bataille des dunes

Bataille des Dunes (1658) : l’ultime duel entre le Grand Condé et Turenne

À quelques kilomètres à l’est de Dunkerque, deux grands généraux français se font face. En cette année 1658, ils sont déjà auréolés d’une gloire infinie. Aussi, ils ont longtemps combattu du même côté : pendant la guerre de trente ans (avant 1648) mais aussi après pendant la guerre de Hollande (1672-1678). La fougue de l’un est renommée, mais aussi son libertinage ! Son adversaire quant à lui est connu pour être un général froid et dénué de pitié.
D’un côté, Henri de La Tour d’Auvergne, dit Turenne. Il est le commandant en chef de l’armée royale française. Près de 15 000 hommes sont à ses côtés dans les dunes de Dunkerque. Certains sont particulièrement étonnants : ce sont des anglais ! Sir William de Lockhart et Sir Edouard Montagu, le 1er comte de Sandwich (ce titre est tellement classe !) mènent leurs troupes et leurs bateaux aux côtés des troupes françaises.
Face à lui, Louis II de Bourbon-Condé, dit le Grand Condé. C’est un « prince du sang », il est un cousin du jeune Louis XIV. Mais aujourd’hui, il est l’un des commandants d’une armée bien particulière ! Certains de ses hommes sont français mais la plupart sont espagnols… Quelques-uns sont anglais (ici aussi ?!) ! Douze ans après la victoire à Dunkerque (en 1646), il suit ses glorieuses traces de fer à cheval pour tenter de retrouver la victoire.

Turenne bataille des dunes
Cette peinture a été réalisée par C-P LARIVIERE en 1837. Elle est glorieusement accrochée dans la galerie des batailles du château de Versailles. Mais qui est donc ce général victorieux ?

En ce 14 juin 1658, une bataille quelque peu ubuesque va se dérouler ! Deux généraux français se font face, mystérieusement, alors qu’ils ont longtemps combattu ensemble… On trouve des Anglais mais aussi des Français des deux côtés. Pire, des Hollandais sont aussi là (du côté de Turenne) mais aussi des Suisses, aux côtés de Condé ! Voilà qui promet…
Du sable… Du sang… Des frites !

Un lourd passé de frondeurs

Grand vainqueur à Rocroi (1643), le Grand Condé prend Dunkerque (1646) et gagne une dernière bataille importante à Lens (1648). Il atteint le firmament de la gloire militaire française. Cependant, il devient progressivement l’un des meneurs d’une rébellion contre le jeune Louis XIV (ce sujet a été traité dans cet article). La France entre en guerre civile (la Fronde) et Condé est l’un des plus farouches opposants à Mazarin [1], qu’il surnomme le « faquin écarlate ».

Grand Condé fronde
Le Grand Condé en 1662. Ne fais pas le sérieux comme ça, grand coquin !

De son côté, Turenne passe pour le fidèle des fidèles de la royauté française. En réalité, lui aussi a été mouillé pendant la guerre civile. Lorsque le Grand Condé est fait prisonnier par Louis XIV le 18 janvier 1650, Turenne entre en guerre contre la couronne de France ! Il réunit des troupes frondeuses et espagnoles mais perd la bataille de Rethel (15 décembre 1650) face aux armées du presque-Roi-Soleil, menées par le maréchal de Choiseul du Plessis. Mazarin doit cependant lâcher du lest et libère Condé le 7 février 1651.

Turenne maréchal de France
Henri de La Tour d’Auvergne est devenu maréchal de France en 1643. Vive le Puy-de-Dôme !

Très vite, les deux frondeurs vont devenir viraux. En effet, Turenne va se réconcilier avec Mazarin qui lui donne directement le commandement de l’armée royale contre celle du Condé. Repassé du côté lumineux, Turenne va enterrer tous les espoirs de son rival en remportant les batailles de Bléneau, du faubourg Saint-Antoine (1652) puis il réoccupe Paris. La révolte nobiliaire est sur le point de tomber même si Bordeaux reste insoumise jusqu’en août 1653.

La campagne de Turenne

Ainsi, c’est en écrasant les armées du Grand Condé que Turenne a su reprendre sa place au soleil. Son ennemi est couvert d’opprobre et de honte et doit piteusement se réfugier en Flandre pour éviter la colère du roi Louis XIV qui a repris totalement le pouvoir en son royaume. Cependant, notre frondeur a la dent dure et espère toujours renverser le pouvoir de Mazarin. Pendant près de dix ans, Condé combat contre les armées du roi de France ! Comment pourrait-il être pardonné un jour !?
Turenne décide de porter le combat en Flandre pour mater définitivement l’Espagne (en guerre contre la France depuis 1635). En août 1654, il continue sur sa lancée en battant une nouvelle fois Condé, cette fois-ci à Arras (1654). Sa série de victoire prend fin à Valenciennes dont il manque la prise tout en perdant des milliers de soldats (juillet 1656) : le Hainaut n’est donc pas encore aux mains des Français.

plan bataille d'Arras
Le « secours d’Arras » est la première grande victoire militaire du Louis XIV majeur. Merci l’Artois ! 

Pour la première fois depuis la guerre de cent ans, la France s’allie à l’Angleterre en 1657. Ainsi, Turenne peut profiter des renforts anglais car la situation se complique de semaine en semaine. Condé occupe désormais Condé-sur-l’Escaut (on peut dire qu’il partait avec un avantage toponymique) et est à deux doigts de faire aussi tomber Saint-Ghislain. Turenne doit remettre les points sur les « i » et marche vers Dunkerque : ce port stratégique est une proie de luxe.

