1917 est un film de Sam Mendes sorti le 15 janvier 2020, avec en acteurs principaux Dean-Charles Chapman, George MacCay, et, beaucoup moins longtemps à l’écran, Colin Firth, Andrew Scott, Mark Strong, Benedict Cumberbatch et Richard Madden.
1917, le film avec un plan de guerre
Il s’agit d’un gigantesque plan-séquence ou plutôt, en toute évidence, de nombreux plans-séquences habilement recollés grâce aux évolutions techniques depuis Hitchcock, où l’on suit deux messagers tentant de prévenir un assaut suicidaire de leurs compatriotes face aux lignes ennemies.
Film d’action ou réaliste ?
Alors que les références à de très nombreux films de guerre ont été abordées à l’envi (Il faut sauver le soldat Ryan, Dunkerque, Les Sentiers de la Gloire), il fallait savoir où placer le curseur entre un film d’action purement héroïque, où les protagonistes accompliront leur destinée quel que soit le nombre et la difficulté des péripéties qu’il rencontreront, et le point de vue purement réaliste.
Sam Mendes a opté pour la voie de l’épopée, propice évidemment à l’exercice de style qu’il s’est imposé. Si elle est critiquable, et d’ailleurs a été critiquée, la quasi-invulnérabilité des héros, bravant moult périls durant plus de deux heures, enchaînant hauts faits et affreux coups de pot, cela ne fait qu’accentuer les divers témoignages de rescapés de guerres, quelles qu’elles soient. Civils et soldats doivent leur survie à des actions culottées et une forte dose de bonne fortune.
Également hautement critiquée, l’incompétence, à faire rougir un stormtrooper de Star Wars, des ennemis à toucher leur adversaire à une trentaine de mètres. Évidemment, la rigueur allemande ne pourrait supporter l’obscurité, la fatigue de l’heure indue ou l’état d’exténuement global, voire de maladie dont l’autre tranchée est également victime, tout cela altérant leur capacité à résoudre un combat.
Finalement, le point négatif le plus conspuable est une connaissance tout-à-fait hasardeuse en potamologie[1].
Action ou vérité ?
Cependant, Sam Mendès ne tombe pas dans le piège d’une succession d’actes héroïques. Si le plan-séquence fonctionne très bien, c’est parce qu’il arrive à imposer, toujours dans cette optique de film héroïque, un enchaînement d’actions, de danger/suspense et de répit, et également beaucoup de promenade contemplative.
Pour avoir toujours quelque chose à dire, il ne se passe pas un instant sans que l’attention du spectateur ne s’attarde sur un détail du décor – un amoncellement de cadavres dans le no man’s land -, une pièce d’accessoire, une anecdote racontée de soldat à soldat, un crescendo de l’ambiance musicale ou des alternances de steadicam (caméra portée en harnais pour éviter les effets saccadés et vomitifs de la caméra à l’épaule), tantôt poursuivant de dos, tantôt précédant de face les protagonistes, pour évidemment masquer jusqu’au dernier instant les évolutions du paysage.
Vermine, terrain bourbeux, lettres à la famille, paysage apocalyptique sont rappelés régulièrement, les détails s’enfilent avec une aisance huilée dans une narration impeccable.
Certes, dans l’espace confiné qu’est un dédale de tranchées, la longue introduction aurait pu accentuer le quotidien absurde, les conditions de vie et d’hygiène difficiles et les successions de moments de tension et d’ennui : les soldats jouant aux cartes, dégustant une frugale collation, sculptant des oeuvres morbides ou simplement correspondant à des familles ou des marraines de guerre.
Le plan-séquence a été copieusement utilisé, notamment dans les séries TV, pour montrer un quotidien de fourmilière : Urgences (ER) l’utilise à outrance pour dévoiler la fourmilière qu’est l’hôpital ; l’épisode « Triangle » de X-Files s’inspire d’Urgences et de La Corde (Hitchcock) sur une succession de 4 séquences entrecoupées de publicité ; l’épisode « Anne » de Buffy contre les Vampires montre pendant quelques minutes le blues des personnages après le départ de l’héroïne de Sunnydale ; Joss Whedon réutilisera le plan-séquence pour (ré-)introduire les personnages dans les coursives du vaisseau Serenity dans le film concluant l’inachevée Firefly ; un an auparavant, le remake de Battlestar Galactica présente de la même manière ses personnages militaires, ironiquement prêts à passer en retraite, avant de débuter une nouvelle épopée.
Évidemment, le plan-séquence, truqué ou non, ne restera jamais que le moyen le plus simple de démontrer la violence des moments et les dangers que pourraient provoquer n’importe quel événement ou blessure pour les protagonistes : Atomic Blonde, Les Fils de l’Homme, True Detective, Daredevil (un épisode par saison), la séquence de fusillade à l’école de 19-2 (tournée une fois avec les acteurs francophones et une autre fois avec les anglophones), un épisode entier de Mr. Robot, et format beaucoup plus court, à peine une minute, des bastons à l’épée dans Game of Thrones ou The Witcher.
Avec des exemples intarissables, il est un peu dommage que la guerre de position de 1917 se soit mise en mouvement beaucoup trop rapidement.
Note :
[1] La potamologie, c’est la science des cours d’eau. Détail stratégique !