Platon allégorie de la caverne explication

La dernière fois, avec l’aide d’Héraclite puis de Parménide, nous vous avions laissés – c’est cela aussi la magie de la métaphysique – dans un état confinant à l’acatalepsie la plus pure. Reprenons tout de même calmement notre chemin de montagne. Cette fois, nous avons un guide choisi parmi les plus excellents pour arpenter cette insaisissable géographie : le « divin Platon » en personne, qui se propose, pour nous, de tracer le chemin droit, entre les abîmes ouverts par Parménide et Héraclite. 

Platon et le mythe de la caverne

La démarche de Platon est aujourd’hui la nôtre : comment concilier l’évidence de l’irréfutable écoulement des choses (tout change nous dit Héraclite) avec la possibilité d’établir une science (qui ne peut être fondé que sur de l’immobile, c’est-à-dire où l’on admet de façon nécessaire, absolue et éternelle que 2+2=4) ? La science est-elle donc seulement possible ? Si elle ne l’est pas, alors nous ne pouvons rien connaître vraiment. Si nous ne pouvons rien connaître vraiment, alors il nous faut soit nous résoudre à vivre sans la vérité, soit il nous faut nier même que la vérité existe. Dans les deux cas, la philosophie socratique, en tant que recherche de la sagesse par la connaissance, est menacée. Alors surgit Platon.

De la théorie des Idées ou la naissance du dualisme

Pour résoudre cette équation apparemment impossible, Platon propose les choses ainsi :
Dans le monde α, tout change, comme chacun l’expérimente tous les jours : je me lève le matin chaque fois différent de celui que j’étais au soir. Donc nous pouvons dire que le soir je suis A et le matin je suis B. Ce monde, Platon le nomme le monde sensible : c’est celui que nous appréhendons par les sens et l’expérience (le monde réel, physique, phénoménal).
Mais, puisqu’il faut bien trouver un dénominateur commun immobile entre A et B (moi), il faut bien qu’il y ait un monde β, dans lequel ma forme serait la même tout le temps, disons Z. Ce monde, Platon le nomme le monde intelligible ou monde des Idées ou des Formes : il s’agit d’un monde immatériel constituant une sorte de plan du premier.
Pour mieux comprendre sa proposition, Platon s’est fait pédagogue et nous offre dans sa République, une allégorie aujourd’hui célèbre, celle de caverne.
Imaginons des hommes enchaînés au fond d’une grotte de manière à ce qu’ils ne puissent regarder autre chose que le fond de la grotte (ouais, c’est une expérience de pensée). Derrière eux, un feu, devant lequel on place des objets de manière à projeter sur le fond de la grotte des ombres.
Quelle expérience des choses auraient ces hommes-là qui ne verraient rien d’autre que ce spectacle ? Assurément, ils tiendraient ces illusions pour des choses vraies. Tels sont les hommes qui ne voient que le monde sensible et ne peuvent constater que l’apparence de changement éternel.
Le philosophe, lui, voit la supercherie. Il ose non seulement se tourner vers les objets, mais encore sortir de la grotte pour apprécier la vérité lumineuse. En se servant de sa raison seule et en refusant de se laisser duper par ses sens, il accède au monde intelligible et voit la vérité par-delà l’illusion.

Platon allégorie de la caverne
L’allégorie de la caverne (Source)

En dédoublant le monde (on parle de dualisme), Platon résout non seulement la tension entre les théories héraclitéennes et éléates, mais il produit une inclination de la pensée telle qu’elle implique des conséquences gigantesques. Poursuivons.

