vu, de mes yeux vus, fut l’éclat du long couteau à lumière des étoiles, comme la jeune fille le maniait d’une façon experte. Le dernier son que j’entendis fut un rire bas qui montait des trois enfants.

*****

La voix dans mes oreilles était ténue, lointaine ; mais elle se fit peu à peu plus forte, les mots prononcés devinrent intelligibles :—
« Debout ! — Réveillez-vous, l’homme ! Vous allez mourir de froid ! »
Froid ! Le mot fit écho en moi, car mon cœur était pris de torpeur, et d’une froidure pareille à celle de la mort. Ma conscience batailla jusqu’à ressurgir, et j’ouvris les yeux.
Il y avait plus bien plus de clarté, à présent, car une lune jaune s’était levée, aussi le terrain était-il inondé de sa lumière. Près de moi se tenaient deux personnes que je reconnus d’abord comme étant « le couple en lune de miel » que j’avais vu plus tôt dans la journée. L’homme était penché sur moi, et me secouait par l’épaule avec vigueur, tandis que la dame se dressait à ses côtés, lançant un regard anxieux, serrant les mains.
« Il n’est pas mort George, n’est-ce pas ? » l’entendis-je demander. La réponse fusa.
« Non ! Dieu merci ! — il a dû s’endormir. C’est miséricorde que tu aies eu l’inspiration de venir contempler le clair de lune depuis cette vue ; il aurait pu mourir de froid. Regarde ! le sol est déjà blanc de givre. Debout, l’homme ! — Debout, et allons-nous en !
— Mon cœur, murmurai-je, car il était de glace, mon cœur ! »
L’homme prit un air plus préoccupé, et dit à sa femme :
« Bella, c’est peut-être grave. Pourrais-tu retourner vite à l’hôtel, et faire envoyer quelqu’un, si nécessaire ? Il se pourrait que son cœur soit atteint.
— Assurément, mon chéri ; faut-il que je parte tout de suite ?
— Attends d’abord une minute. »
Il s’inclina de nouveau sur moi. Le passé me revenait rapidement, je lui demandai :
« Avez-vous vu où que ce soit un groupe d’enfants, deux filles indiennes, et un garçon blond ?
— Oui ! Il y a des heures de ça, alors qu’ils descendaient la route de Londres sur un tricycle. Ils s’esclaffaient, alors nous nous sommes dit qu’ils étaient les enfants les plus beaux et les plus heureux que nous avions jamais vus. Mais, pourquoi donc ?
— Mon cœur ! mon cœur ! » m’écriai-je de nouveau, car s’y trouvait une froidure qui semblait me transir.
L’homme posa la main sur mon cœur, mais l’en retira brusquement en poussant un cri de terreur.
« Qu’y a-t-il, George ? qu’y a-t-il ? » cria presque la dame, parce que son geste était si soudain et inattendu qu’il l’avait véritablement effrayée.
Il eut un mouvement de recul, et elle s’accrocha à son bras, épouvantée, comme un grand serpent-minute se tortillait hors de ma poitrine — tombait par terre — et s’éloignait en glissant sur la pente de la colline, afin de rejoindre le bosquet en contrebas.

lire gratuitement une nouvelle de Bram Stoker en ligne
La Pie sur le Gibet, peinture Pieter Brugel l’Ancien, 1568.

Commentaire

La nouvelle de Stoker joue avec les codes du fantastique et les attentes du lecteur friand de romans gothiques. C’est dans cette perspective que l’auteur s’appuie sur des éléments réels qui facilitent l’identification du lecteur de l’époque, mais qui demandent sans doute quelques informations complémentaires pour le lecteur contemporain. [Les notes qui suivent seront complétées au fur et à mesure].

