jeunesse Charles V roi de France

La jeunesse pourrie du roi Charles V le Sage

Né le 21 janvier 1338, Charles V est le premier roi d’une longue liste de souverains qui voient le jour pendant la guerre de cent ans.
Quelques semaines avant sa naissance, le roi Édouard III d’Angleterre avait franchi le Rubicon vis-à-vis du roi de France Philippe VI en le désignant : « Philippe de Valois, qui se dit roi de France »[1]. Un conflit plus que centenaire allait commencer et deux dynasties engager un combat à mort pour le trône de France.

Par A. Baux

Note de l’auteur : La plupart des croustillants détails viennent de l’ouvrage de Jean FAVIER (excellent) sur la guerre de cent ans.

jeune Charles V le Sage roi de France
Charles V est aujourd’hui appelé « le Sage » grâce à son règne de 1364 à 1380.

Petit fils du roi Philippe VI, le bébé Charles n’a pas encore conscience que son futur royaume est en train de plonger en plein cœur de l’abîme. Cette guerre n’est pas un conflit traditionnel, même à l’époque : ce sera une vraie guerre civile où les habitants du royaume de France s’entre-déchireront durablement. Après une très longue période de paix et de prospérité, la France va connaître une période d’immense instabilité où les villes vont redécouvrir l’utilité de construire des fortifications.

blason Edouard III
Edouard III choisit un blason à la hauteur de ses ambitions : il revendique la souveraineté de l’Angleterre (léopards dorés sur fond rouge) mais aussi celle du royaume de France (bleu roi fleurdelisé).

Début 1340, Édouard III prend officiellement le titre de roi de France et change de blason (image). Pour sonder sa popularité en France, il convoque tous les vassaux du royaume le 6 février 1340 à Gand. Seuls les Flamands vont accepter de venir et ainsi attester de leur soumission au roi d’Angleterre.
À cet instant, tout le royaume semble uni (ou presque) derrière son roi Philippe VI, bien que celui-ci ne soit pas fils de roi (les capétiens directs se sont éteints en 1328).

La France en pleine merdaille

Grand papa Philippe VI n’est pas très heureux que la riche région de Flandre soit (encore) en rébellion contre la couronne. Il envoie sa flotte pour bloquer l’estuaire de Bruges avec la flotte anglaise. Au matin du 24 juin 1340, 250 navires anglais attaquent les 190 navires français. Le commandement français ne planifie aucune tactique et ne cherche qu’à faire un blocus : les navires sont même enchaînés les uns aux autres sur trois rangs ! La flotte française est décimée par la furia anglaise, bien aidée par les Flamands sur la côte qui prennent à revers les Français.

bataille navale de L'Ecluse
La défaite des Valois à L’Ecluse (1340) nous rappelle le désastre napoléonien à Trafalgar (1805).

Pendant trente ans, l’Anglais possède la maîtrise des mers et pourra à l’envi envoyer des renforts en France. Pire, la terre ferme va aussi jouer un mauvais tour au roi de France : la célèbre bataille de Crécy (26 août 1346) voit l’écrasement de la fine fleur de la chevalerie française (Charles d’Alençon, le propre frère du roi, y trouve la mort) face aux courageux archers gallois. Philippe VI est obligé de fuir piteusement le champ de bataille alors que ses armées étaient à trois contre un…

bataille de Crécy
La bataille de Crécy a vu la victoire d’une armée de métier (souvent non noble) contre une armée féodale.
PS : acte héroïque en cours dans le coin en haut à gauche.

Alors que son futur royaume a perdu toute dignité militaire, Charles va désormais vivre la triste période de peste noire. Déjà affaiblie par deux étés pourris, la population française va connaître la pire épidémie de son Histoire. Près d’un tiers des Européens meurent d’un mal d’Orient par les cales des navires.
Le jeune Charles tombe lui aussi malade et reste alité d’août à décembre 1349. Sa mère Jeanne et sa grand-mère succombent. Même un sang noble n’effraie pas l’épidémie. Le pape Clément VI autorise ainsi l’autopsie pour trouver un remède à un mal que l’on ne peut vaincre que par la fuite ! [2]

La rébellion de Charles contre son père Jean II le Bon (con)

Jean II le Bon est devenu roi en août 1350 à la suite de la mort de Philippe VI. Le jeune Charles devient 1er dauphin de France et donc héritier légitime de la couronne. Son père lui a donné le Dauphiné qu’il venait d’acheter au comte Humbert II, ruiné par la croisade et sans héritier. Cependant, il n’est pas satisfait des terres qu’il possède. Comme tout adolescent qui se respecte, Charles entre en rébellion contre son père. Quel rebelle !
Fragilisé par les défaites françaises à répétition, le nouveau roi n’a pas un caractère facile. Réputé pour la magnificence de ses banquets et la largesse dont il fait preuve envers ses obligés (d’où son surnom), Jean le Bon est aussi très colérique et de caractère changeant. On le verra à Poitiers : Jean est brave mais il est aussi un petit peu con…

