Knives out à couteaux tirés critique négative

À couteaux tirés (Knives out) – critique

À couteaux tirés (Knives out), réalisé par Rian Johnson, avec Daniel Craig, Chris Evans, Ana de Armas est sorti le 27 novembre 2019. Il a été donné par beaucoup comme le polar de l’hiver 2019, voire de l’année, voire film du trimestre.
De quoi faire craquer l’auteur de ce billet, simple amateur de Sherlock Holmes et d’Agatha Christie, avec l’idée d’un bon polar à l’ancienne, au vu des critiques presse et spectateur dithyrambiques. Et pourtant…

Daniel Craig à couteaux tirés critique
Si tu veux ta place sur le trône de fer, n’oublie pas ton gobelet Starbucks, ni ton donut d’ailleurs.

Whowhyhowdunnit, les trois lois du genre policier

Le terme « whodunit » semble revenir comme un leitmotiv dans tous les articles presse encensant ce long-métrage. L’auteur de ce billet a pu faire une légère piqûre de rappel sur ces caractéristiques du genre policier, et le lecteur curieux est chaleureusement invité à y jeter un œil averti… À noter qu’il y aura quelques divulgâchis dans les lignes suivantes.
Mais qu’en est-il de ce À couteaux tirés ?

Whodonut ? les suspects habituels

Alors que l’on pourrait évidemment s’attendre à des phases classiques d’un whodunit : présentation des personnages, implantation du décor précédant le meurtre, découvertes d’indices et interrogatoire des suspects, second meurtre éventuel, révélation finale, À couteaux tirés déroge à la règle avec une narration (révolutionnaire ?) immédiatement non-linéaire [1] sur les témoignages des enfants de la victime et de leurs conjoints.
Les interrogatoires croisés, interrompus, enchevêtrés, rajoutent artificiellement de la confusion en plus de la présentation en filigrane de l’enquêteur Benoit Blanc, joué par Daniel Craig, ponctuant avec son décevant sens de l’humour des points clés des témoignages d’un note esquissée au piano.
Mais accorde-t-on réellement de l’importance aux les personnages ? Benoit, Marta, et plus tard Ransom (donc, les stars Craig, Armas, Evans) ont un temps de présence à l’écran écrasant, là où Linda / Joni / Walt / Morris, quoique correspondant chacun à un archétype, ne sont là que pour enchaîner farces grotesques et mauvaises fausses pistes, tant elles ne semblent pas crédibles.
Enfin, les deux petits-enfants Meg et Jacob, pourtant dépeints comme des petits diables (Jacob suprémaciste en force et certainement trolleur sur 4chan à ses heures perdues, Meg en pauvre innocente acculée devant le besoin d’argent pour financer ses études) sont à peine esquissés, ont peu de scènes pour rappeler qu’ils sont présents, rappelant qu’un quota de personnages disparates est nécessaire pour gonfler le « suspectariat » alors qu’ils sont très vite mis hors de cause.
La suspicion du spectateur portant sur les deux derniers suspects – Ransom est alors vaguement évoqué et passe en coup de vent dans deux flashbacks – est éliminée mécaniquement alors que Marta est mise en avant : un flashback, arrivant beaucoup trop tôt dans l’intrigue, disculpe immédiatement Marta en montrant ce qui s’est réellement passé, et la situation difficile dans laquelle elle est embourbée.
Pour garder le spectateur dans sa poche, Rian Johnson tire une ficelle honteuse : Marta est phobique du mensonge, elle ne peut mentir sous peine de vomir instantanément, ce qui confirme en permanence son innocence dans le crime aux yeux du spectateur.
La suspicion portée par les forces de l’ordre et le reste de la famille arrive comme un cheveu sur la soupe dans un autre rebondissement arrivant pour le coup bien trop tard : l’héritage de Thrombey échoit à Marta, le tout mêlé à un vague mélodrame politique liée à l’immigration sud-américaine subie / choisie, Marta ayant acquis dans un premier temps les lauriers de sa famille d’adoption, pour être « répudiée » quand on apprend qu’elle est l’unique légataire des biens et des droits de la victime.
GROS DIVULGÂCHIS (mais pas vraiment) : face à ce mauvais équilibrage des scènes et et ce faux super-cast, le spectateur n’a d’autre choix que d’attendre mollement la conclusion sur le dernier cheval, Ransom (bon sang, il s’appelle RANÇON quand même !). [2]

Whydonut, simplicité, facilité ?

L’héritage de la maison, de la fortune et des droits de Thrombey sert de prétexte pour l’ensemble des témoins, et en devient la pomme de discorde.
À l’exception de Morris, qui aurait pu tuer son beau-père afin d’éviter de divulguer sa relation adultère – secret de polichinelle puisqu’un ordinateur (Blanc) fait un peu le tour des curieux, il n’y avait pas réellement d’autre mobile crédible.
On aurait pu envisager un petit twist dans lequel Jacob, le soi-disant suprémaciste, qui n’avait pas de mobile apparent, aurait pu tuer son grand-père pour quelque prétexte. Néanmoins, l’ensemble de l’enquête tourne autour de l’argent, l’argent et l’argent – Benoit Blanc, payé pour enquêter par un client inconnu, le dit lui-même : il veut savoir qui lui a donné l’enveloppe… et sa grosse liasse l’accompagnant – et les nombreux protagonistes ne cessent de se déchirer pour avoir leur part.
Alors le spectateur de bonne volonté peut-il réellement croire que Ransom soit si désintéressé que cela, alors même qu’il tente d’extorquer sa maigre part d’héritage à Marta ? Evans, le Captain America de Marvel, a la tête de l’emploi… pour quelqu’un qui veut casser son image !