Un cadre réel

Bram Stoker choisit un lieu bien réel (et pittoresque) comme cadre de sa nouvelle, et il donne assez de précisions pour mériter qu’on s’y attarde, surtout pour le lecteur français qui n’a pas eu l’occasion d’arpenter la campagne anglaise.
L’intrigue se déroule donc dans le Surrey, nom d’un comté très boisé du sud-est de l’Angleterre, proche de Londres, dont le paysage est aussi caractérisé par des collines calcaires (dites North Downs) et des collines verdoyantes (vers l’est).
Devil’s Punchbowl (qu’on pourrait traduire littéralement : bol de punch du diable) est le nom d’un amphithéâtre naturel, aujourd’hui protégé, que bordait autrefois la route entre Londres et Portsmouth, évoquée dans la nouvelle, mais remplacée aujourd’hui, en quelque sorte, par un tunnel.
Devil’s Punchbowl est située à l’est du village d’Hindhead (que Stoker orthographie Hind Head), connu pour être le village situé le plus en hauteur du comté de Surrey. C’est un village suffisamment petit pour être rattaché administrativement à la ville d’Haslemere, également mentionnée par Stoker.
Venons-en donc à Gibbet Hill, nom de l’apex (du sommet le plus haut) de la chaîne de collines qui entoure le Devil’s Punchbowl. Gibbet Hill est la deuxième colline la plus élevée du Surrey, mesurant 272 mètres au-dessus du niveau de la mer, endroit idéal donc pour avoir une vue panoramique des alentours. Il paraît qu’on peut même apercevoir les gratte-ciel de Londres (à 64 km !) par beau temps.
Mais Gibbet Hill est aussi associé à des choses plus sinistres… puisque son nom est dû au fait qu’on y dressa un gibet pour pendre trois meurtriers (voir plus bas). On y trouve également une croix celtique, monument classé, peut-être érigée par le juge William Earle (XIXème siècle), ainsi qu’une pierre tombale…

Gibbet Hill Bram Stoker
The Celtic Cross, Gibbet Hill, Hindhead, Surrey photographie de Peter Trimming, Wikimedia Commons.

Un fait divers authentique

Cette pierre tombale a été érigée sur Gibbet Hill à la suite d’un fait divers sordide, que Stoker évoque rapidement dans sa nouvelle, sans doute parce qu’il était bien connu des lecteurs de l’époque.
Le 24 septembre 1786, un marin se rendant des docks de Portsmouth à ceux de Londres, où il devait embarquer, est assassiné par trois autres marins qu’il a rencontré dans une auberge, la Red Lion Inn du village de Thurlsey (dans le Surrey), et à qui il a payé à boire et à manger.
Le trio suit le marin généreux et le tue sur Hindhead Hill. Ils se font prendre peu après alors qu’ils essayent de vendre ses vêtements dans l’auberge Sun Inn, du petit village de Rake, toujours sur la route qui relie Londres et Portsmouth.
Plus tard, ils sont jugés à Kingston upon Thames et pendus le 7 avril 1787 sur un énorme gibet, conçu pour les pendre tous les trois en même temps. Leurs corps restent ensuite à pourrir en haut de la colline qui prend le nom de Gibbet Hill.
Le marin n’a pas été formellement identifié, mais la croix celtique (ou croix d’Iona) est érigée en 1851 près du lieu où avait été dressé le gibet, semble-t-il pour lutter contre les craintes superstitieuses que le crime avait suscitées.

Gibbet Hill par Turner

Stoker mentionne très tôt dans la nouvelle la référence au peintre Joseph Mallord William Turner, son narrateur souhaitant « visiter le Devil’s Punchbowl et Gibbet Hill, immortalisés par Turner dans le Liber Studiorium« .
Turner se rend à Gibbet Hill en hiver 1807 : le paysage l’inspire suffisamment pour qu’il en tire quelques vers et une estampe, intitulée « Hind Head Hill », et sous-titrée « On the Portsmouth Road », qui montre le gibet au sommet de la colline. Il l’inclut dans sa collection Liber Studorium (« livre des études ») qui témoigne de son intérêt pour le genre de la peinture de paysage. L’estampe ou gravure obtenue est due au procédé dit de manière noire ou mezzotinte. « Hind Head Hill » est la 25ème des 71 estampes publiées dans Liber Studorium, tel que publié en 1811.
Stoker était amateur d’art, fondateur à Dublin d’un club de peinture et de dessin, et il n’est guère surprenant que la référence à un artiste aussi célèbre que Turner (mort en 1851) lui est paru incontournable pour ouvrir sa nouvelle : les lecteurs qui connaissaient l’estampe avaient ainsi déjà une image en tête, toute en nuances de gris.