Déroulement de la bataille

20 000 hommes dont 3 000 anglais font donc le siège de Dunkerque. Face à eux, une petite garnison espagnole de 3 000 hommes seulement. Pour forcer le destin, une armée de secours est envoyée à Dunkerque par les Espagnols. Près de 15 000 soldats sont ainsi guidés par Condé et Don Juan José d’Autriche. Parmi eux, 2 000 anglais aussi ! Ce sont les partisans des Stuarts qui n’hésitent pas à changer d’allié du moment que leurs frères ennemis sont en face.
Turenne ne veut pas se laisser dicter ses actions et décide de partir à la rencontre de l’armée de secours ennemie. Près de 15 000 hommes quittent Dunkerque vers l’Est. Tout près de la ville de Leffrinckoucke, les deux armées vont se livrer bataille en plein milieu des dunes. Les troupes espagnoles sont prises de cours et ne peuvent pas profiter du soutien de leur artillerie. À l’inverse, les armées franco-anglaises profitent des navires anglais qui bombardent les positions adverses.

plan bataille des Dunes
Ce plan de la bataille nous permet d’imaginer la dureté de la bataille, qui s’est déroulée dans le sable ! Pauvres chevaux !

Du côté de Turenne, ce sont les piquiers anglais qui se distinguent en éventrant l’armée espagnole : ils n’hésitent pas à charger des dunes fortifiées ! Lorsque la marée est assez basse, le maréchal français profite de l’occasion pour faire donner la charge sur le long de la plage, prenant de revers l’armée espagnole. Ça sent le roussi pour eux et l’armée espagnole part en quenouille…
Entouré de gardes suisses, l’aile gauche de Condé résiste aux assauts ! Il tente le tout pour le tout en effectuant de nombreuses charges de cavalerie, malheureusement infructueuses. Finalement, ces actions de bravoure vont tout de même servir à couvrir la retraite de l’armée espagnole. En deux heures à peine, les pertes sont lourdes avec 1 000 morts et près de 4 000 prisonniers. Du côté français, seulement 400 hommes ne pourront pas profiter de la victoire.

Conséquences de la bataille

Cette défaite cuisante est la défaite de trop pour l’Espagne. Maîtresse de la Belgique, elle voit Bruxelles menacée par la prise de Dunkerque par Turenne. Le 7 novembre 1659, le traité des Pyrénées est signé entre la France et l’Espagne. Celui-ci est très favorable à la France qui obtient des territoires dans le Nord comme le comté d’Artois et de nombreuses places flamandes comme Le Quesnoy ou Thionville… Dans le Sud, le traité confirme la cession de Perpignan (Roussillon).

Louis XIV île des faisans
Pour seller leur nouvelle amitié, les rois de France et d’Espagne se sont serrés la pince sur l‘île des faisans ! Cette dernière est située sur la frontière entre les deux pays, au pays basque.

Cette date de 1659 est souvent citée comme marquant le déclin de la puissance espagnole. À l’inverse, elle marque aussi l’émergence d’une autre puissance européenne : le royaume de France. En 1660, avec la fin de la Première guerre du Nord, l’Europe est entièrement en état de paix mais elle ne va longtemps le rester car un jeune souverain va tenter de se préparer, lui aussi, sa place au soleil. Quinze ans plus tard, le Roi-Soleil est le maître de l’Europe après sa balade militaire en Hollande.
Défait par les armées royales, Condé est directement concerné par le traité des Pyrénées : une des clauses le concerne directement ! Il y obtient le « pardon royal » et peut ainsi rentrer en France. Son statut de « prince de sang » n’a pas dû jouer en sa défaveur… Le 21 avril 1671, toute la cour royale vient faire la fête chez lui, dans le château de Chantilly : la réconciliation avec son cousin Louis est maintenant totale.

Louis XIV Grand Condé bataille des dunes
Condé reçu en grand pompe à Versailles, célèbre lieu de débauche… (c’est peut-être la vraie raison de son retour !)

Épilogues

En 1675, Henri de Turenne prend un boulet en pleine poire à la bataille de Salzbach. Son décès entraîne la déroute de ses hommes mais le général ennemi, Montecuccoli, choisit de ne pas profiter de son avantage pendant deux jours pour commémorer la mémoire d’un si grand général. Son buste est encore présent dans la galerie des batailles du château de Versailles : honneur réservé aux généraux morts sur le champ de bataille.
De son côté, Condé peut ainsi réintégrer l’armée royale et se distinguera encore sur le champ de bataille comme à la bataille de Seneffe en 1674. Cependant, il finit sa vie perclus de rhumatismes et ne peut quasiment plus monter à cheval : c’est un comble pour ce si grand cavalier ! Le 11 décembre 1668, il s’éteint à l’âge de 65 ans. Le grand Bossuet écrit une oraison funèbre très célèbre en son honneur (version intégrale ici).

bataille des dunes conséquences
Je vous avais promis du sang et du sable… voici les frites !

Notes :
[1] Mazarin devient l’homme fort du régime à la mort de Richelieu en 1642. Pour les frondeurs, il symbolise l’étranger car il est d’origine italienne. Il va cristalliser de nombreuses critiques, on a même créé un mot pour ça : les mazarinades ! Ce n’est pas une marinade de Mazarin mais des pages et des pages d’insultes et de blagues scabreuses sur le grand Mazarin…