Chris Evans à couteaux tirés critique
Chris Evans vous souhaite un bon donut.

Howdonut ? le hasard fait bien les scénarios

À couteaux tirés ne pouvait prétendre être révolutionnaire dans son traitement sans avoir un minimum de twist dans son Howdunit. Le cynisme du film policier revenant donc au fait que Thrombey n’a jamais été empoisonné au premier temps.
Dans une scène clé (divulgâchis !), l’infirmière Marta  doit faire une piqûre en utilisant des flacons dont les étiquettes… ont été inversées. Là où on aurait pu imaginer une double inversion des étiquettes, le soufflé retombe simplement sur le fait que Marta, par excès de professionnalisme lui ayant permis de repérer la différence de texture des produits, a quand même administré le bon médicament ; donc si elle ne s’en était aperçu, pas de suicide, pas de mort, et donc pas d’entourloupe. Les dernières minutes tentent d’expliquer de manière toute aussi maladroite et confuse comment Ransom a compris l’erreur bénéfique de Marta, et comment il a voulu retourner la situation à son avantage.
Finalement la profusion d’indices est bien famélique : le rapport toxicologique, indice évident et réducteur ; le témoignage incompris de Wanetta, la mère centenaire et gâteuse de la victime ; le « dying message » de Fran (meurtre secondaire, presque gratuit, provoquant la perte de l’assassin, procédé employé souvent dans Columbo ou dans Meurtre sur le Nil par exemple) sont une bien maigre consolation pour s’accrocher au mystère ambient du film, mais le nombre de preuves n’est pas assez important pour apprécier la construction du raisonnement.

Benoit Blanc sur Sang Rouge, rien ne bouge

Une fois l’aspect désolant de l’enquête en tant que telle complètement bâclée, le crime parfaitement résolu, les personnages secondaires complètement effacés par leur stéréotype et leurs blagues grasses, la thématique (l’immigration sud-américaine) balayée dans une conclusion très faible – Martha boit dans son mug « My House / My rules » depuis une terrasse telle une souveraine fraîchement introduite devant les yeux consternés de son ancienne « famille » – que reste-t-il à critiquer ?
L’enquêteur se doit d’être un personnage haut en couleur, atypique. On se délecte des Sherlock Holmes, Hercule Poirot, Miss Marple, et même Perry Mason, Ben Matlock, Jessica Fletcher ou Adrian Monk.
Les détectives consultants sont bien souvent haïs par les forces de l’ordre officielles pour diverses raisons : au-delà de leur capacité à damer le pion, ils sont également des petits cailloux gênants par leurs habitudes.
Que ce soit le caractère évasif de Sherlock Holmes, les manières dandys continentales de Hercule Poirot, l’envahissante omniprésence de Columbo, les TOC de Mr. Monk, ou l’âge apparent de Detective Conan, le manque de crédibilité se traduit par une manifeste perte de temps.
Le Benoit Blanc joué par Daniel Craig aurait pu tirer son épingle du jeu également, mais le personnage ressemble à un américain rural rustre – on rappelle à qui veut l’entendre qu’il vient du Kentucky, excellent (hum !) choix d’interprétation pour un acteur britannique. Le patronyme franchement franchouillard du héros évoque évidemment Hercule Poirot voire les auteurs de polars français (Maurice Leblanc, au hasard), mais la correction de la prononciation « Blan-queue et non Blène-queue » révèle de nouveau un problème bien états-unien : on essaie de faire du polar européen, dans une transposition ouest-atlantique.
Le héros n’est franchement pas sympathique, continuant à rire grassement et enchaînant des idées reçues de l’état rural du Kentucky face à une population bourgeoise. Il prend ses références dans des livres, dont La Gravité de l’Arc-en-ciel, avant de révéler quelques secondes après qu’il ne l’a jamais terminé, laissant presque sous-entendre qu’il ne l’a même pas commencé, et qu’il lit à peine.
Ré-usant l’image du privé cynique de roman noir guettant dans son office, il expose durant d’interminables instants une pitoyable métaphore du puzzle à base de… donut (« et si l’on remplit le trou d’un donut avec un autre donut, il reste un trou ? »).

à couteaux tirés analyse
Un trou est un trou, un donut est une fractale.

À voir et décevoir ?

Très clairement, il paraît incompréhensible à l’auteur de ce billet de porter aux nues un film aussi brouillon, galvaudant le genre, qui n’arrive à trouver d’équilibrage entre les personnages, l’enquêteur, le suspect et l’enquête. On peut féliciter le choix des vues, l’implantation du décor et le jeu global des acteurs, même s’il est encore une fois douteux de choisir un acteur britannique pour camper un détective américain rural. Le reste est franchement oubliable, et d’ailleurs très vite oublié.

Notes :
[1] On peut considérer que la plupart des films policier sont, stricto sensu, non-linéaires car les témoignages des suspects utilisent un procédé de flash-back pour représenter de nouveau la scène, parfois immédiatement de leur point de vue.
[2] L’auteur du billet tient à préciser que pour éviter de se faire surprendre, il avait fomenté durant tout le film de nombreuses théories vaseuses, selon quoi Benoit Blanc pouvait être l’assassin, ou la victime elle-même dans un complot, ce qui n’est pas si loin de la réalité.