Bram Stoker Gibbet Hill
Hind Head Hill, gravure et estampe de J. M. W. Turner, 1811.

Gibbet Hill – Bram Stoker

When I left the Royal Huts Inn, on the top of Hind Head, in order to visit the Devil’s Punchbowl and Gibbet Hill, immortalized by Turner in the Liber Studiorium, I passed along a wide straight road—the new high road between London and Portsmouth—and shortly came to the edge of the Punchbowl and [f]easted my eyes on its beauty. The fog, which had been heavy in London when I left on this mid-October morning, extended even to Haslemere and hung in the valleys so that the tops of the Surrey hills rose like islands from the sea of mist, and in the brilliant sunshine which glorified these upper levels softened and mellowed all the wide expanse of hill and dale and down which ranged between me and the Southern coast. The hill gave steeply on all sides save the north-west, where the circular valley opened to the plain below. All the summer tints were chastened and mellowed; all the full colours which the sunshine had glorified had faded into the sere of Autumn. The pink and purple of the heather were changed to a brown with only a suggestion of faded colour to warm its tone. The bracken was of rich amber and faded yellow, and the myriads of grasses and wild flowers had donned their winter garb—the hues of decay. Through all this rich mass of Autumn tints, the broom, untouched as yet by the frost, sent an emerald flash. The green bushes which fringed the tiny stream running through the valley seemed of supernatural vividness, and the dark green of the pines which covered the western slope and ran down into the valley seemed to assert in some positive way the right of nature to maintain her own colour despite all influences. Away to the north and west, past the spurs and shoulders of the hill, the woods and valleys, the copses and villages and hills and ridges ranged in endless succession; and it was after a long, long pause that I turned from drinking in the beauty of the scene with my heart full of the power and majesty and purifying influence of nature’s beauty. “Here at least,” said I to myself, “the soul of man is elevated; and on this higher plane of natures’ handiwork the evil of our hearts is lulled.”
As I turned, however, I started, for, as if by the irony of fate, there, beside me, was a grim memorial of man’s wickedness and lust for blood—a tombstone by the roadside, marking the spot where a century ago a poor seaman trudging on his way from Portsmouth was murdered.
But not the stone only was of interest; for by it were three figures which would have arrested attention anywhere. They were only children, but of types that were not common. Two were young Indian girls of an age which by the slower development of English girlhood would be about some thirteen or fourteen years; being, however, of Eastern birth, they were probably much younger. They stood one on each side of the memorial stone, looking almost like heraldic supporters, as each with a slim brown hand resting on an elbow of the stone, leaned her face on the hand while looking at me gravely with long, dark, fathomless eyes. They were both very pretty of their type, and their slim girlish figures were draped in black of some shimmering material, made in a half Eastern fashion with a wide belt of the stuff round the waist, and some kind of dark material wound around the head and acting as a head gear. The third of the group was a little boy of some ten years old, with hair of spun gold, eyes like blue porcelain, and a winning smile on his rosy face. One might designate him indifferently a Cupid or an angel. He was dressed in a dark blood-coloured tunic.
For a few seconds I stood looking at this group, they regarding me steadfastly without the slightest movement. Then I spoke to them, making some remark about the beauty of the scene. One of the girls said, tapping the stone with her hand as she spoke.
“Can you tell us anything about this stone, Sir? We are strangers[.]”
“I am a stranger here myself, but I think we will find it here,” I answered, as I proceeded to read the inscription, which is on both sides of the stone. When I read of the word murder they all three looked at each other and then at me, and shuddered, and, strange to say, followed the shudder with a smile, I thought they might be frightened, and I hastened to add—“But you need not let this disturb you. It all happened a hundred years ago, when the country was very different from what it is now.” One of the girls said in a low voice, whose tones were peculiarly penetrating.
“I hope not—I trust not;” and the little boy looked up at me with a laugh and said
“I suppose if there were a murder now some one would be stuck up on Gibbet Hill!”
“Hullo! young man,” said I, “You know all about it, I see. I am going up to the hill top to see the Memorial Cross. Will you come and see where they put the murderer?”
“With pleasure.” he said, with an air of almost supernatural gravity, lifting his cap in acknowledgment of my invitation. The girls bowed too, and we all moved up the hill together. As we went I noticed that the boy had one of his hands tightly clenched. “What have you got there?” I asked of him.
“These!” he said, opening his hand and showing me a crumpled mass of great earthworms, wriggling in their sudden freedom. “I love worms,” he went on. “See! they wriggle so, and you can pull them out long!” and he illustrated the latter fact.
