Trois robots dans le même bateau
Comme indiqué dans cet article de présentation, Three Robots (Les Trois Robots) est un court métrage de la série Love, Death and Robots, disponible sur Netflix. Il a eu une suite : Three Robots: Exit Strategies.
Mais c’est à l’origine une nouvelle de l’auteur de science-fiction John Scalzi, adaptée pour la série par le scénariste Philip Gelatt et les réalisateurs Alfredo Torres et Victor Maldonado, tandis que l’animation est due aux équipes de Blow Studio.
La nouvelle Three Robots Experience Objects Left Behind from the Era of Humans for the First Time
L’histoire de Three Robots (Les Trois Robots) est adaptée de la nouvelle intitulée Three Robots Experience Objects Left Behind from the Era of Humans for the First Time, publiée en 2017 dans l’anthologie Robots vs. Fairies dirigée par Dominik Parisien et Navah Wolfe, chez l’éditeur Barnes and Noble.
C’est donc, parmi les adaptations pour la série, la seule nouvelle de John Scalzi qui n’est pas disponible gratuitement en ligne. Je propose grossièrement une traduction du titre : Trois robots ont leur première expérience des déchets issus de l’ère humaine.
D’après John Scalzi lui-même, il avait envoyé la nouvelle au producteur Tim Miller pour le simple plaisir de la lui faire lire, et Tim Miller a insisté pour en acheter les droits avant même qu’elle ne soit publiée.
Le court métrage Three Robots (Les Trois Robots)
Three Robots dure douze minutes environ, ce qui en fait le court métrage le plus long d’après un texte de John Scalzi. C’est aussi le seul épisode adapté d’une de ses nouvelles qui n’a pas de voix off : le spectateur découvre en même temps qu’un groupe de trois robots un monde post-apocalyptique (américain), dont les humains ont totalement disparu.
Les trois robots en question, tous distincts par leur design et leur personnalité, se comportent comme de simples touristes qui cherchent à comprendre la façon dont les humains vivaient et surtout se divertissaient (sport, jeux vidéos, chats…).
Ces robots eux-mêmes sont des descendants d’accessoires liés à des formes de divertissement. Doublé par Gary Anthony Williams, XBOT 4000 est le robot le plus grand et le plus naïf.
Il serait issu des progrès technologiques en matière de consoles de jeux (Xbox…) ; il pose régulièrement des questions qui permettent au spectateur d’en apprend plus sur le monde futuriste.
Son design vaguement punk (il a une crête) et musculeux en font, peut-être, un personnage guerrier : on découvrira qu’il dispose en tout cas d’un mécanisme d’auto-destruction. Par ailleurs, il lui manque un œil pendant toute une partie de l’épisode, ce qui fait de lui un borgne… au pays des aveugles ?
Doublé quant à lui par Joshua Max Brener, K-VRC est un petit robot taquin qui force l’enthousiasme à chaque découverte, et s’avère le dernier rejeton d’une lignée de moniteurs de bébé. Mais il fera remarquer que les siens étaient « assez nuls » dans leur boulot, ce qui suggère un défaut de conception (thème récurrent du récit).
Ces deux robots ont une apparence anthropomorphique et des expressions faciales qui aident à l’identification. Au contraire, la forme et « l’œil » lumineux du troisième robot évoquent Hal du film 2001 l’Odyssée de l’espace de Kubrick, ou encore les robots d’Interstellar.
La voix de ce robot, féminine, a été générée par ordinateur et serait censée évoquer l’application Siri d’Apple. Pour autant, la froideur apparente du robot est compensée par son excentricité très humaine, du port de la casquette « Jesus saves » aux variations de ton, entre emphase et sarcasme.
L’humour du court-métrage repose donc en grande partie sur le décalage entre le comportement des robots-touristes et leur environnement tragique, ainsi que sur leur attitude moqueuse les uns envers les autres, et défiante vis-à-vis des mystères qui les entourent.
Tous les trois semblent particulièrement intéressés par la question des origines, la leur et celle des humains, et sur la fonction qu’ils sont censés remplir (un twist final leur donnera une réponse ironique).
Si leur comportement parodie celui des humains, les questions plus ou moins naïves des robots encouragent le spectateur à s’interroger sur des pratiques culturelles et un quotidien qui lui paraissent évidents.
Mais un quatrième personnage rejoint les robots. Chris Parnell (Archer, Rick et Morty) prête sa voix à un chat dont la présence mobile et toute en courbes contraste avec la plastique des robots. On connaît la passion de John Scalzi pour les chats !