Charles II le mauvais
Descendant direct de Philippe le Bel (la classe), Charles II de Navarre dit « le mauvais » est un peu le Joker du XIVème. Tous les soirs, il engueule Dieu de l’avoir fait naître trop tard ! [3]

L’évêque de Laon, Jean le Coq, va ourdir un complot pour remplacer le roi par son dauphin (notre cher Charles) avec l’espoir de pouvoir le manipuler à sa guise. Le bien nommé Charles le Mauvais, qui revendique la couronne de France, va entrer dans le jeu en rencontrant à plusieurs reprises le dauphin. Jean le Bon sent le vent de la trahison se lever et accorde la Normandie à Charles, le jour même où il devait partir de Paris en compagnie de trente cavaliers de Charles le Mauvais.

Le coup de force de Rouen

Le tout nouveau Charles de Normandie n’est pas très bien accueilli à son arrivée à Rouen. Le vieux Geoffrey d’Harcourt, qui fut l’un de ceux qui se rebellèrent en premier contre le roi Philippe VI jadis, refuse de lui prêter allégeance. Le roi à travers son fils est bafoué et toute la famille Harcourt est officiellement déclarée rebelle au souverain (et donc c’est chaud pour eux). Cependant, Charles (pas très reconnaissant) va continuer de s’accoquiner avec les pires ennemis de son père…
Le 5 avril 1356, le dauphin Charles organise un petit gueuleton dans son nouveau château de Rouen. Il a invité quelques amis qui passaient comme ça, au hasard… Le rebelle Charles de Navarre est ici ; les trois fils de Geoffrey d’Harcourt sont là. Le sire Jean de Biville raconte ses exploits en croisade où il aurait coupé un Turc en deux d’un seul coup d’épée (histoire de se donner de l’appétit).

arrestation de Jean II le Bon
Le roi Jean II le Bon s’incruste en pleine soirée rouennaise. Le chien n’est même pas choqué, ce légitimiste !

Déjà au XIVème siècle, les pères s’énervent que leur fils puisse s’amuser sans eux (la vieillesse est un naufrage). Charles de Normandie et ses hôtes vont en faire les frais. Présent à Beauvais pour un baptême, le roi Jean II ne va pas hésiter très longtemps : avec une petite troupe, il chevauche vers Rouen, qu’il connait bien, car lui aussi a été duc de Normandie dans sa jeunesse. Pour s’assurer d’une surprise totale, le roi contourne la ville par le Nord et entre par la poterne. Son courroux va s’abattre…
Le heaume en tête, le roi Jean entre brusquement dans la salle à manger du château. La surprise est totale : « Que personne ne bouge, ou il est mort », voilà la phrase qu’aurait prononcé le duc d’Audrehem, l’épée à la main, à la droite du roi. Le roi fait exécuter Jean de Harcourt et trois de ses compagnons. Son rival Charles le Mauvais est jeté en prison. Le dauphin Charles n’est officiellement pas critiqué mais ses hôtes ont été arrêtés en plein repas : son honneur est bafoué.

Conclusion

Malgré sa fermeté apparente, le roi de France n’est toujours pas serein ; le royaume est en pleine crise financière (le cours de la livre tournois est en chute libre) et les caisses royales sont vides. Le roi est sans cesse obligé de quémander de l’argent au peuple.
Le 8 mai 1356, une nouvelle session d’États généraux est organisée à Paris. Étienne Marcel, le riche prévôt des marchands de Paris, y tient une place importante en tant que meneur des milieux financiers et bourgeois parisiens. Pas encore hostile au roi, Étienne Marcel va bientôt entrer dans l’Histoire en menant une grande révolte armée contre la royauté. Notre jeune Charles s’en souviendra… (voir la suite ici).

Notes :

[1] Selon Jean FAVIER (La guerre de cent ans), Édouard III a envoyé l’évêque de Lincoln, Henri Burgersh à Paris. Il était porteur d’une missive pour « Philippe de Valois, qui se dit roi de France ». Ayant prêté hommage au roi de France en 1329, le roi d’Angleterre devenait ainsi parjure en reniant son suzerain légitime.
[2] Jugée antichrétienne, la dissection est interdite par le clergé catholique. Cependant, Clément VI a l’intelligence de l’autoriser exceptionnellement pendant cette période de pandémie apocalyptique.
[3] Charles « le mauvais » n’a pas choisi lui-même son surnom en pensant que ça ferait « badass » pour draguer les damoiselles. Son vil surnom est issu de la propagande capétienne pour discréditer un prétendant légitime (encore un autre avec Édouard III) à la couronne de France.