“Poor worms!” said I, “Why not let them go? They would much rather be on the ground.”
“Shan’t,” was his only reply, as he shoved them into the folds of his tunic.
There were a lot of persons at the cross when we reached the top of Gibbet Hill, besides abundant evidence of recent visitors in the shape of egg-shells and pieces of newspaper—for the cross is a favourite picnicing spot. Amongst the strangers my fancy was chiefly taken by a lady and gentleman whom I dubbed “the honeymoon couple.” I soon became so absorbed by the lovely view which lay stretched before me—a wilderness of rising hill-tops with green woods and rich valleys—that I quite forgot my young companions. I went to the edge of the steep hill and sat down looking eastwards, and lost myself in the beauty of the scene.
Presently I remembered my young companions, and looked around for them; but they had quite disappeared: there was not a sight of them anywhere around.
My departure from London had been early, and the walk from Hazlemere in the blazing October sun a little fatiguing, so, after a while, when I had been all around the summit of the Head and had, so to speak, boxed the scenic compass, I took my way to a deep shady grove of hazel and beech with tall pines rising over all—one of those dense copses that creep up from the valley, throwing jagged spikes of greenery up the slopes of the hill. Here there was the very perfection of autumn fulness. The undergrowth grew luxuriantly under the shelter of the clustering pines. The brown of the bark and the blueish bloom of the foliage of the pines, as one gazed into the half dim aisles between them—the sweet aromatic odour which they exhaled—the sleepy silence accentuated only by the hum of nature’s myriad vitalities—the soft, rich grass, whose summer greenery stood untouched as yet in this sheltered dell—all invited to repose. With a blissful feeling of content I stretched myself on the grass, and soon lost my thoughts and my consciousness in the interlaced branches above me.
How long I slept I know not; but it must have been a good while, for I felt thoroughly refreshed as to brain, and with that half-aching sense of cramped muscles which comes after a long period of unchanged attitude; and there was over me that mysterious sense of elapsed time which tells philosophers that our thought is continuous in some form or another. There was, however, no sense of duty omitted—no press of coming work, which in such cases destroys the charm of awaking. I knew that there was ample time before me, and that I might muse on, unchecked, that I could revel to my heart’s content in the sense of freedom, and enjoy the freshness and purity of the air in this wonderful spot.
And so I did not stir, but lay on my back with my hands under my head looking up into the branches and watching the gleams of light struggle through the tracery of leaf and branch. I thought of many things, in that luxurious half-dreamy way which belongs to the leisure of an habitually busy man. Taking up a thread of thought and dropping it again—swaying between general and particular ideas—in all ways realizing that greatest of pleasures, intellectual laissez aller.
There was in the air the same faint hum of varied sounds which had at the first lulled me to sleep; but somehow the volume was richer than before—more full and satisfying to the ear, and with a special significance, as if not only all nature was speaking but that there was some one voice amongst the myriad more potent than the rest. I listened with a growing interest, and the sound seemed to take a more definite place amongst nature’s harmonies. It was not as if it grew in loudness, but merely as if the vibrations accumulated, coming in waves more quickly than they could die away.
Gradually all the other noises seemed to die away, and I heard only this one sound. It seemed to be closer and closer as I began to distinguish more clearly, until I shortly came to the conclusion that its source was separated from me by only some score of yards. Then I began to be able to analyse it a little. In general effect it was like a sort of musical muffled corncrake—a corncrake in a whisper—but with some subtle prevailing sweetness which seemed of almost irresistible attraction. Presently I raised my head from amongst the bracken where I lay, and looked whence the sound proceeded.
There, to my surprise, in an open dell where the light fell through a break in the trees were grouped the children whom I had seen. The two girls were seated, and between them the little boy stood up. One of the girls held in her left hand something which looked like a set of pandean pipes made of thin canes but slightly thicker than wheaten straws. Across this she drew something attached to the fingers of the right hand, which made the bass of the strange corncrake sound. The other girl held a shell with strings across it which she touched lightly; and the boy had a sort of reed flute which gave forth a peculiarly long sweet note, but which blended in the mass of music. Then the girls joined in a sort of monotonous chant of strange sweetness but very, very faint. They were all three looking well to one side of me. By and by the girls stood up; they all turned slightly, and I could see that they were evidently turning slowly in a complete circle, as though seeking in every direction around them. As they began to face my direction I sank down again into the bracken so that they might not see me, for the affair began to absorb my interest. I took care, however, to peep through the fronds of the bracken and see all that went on. A very short time elapsed before my attention was diverted, and in not the most pleasant of ways.
