La jeunesse du futur Charles V a été tumultueuse (voir ce 1er article) ! Il a failli mourir de la peste, son père Jean II a perdu deux batailles majeures (L’Écluse en 1340 et Crécy en 1346) et le royaume de France souffre de mille maux. De plus, deux grands nobles veulent enterrer sa dynastie valoise et découronner son père le roi Jean : Édouard III d’Angleterre et Charles « le Mauvais » de Navarre.
Charles V le Sage – une régence de tous les dangers
Dauphin de France, Charles a pourtant comploté contre son père qui a dû utiliser la force pour rester au pouvoir. Devenu duc de Normandie, Charles n’est toutefois pas sorti du pétrin : il sera même à deux doigts d’abandonner le royaume ! Par la suite, il va miraculeusement réussir à esquiver les coups sans qu’il soit possible d’y voir une logique précise. À la mort de son père, le nouveau roi Charles V aura déjà la peau dure.
Bataille de Poitiers
En 1356, le Prince Noir (fils aîné d’Édouard III) lance une nouvelle chevauchée [1] pour ravager le royaume de France. Après avoir fait la jonction avec l’armée de son frère, duc de Lancastre, l’héritier de la couronne anglaise voit fondre sur lui une armée française revancharde. Grâce à un mouvement d’encerclement agile, l’armée française réussit à bloquer l’armée anglaise qui se retranche à Nouaillé (tout proche de Poitiers) : la bataille est imminente.
Dès l’orée du jour, les meilleurs chevaliers du royaume de France sont lancés à l’attaque de manière tout à fait hasardeuse. Encore une fois, la fine fleur des chevaliers français est décimée par des archers anglais abrités derrière une haie. Jean a la présence d’esprit de faire partir ses fils le plus âgés (dont notre ami Charles de Normandie). Futur roi de France, ce dernier en ressortira traumatisé des grandes batailles rangées (qu’il va désormais fuir comme la peste).
Souffrant dans sa chair de la fuite de son père Philippe VI à Crécy, Jean le Bon choisit de combattre jusqu’à la mort. Alors qu’à l’aube, c’étaient les Anglais qui envisageaient la défaite, c’est maintenant le roi de France qui, abandonné par de nombreux vassaux, comprend que l’issue sera fatale. Descendu de sa monture et armé d’une hache de guerre, le brave roi va combattre aux côtés de son dernier fils Philippe, qui tentera d’avertir son père des attaques ennemies : « à gauche, père ! », « à droite, père ! ».
Charny, porteur de l’oriflamme de France est à terre ; le connétable Brienne est tombé tout comme le duc de Bourbon. Ceux qui sont morts ici sont des braves à jamais, comme le mythique Roland à Roncevaux ! Finalement, le roi de France Jean II accepte de se rendre et offre son gantelet droit à un ennemi : Denis de Morbecque [2]. Il est conduit devant son cousin, le prince de Galles ou Prince noir. Le roi de France est fait prisonnier à Bordeaux puis à Londres où il vivra longtemps dans des conditions princières, battu mais toujours roi et surtout brave parmi les braves.
Le régent Charles face à Étienne Marcel
Bien qu’ayant échappé à la mort et à la capture, Charles de Normandie se retrouve dans de beaux draps. Dès le 29 septembre 1356, il prend le titre de lieutenant du roi mais son autorité est quasiment fictive : l’armée française est en lambeaux, les caisses sont vides et Papa-Roi est en route pour Londres. Ce n’est qu’en 1358 qu’il prend le titre plus prestigieux de régent, qu’il gardera jusqu’à la libération du roi. Charles pense avoir mangé son pain noir, mais il se trompe sévèrement…
Cœur économique et politique du royaume capétien, Paris est une alliée traditionnelle de la royauté. Le riche Étienne Marcel, chef de file des bourgeois parisiens, va radicaliser ses discours et harangue désormais le petit peuple parisien, incitant à la révolte. Le 22 février 1358, une émeute programmée à l’avance vise le palais de la cité où Charles est sans défense. Le dauphin est pris en otage et ses deux maréchaux-conseillers (dont le maréchal de Champagne) sont tués devant ses yeux…
Étienne Marcel veut que le tout nouveau régent soit sa marionnette royale. D’abord apeuré, Charles va profiter de la colère provoquée par la mort du maréchal de Champagne : il arrive à s’allier aux nobles champenois et contre-attaque. Un blocus de Paris est amorcé, Charles établit une garnison à Meaux pour couper les ravitaillements parisiens. Le dauphin de la couronne de France fait le siège de sa propre capitale en révolution : on croit rêver !