En outre, cette association n’est pas sans me rappeler Trois hommes dans un bateau (sans parler du chien), soit Three Men in a Boat (To Say Nothing of the Dog, un roman anglais de 1889 dans lequel trois amis et leur chien entreprennent un voyage touristique le long de la Tamise. Le chat (américain), constate-t-on dans le court-métrage, a survécu aux humains qui ne se lassaient pas d’en regarder des vidéos sur internet.
De façon très satirique, il est suggéré que les sources de divertissement et de plaisir ont causé la perte de l’humanité : les loisirs occupaient une trop grande partie de son temps, jusque dans sa volonté de les améliorer, et ils ont détourné son énergie et son intelligence de ce qui aurait dû être sa principale préoccupation, soit protéger son environnement pour assurer sa survie.
Three Robots: Exit Strategies (Les trois robots : Stratégies de sortie)
L’épisode des Trois robots a été assez populaire pour bénéficier d’une suite dans la troisième saison, qui dure cette fois encore une dizaine de minutes.
Love, Death and Robots (2022). John Scalzi a cette fois directement scénarisé l’épisode, en collaborant avec Blur Studios (producteurs), Blow Studios (animation) et Patrick Osborne (réalisateur), et il s’est déclaré très satisfait du résultat : « Est-ce parfait ? Probablement pas, mais si ce n’est pas le cas, alors c’est probablement à cause d’un de mes choix. »
Les trois robots reprennent donc du service, ainsi qu’un chat, avec les mêmes doubleurs que dans l’épisode précédent.
Le trio a donc réchappé sans mal à sa première exploration : cette fois, ils utilisent un vaisseau arrondi pour passer d’un décor à l’autre. Il s’agit pour eux de comprendre comment les derniers humains s’étaient organisés avant la disparition totale.
C’est l’occasion pour Scalzi, qui se revendique de gauche, de donner une image satirique de groupes « de droite », entre conservateurs et capitalistes : les survivalistes d’abord, moqués ici comme des chasseurs obsédés par les armes et condamnés par leur propre violence (Scalzi suggère que les cerfs ont pris leur revanche, ce qui pourrait amener à une suite avec des cerfs évolués ?) ; les millionnaires, ensuite, réfugiés sur des plateformes pétrolières reconverties en complexes de luxe. C’est l’occasion pour Scalzi de faire un ajout à ses représentations des robots : le spectateur découvre ainsi Elena (doublée par Katies Lowes), une intelligence artificielle qui a l’apparence d’un hologramme (référence possible à Blade Runner 2049 et la Joi jouée par Ana de Armas ?) et qui est censée assister les humains selon leurs envies… Or cette IA s’est rebiffée, et elle est présentée comme à l’origine du soulèvement des robots !
L’attrait du confort et du luxe sont donc de nouveau mis en cause, les robots soulignant sans trop y croire que les humains auraient pu survivre s’ils avaient été plus « inclusifs socialement ». Les amateurs de SF humoristique auront relevé au passage une référence à Douglas Adams et sa série du Guide du voyageur galactique (H2G2), K-VRC le citant : So long Elena, and thanks for all the fish », phrase célèbre de la série, prononcée par les dauphins qui quittent la terre avant sa démolition.
Scalzi complète sa satire en montrant les derniers représentants des gouvernements morts de faim dans un bunker, après que leurs fermes hydroponiques ont succombé aux ravages d’un champignon : c’est cette fois l’incapacité des dirigeants à anticiper et à favoriser le développement durable qui sont pointés du doigt. Les dirigeants sont d’ailleurs condamnés à une « démocratie extrême » bien pire que tout compromis politique.
Le court-métrage se conclut par la visite d’une base de lancement de fusées, qui rappellera peut-être à certains le film Don’t look up : Déni cosmique (Adam McKay, 2021). On y retrouve une critique comparable du comportement des ultra-riches qui envisagent de fuir vers d’autres planètes plutôt de s’efforcer de résoudre les problèmes terrestres… Scalzi se moque explicitement d’Elon Musk, qui est cité, et de son aspiration à coloniser Mars, quitte à abandonner le plus grand nombre. L’avidité humaine dans son ensemble est dénoncée, avec un clin d’œil aux amateurs de chats…
Pour lire un petit article sur l’épisode Alternate Histories (Histoires alternatives), ou sur When the Yogurt took Over ou La Revanche du yaourt, le lecteur curieux est invité à suivre les liens !