Hearing a stir and rustle among the dead leaves beside me I looked round, and almost jumped to my feet, for there close by, and approaching closer, was a large snake of the blindwor[m] specias. It came straight towards me and actually passed over my feet. I did not stir, and it went on, heeding me no more than if I had been a log of wood, and wriggled away towards the group in the sunlit glade. It was evidently attracted by the strange, weird music, and as this was my first actual experience of serpent-charming my interest grew, and I watched the little party more closely than before. They went on with their music, and the snake approached closer and closer; till at the feet of the fair-haired child it stopped, and, curling itself into a spiral, raised its head and began to hiss. The boy looked down, and the girls turned their eyes towards him, but the music did not stop for a moment; on the contrary, it grew something quicker. Then the snake twined itself around the child’s ankle and began to climb its way up his body, wriggling round and round his leg and thigh, and up and up, till at last it crawled along the arm that held the flute.
Then, suddenly, the music stopped. The two girls stood up, and the boy stretched out his arm with the snake wound around it, with his hand stretched out wide open, the palm upwards. The snake remained perfectly still, as if transformed into stone. Then the girls took hands and circled slowly around the boy, uttering a low, whispering, mysterious chant, something the same as the earlier one, but this time in decrescendo as compared with the former crescendo, and in a minor key. This went on for quite two or three minutes. The boy remained perfectly still, with his arm extended, and his blue eyes fixed on the snake. Then the latter raised its head slightly and seemed to follow with it the movements of the circling girls. They continued their slow movement, round and round, the snake’s movements being more and more pronounced with each revolution, till presently it was boldly turning, like the automatic motion of a firework, around the boy’s arm. Gradually the motion of the girls got slower and that of the snake correspondingly less, till, presently, the girls’ movement, and the low crooning music, which had never stopped, died away altogether, and the snake hung, a dead mass as limp as a piece of string, across the boy’s hand. The boy never moved, but the girls let go each others’ hands, and one of them, who had stopped just in front of the boy, took the snake by head and tail and seemed to gently pull it out straight. When she let it go it lay across the boy’s hand as stiff as a piece of wood. There was something uncanny about this which recalled to me recollections of a man whom I had once seen in a cataleptic fit, and whose body retained any position into which it was put, no matter how grotesque or how uncomfortable or strained. The snake seemed to be under some similar condition, and with strange curiosity I awaited the next development. [The] boy continued impassive his hand still stretched out and the snake resting across it. The girls stood a little in front of and on either side of him, so that the outstretched hand was midway betwen them.
Then began some questioning between them in a language which I presumed to be some form of Indian, but which I did not understand. Both voices were sweet, with a peculiar penetrating power, but one of them I seemed instinctively to fear, although it was the sweeter and softer of the two. Somehow—and the idea was quite spontaneous—it seemed to suggest murder. From the tones and inflections of the voices I gathered that all utterances were put in the form of questions—a supposition shortly confirmed in a strange way, for the answers were given by the rigid snake. When each girl in turn had had her say—and they suggested positive and negative in their tones—the snake would slowly turn around like the needle in a compass, and point its head to either one. The sweeter voice seemed to be the positive, and the other the negative in the inquiry; and in all the earlier questions the snake, after turning slowly around, remained with its head towards the negative. This first seemed to disturb and then annoy the positive inquirer, and her voice grew more deadly sweet and penetrating until it made me shudder. Then she seemed to get more and more enraged, for her eyes gleamed with a dark unholy light, and at the last came her question in a keen thrilling whisper. For answer the snake then spun round quicker and quicker, and suddenly came to a dead stop in front of the other girl.