Une Jacquerie éclate !
Même si le régent Charles n’est plus l’otage d’Étienne Marcel, les choses ne s’arrangent toujours pas. Après trois mois, la situation est bloquée en mai 1358 et Paris n’est pas près de se rendre… De son côté, Étienne Marcel tente de convaincre les autres bonnes villes de rejoindre son combat mais sans succès. Évadé de prison et toujours en quête de pouvoir, Charles de Navarre « le Mauvais » choisit de soutenir Étienne Marcel mais n’est cependant pas prêt à tout perdre pour lui.
Hasard de l’Histoire, alors que le régent et sa capitale se regardent en chien de fusil, un mouvement de révolte totalement différent va éclater : la Jacquerie. À partir de la région de Beauvais, une révolte paysanne va se répandre comme une traînée de poudre à travers le Nord du royaume : les « Jacques » n’en peuvent plus de la pauvreté et se mettent à occire les nobles de leur entourage ! Guillaume Carle va même prendre la tête d’une « armée paysanne » peu formée aux joutes guerrières.
Charles « le Mauvais » est heureux de voir les Parisiens se liguer contre son rival le dauphin-régent ; cependant, il est outré par cette révolte de vilains. Il va tenter de se mettre en valeur en se plaçant en protecteur du royaume en lançant ses chevaliers sur les Jacques-en-armes. À l’inverse, Étienne Marcel choisit de soutenir les Jacques : il envoie des renforts pour aider la troupe paysanne de Carle. Le 9 juin, les soldats du Mauvais taillent en pièces les rebelles sur le plateau de Mello. La Jacquerie est décapitée, tout comme l’alliance entre le Mauvais et Marcel.
Après leur opération de « gendarmerie » contre les paysans révoltés, les « mauvaises troupes » de Charles de Navarre trépignent d’en découdre avec celles du régent. Jeanne d’Évreux, veuve de Charles IV de France (roi mort en 1328), réussit à convaincre les deux Charles de se réconcilier. Le 19 juillet 1358, une rencontre a lieu au pont de Charenton. Le régent accepte de mettre fin au siège de Paris et les soldats du Mauvais cessent de menacer la capitale.
Charles s’en sort de manière… involontaire !
Cependant Charles de Normandie se retire à Meaux car les Parisiens lui refusent toujours l’accès à la capitale. Dépité, il commence à envisager le pire et prévoit une fuite du royaume chez son oncle l’empereur germanique. Le départ est prévu pour la nuit du 30 au 31 juillet : le dauphin de France est en train de plier bagage. Son honneur et sa lignée sont en danger de mort… Notre pauvre Charles a besoin d’un miracle…
Et le miracle arriva ! Après l’échec cuisant du soutien aux Jacques, Étienne Marcel s’est mis une partie des Parisiens à dos. Petit à petit, la confiance s’étiole : beaucoup pensent qu’il traite en secret avec les Anglais à travers son allié Charles le Mauvais. Dans les alcôves, de nombreux bourgeois veulent arrêter les frais avant que le glaive de la justice royale ne s’abatte sur leurs nuques rebelles.
Au matin du 31 juillet, un dénommé Jean Maillart refuse d’obéir aux ordres d’Étienne Marcel [3], saute sur un cheval et descend la rue Saint Denis en criant « Montjoie au roi de France et au duc ! ». Et ainsi, après l’avoir adoré, les Parisiens trahissent Marcel qui finit frappé, renversé et piétiné…
Deux jours plus tard, le régent fait une entrée triomphante dans la capitale. C’est une résurrection pour celui qui était en pleins bagages quelques jours avant. À Paris, tout le monde va jouer l’amnésie sur le rôle joué en faveur des ennemis de la couronne. Le dauphin punit quelques chefs mais dès le 10 août, il laisse couler les poursuites et profite un peu de sa première victoire (même si elle est survenue par hasard !).
Édouard III perd patience
Emprisonné à Londres, Jean le Bon est prêt à tout céder aux Anglais pour sortir de prison. À Paris, le régent et ses conseillers ne voient pas du tout les choses de cette manière : Papa-Roi est en prison mais il n’en sortira pas à n’importe quel prix ! Pendant des années, les pourparlers piétinent car Édouard III change régulièrement d’avis par rapport à la taille des territoires que Charles doit lui concéder. Soudain, il souhaite carrément annexer tout le littoral atlantique : le régent répond par un non catégorique.