The disappointed one gave one fierce, short, sharp sound like a dog’s bark, whilst a look of deadly malice swept over her face; and then passed away, leaving it as serene as before. At the same instant the rigidity of the snake collapsed, and it hung for an instant as limp as before, and then slipped to the ground, and lay there all in a heap without motion, as if dead. The boy started, as though from sleep to waking, and began to laugh. The girls joined in the cachinnation, and in an instant the glade, which had seemed so weird, grew instinct with laughter, as the children chased each other into the recesses of the wood, and disappeared from view.
Then I rose up from the bracken where I lay I could hardly believe my eyes, and thought tha I must have been sleeping, and have dreamt it all. But there lay the seemingly dead snake before me as a palpable evidence that I had beheld a reality.
The sun was far in the west when I had finished my stroll through the laneways and copses upon the Witley side of Hind Head and found myself once more at its highest point on Gibbet Hill.
The place was now deserted. The picnicers had all gone home; the pony traps and donkeys and parties of school children had disappeared, and nothing remained of the day’s visitation but the usual increase in old newspapers and broken egg shells. As the light was just beginning to fade and the air to grow a shade colder, the sense of lonliness was more than ever marked. But I had come from the midst of the hum and turmoil of the city to enjoy this very loneliness, and its luxury was to me unspeakable. Down in the valleys the mist still lay dim and fleecy white, and from it the hill tops rose dark and grim. A belt of cloud fringed the whole horizon, and above it stretched a sea of sulphur yellow, flecked here and there with little clouds of white which, swimming high above the level of the hill, caught the last splendours of the sun, now obscured by the horizon. One or two stars began to twinkle through the darkening sky, and a stillness that seemed sentient stole up through the valley and reached to where I sat.
Then the air grew colder, and the silence became perfect. The stars swam out into the sky, which had now a darker blue, and a soft light fell on the scene. I sat on and on, and drank in the wondrous beauty in which I was immersed. Weariness of mind and body seemed of the dim past, and as if they could never again be other than a sad memory. In such moments a man seems almost to be born again, and to have every faculty renewed to the full. I leaned with my back against the great stone cross, and, putting my hands behind me, clasped my arms around its back so as to change my position and be able to enjoy more fully the luxury of rest.
Suddenly, without a word of warning, each hand was grasped from behind and held tight in a pair of hands, thin and warm but so strong that I could make no movement; and at the same time a scarf or shawl of some light, fleecy, but thick material was thrown over my face and drawn tightly from behind, holding my head close to the stone. So pinioned and gagged, I could neither move nor speak, and had perforce to await the coming events. Then my hands were tied with a string put around the wrists and drawn tight, so that I was fixed more firmly than before. I could hear no sound, and took it for granted that I was being prepared for robbery. I was alone, far away from everyone and in the hands of men stronger than I was myself, and so resigned myself to the situation as well as I could—secretly thankful that I had only a small sum of money with me. After a time which seemed long, but which was probably of but a few minutes’ duration, the scarf was pulled down so far that my eyes were free, though my mouth was still covered and I was unable to cry out.
For a few moments I was too much surprised even to think as strange what I saw before me. Instead of burly footpads with rude manner and coarse force, there were the three children who had arrested my attention earlier in the day. They stood before me perfectly still and silent for a little while, their eyes being the only features which expressed either consciousness or interest of any kind. Two of them, the boy and one girl, then smiled on me with an amused superiority, whilst the other—she who in the glade had exhibited such anger—smiled with a deadly cold hate which, bound as I was, made me shudder. This latter then approached me closer, the others remaining quite still and looking on with their superior amused smile. She took from her waist, where it was concealed in the folds of her dress, a long sharp dagger, thin, double-edged, and lethal-looking. This she proceeded to flourish before me with extraordinary dexterity and rapidity. Half the time its keen edge actually touched my skin, and the contact made me wince. Anon she would dart towards my eyes till I could feel its cold point actually touching my eyeballs. Then she would as if hurl herself at me with the point of the deadly weapon directed to my heart, but would stop just as it seemed that my last moment had come. This went on for a little while; but short though it was it seemed endless. I felt a cold chill, a strange numbness, growing over me; my heart seemed to get cold and weak—colder, and colder—weaker and weaker, still, till at length my eyes closed. I tried to open them—succeeded; tried again—failed, succeeded—failed—and at length consciousness passed away from me.
The last thing I remember seeing with my waking eyes was the gleam of the long knife in the starlight as it moved in the young girl’s dexterous play. The last sound I heard was a low laugh from all three of the children.

*****

The voice in my ears was dim and distant; but it gradually grew louder, and the spoken words became intelligible:—
“Wake up!—Wake up, man! You will get your death of cold!”
Cold! The word struck home, for there was at my heart a numbness, and a chill as of death. My consciousness struggled back into existence, and I opened my eyes.
It was now much brighter, for a great yellow moon had arisen, and the common was flooded with its light. Beside me were two persons whom at once I recognised as “the honeymoon couple” of earlier in the day. The man was bending over me, and was shaking me roughly by the shoulder, whilst the lady stood by, looking on anxiously, with her hands clasped.
“He is not dead, George, is he?” I heard her say. The answer came.
“No! thank goodness!—he must have fallen asleep. It is a mercy that you had the inspiration to come out to see the moonlight view from here; he might have died of cold. See! the ground is white with the hoar-frost already. Wake up, man!—Wake up, and come away!”
“My heart,” I murmured, “My heart!” for it was icy cold. The man looked more serious, and said to his wife:—
“Bella, this may be serious. Could you run back to the hotel, and send some one if necessary? It may be that his heart is affected.”
“Certainly, dear; shall I go at once?”
“Wait a minute first.” He leant over me again. The past was coming back to me quickly, and I asked him:
“Did you see anywhere some children, two Indian girls, and a fair haired boy?”
“Yes! hours and hours ago, as they went down the London road on a tricycle. They were laughing, and we thought them the prettiest and happiest children we had ever seen. But why?”
“My heart! my heart!” I cried out again, for there was a coldness which seemed to numb me.
The man put his hand over my heart, but quickly tore it away again with a cry of terror.
“What is it, George? what is it?” almost shrieked the lady, for his action was so sudden and unexpected, that it thoroughly frightened her.
He stood back, and she clung frightened to his arm, as a large blindworm wriggled itself out from my bosom—fell on the ground—and glided away down the hill side into the copse below.