Après une chevauchée ratée [4], Édouard III se rend à l’évidence : il n’aura pas gain de cause. Une trêve est enfin signée avec en prime un traité de Brétigny (8 mai 1360). Édouard III accepte de baisser ses exigences : il renonce à la couronne de France mais il reçoit un tiers du royaume de France en échange. De son côté, le régent Charles doit payer 3 millions d’écus de rançon pour libérer son père Jean. Le paiement s’effectue en plusieurs fois mais des otages (choisis parmi les personnes les plus importantes de France) partent en Angleterre pour garantir le paiement.
Le roi de France Jean II retrouve son royaume en octobre 1360 après 4 années à Londres où ses conditions de détention se sont dégradées. Jean va bien prendre le temps de se faire applaudir en chemin pour finalement rejoindre Paris : on le fête comme un vainqueur ! On peut noter qu’une fontaine de vin est mise en place à Paris : « qui rendait vin aussi abondamment que de l’eau ».
Fin de Jean II « le londonien » (surnom non officiel)
En difficulté de paiement (bizarrement), le roi Jean accepte de donner le Berry aux Anglais en échange des otages qui ont été envoyés en gage à Londres. Son fils Charles n’en croit pas ses oreilles : les États généraux de Paris se rangent du côté du dauphin et l’échange inégal est refusé. Jean II ne s’en formalise pas puis tente de partir en croisade ! L’échec est encore une fois au rendez-vous…
Le jeune otage Louis d’Anjou (petit frère du dauphin) va « foutre la merdaille » en s’évadant de sa prison londonienne. Cela ressemble à un casus belli : son grand frère Charles tente de le convaincre d’y retourner en urgence. Après plus de deux ans de puddings et autres instruments de torture, Louis refuse. Pour calmer Édouard III qui est furieux, le roi Jean II va se porter prisonnier en échange de son fils Louis échappé. Officiellement, il veut laver l’honneur de sa famille (ça sent la maîtresse cachée à mon avis…).
Le 8 avril 1364, le roi Jean meurt à Londres chez son pire ennemi. À sa mort, la France doit continuer de payer sa rançon car il a remplacé son fils Louis d’Anjou qui lui est toujours vivant. Satané droit féodal… Charles peut enfin devenir roi et n’aura plus à traîner son boulet de père. Celui-ci avait un « bon » fond, mais il fut un piètre souverain, bradant son royaume et vivant dans un rêve arthurien qui a mal tourné ! Pour lire la suite de cet article…
Notes :
Source principale : Jean FAVIER, La guerre de cent ans, 1980.
[1] En 1355, le prince noir avait mené un raid dans le Languedoc français, pillant allègrement les campagnes et des villes comme Montgiscard ou Castelnaudary. Les armées anglaises se remplirent donc de muscat et de cassoulet avant de revenir au point de départ, Bordeaux, et passer l’hiver au chaud…
[2] En octobre 1352, Jean II le Bon a créé l’Ordre de l’Étoile pour imiter l’Ordre de la Jarretière du roi anglais. L’une des premières règles étaient une interdiction pure et simple de fuir ! Le repli tactique n’est pas autorisé lorsque l’on se croit en plein récit arthurien… Aucun lecteur ne sera étonné de lire que quelques mois plus tard, des preux chevaliers de l’Étoile sont morts bêtement en refusant de se parjurer lors de la bataille de Poitiers : l’Ordre de l’Étoile ne fit plus jamais parler de lui…
[3] Étienne Marcel s’est attiré les foudres des Parisiens à cause de son allié navarrais. En effet, de nombreux soldats du roi de Navarre sont anglais et la capitale en est profondément horrifiée. Finalement, lorsqu’Étienne Marcel se rend à la porte Saint Denis pour récupérer les clés d’une bastide, il y rencontre le fameux Jean Maillart, qui refuse de lui donner les clés car il se méfie d’une collusion entre Étienne Marcel et les Anglais. Étienne Marcel est tué quelques heures plus tard, son destin tragique montre bien que le vent de l’Histoire tourne parfois très vite…
[4] Énervé d’avoir gagné toutes les batailles sans en avoir réellement reçu les lauriers, le roi d’Angleterre perd patience et lance une nouvelle chevauchée. Le 28 octobre 1359, il débarque à Calais (prise en 1347) et compte punir le régent. Face à lui, Charles évite à tout prix le conflit direct et fait garder fermement ses places fortes pour jouer la montre. Son plan fonctionne et le raid anglais piétine partout comme à Reims. L’armée anglaise se venge sur les campagnes du pourtour parisien en pillant à l’envi.