1 – L’âme est immortelle

Dans le Phédon, Platon relate les derniers instants de Socrate, condamné à mort par les Athéniens en -399. Socrate attend que l’on lui apporte la ciguë en présence de ses compagnons les plus chers. Ceux-ci sont désespérés de voir leur maître à penser périr, mais Socrate tient à les rassurer : son âme est immortelle. Eh quoi ? Son corps, celui qui est soumis au changement, vit dans le monde sensible, mais son âme, en tant qu’elle fait partie du monde intelligible, que peut-il lui arriver ?
Pour le prouver, Platon fait intervenir la théorie de la réminiscence : ne trouvons-nous pas, parfois, lorsque nous apprenons quelque chose, que nous savions déjà cette chose ? Le bon pédagogue, n’est-ce pas celui qui met son élève en position de « trouver par lui-même » ? D’ailleurs, tout homme, interrogé correctement dit Socrate, répond tout aussi correctement.
Pourquoi ? Parce qu’il possède des idées innées qu’il n’appartient qu’à lui de se ressouvenir (2). Aussi Socrate se présente lui-même comme un accoucheur : sa méthode de philosophie dialectique est une maïeutique, c’est-à-dire qu’elle consiste à progresser dans la recherche de la vérité par une série de questions simples jusqu’à faire naître la vérité (3).
Or, cette vérité, si elle est certes difficile à faire naître, siège toutefois en chacun de nous. Comment expliquer alors sa présence ? Socrate en conclut que cette vérité précède l’existence physique. Or, la présence d’une vérité dans l’âme avant l’existence physique ne peut mener qu’à une conclusion finale : l’âme existe avant l’existence physique ou dit autrement, l’âme est immortelle (4).
Lorsque le philosophe progresse vers la vérité grâce à la dialectique socratique, il accède peu à peu au monde intelligible et donc, de fait, s’éloigne du monde sensible, autrement dit, il « délie » son âme de son corps (5). Or qu’est-ce que la mort sinon la rupture totale entre l’un et l’autre ? En ce sens, la vie philosophique est une propédeutique à la vie après la mort.
Ainsi, la mort n’est pas à craindre (elle devient même à rechercher si l’on suit Platon jusqu’au bout) comme le dit Socrate à Criton : « Eh bien ! Il te faut garder ton sang-froid, il faut dire que ce que tu ensevelis, c’est mon corps » (6).

Platon philosophie dualisme
Du dualisme monde sensible / monde intelligible découle donc nécessairement le dualisme corps / âme.

2 – Le monde (sensible) est créé par un dieu transcendant

Puisque nous avons admis plus haut que le monde sensible est une copie illusoire du monde intelligible qui en constitue le plan, il faut bien admettre encore les choses sont en puissance avant d’être en acte, autrement dit que l’essence (ce qu’est la chose hors de la matière) précède l’existence.
Dans le Timée, Platon tente d’apprécier les conséquences cosmologiques de cette théorie, c’est-à-dire de comprendre comment le kosmos (c’est-à-dire le monde entendu comme un système) est apparu et fonctionne.

a) Premièrement, il nous faut nécessairement admettre avec Platon que le monde sensible est créé, puisqu’il l’est depuis un plan (7). La thèse de Parménide selon laquelle le monde serait incréé car immobile est donc écartée. Il y a eu un début du monde, c’est-à-dire une mise en acte d’un projet en puissance contenu dans les Idées.
b) Mais s’il y a eu une mise en acte, une édification du monde sur plan, en un mot un ouvrage, alors il faut tout aussi bien qu’il y ait un ouvrier. Platon introduit ainsi la figure du Démiurge ou dieu-créateur, œuvrant à bâtir le monde sensible selon des principes purement intelligibles, c’est-à-dire mathématiques. Mais ce Démiurge, parce qu’il appartient entièrement au monde intelligible (car il ne peut créer le monde sensible en étant lui-même dans le monde sensible) est transcendant, c’est à dire qu’il est hors, au-delà, de l’expérience commune des hommes dans le monde sensible (8).

Toutefois, en philosophant, l’homme peut, ainsi que nous l’avons vu dans la République et le Phédon, accéder en partie au monde intelligible, en ce qu’il utilise sa raison plutôt que ses sens. Entendu ainsi, on peut dire que philosopher, c’est dévoiler une partie du plan du Démiurge ou que philosopher, c’est apprendre à connaître Dieu.

Platon philosophie monde des idées

De la remise en cause de la théorie des Idées par Platon lui-même et de ses conséquences

Si nous admettons avec Platon qu’il existe deux mondes séparés (ou un seul + une illusion), alors se pose nécessairement la question de savoir quelle sorte de commerce, quelle relation entretiennent ces mondes l’un envers l’autre. Dit autrement, et selon le vocabulaire de Platon : dans quelle mesure le monde sensible participe-t-il au monde intelligible ? Ces questions sont abordées dans le dialogue socratique le plus difficile de Platon : le Parménide.
Écrit tardif de Platon, le Parménide est intéressant en ce qu’il semble remettre en cause la théorie des Idées présentée dans les écrits précédents. Comprenant les difficultés que soulève la notion de participation (9), Platon en vient à formuler trois possibilités d’ajustements pour sa théorie :

1) Le monde sensible ne participe pas au monde intelligible, auquel cas, il est difficile d’imaginer un quelconque accès au monde intelligible. Le monde sensible est donc une pure illusion et le monde intelligible n’a commerce qu’avec lui-même : « l’Un, c’est l’Un ». La vérité existerait donc, mais elle serait inaccessible.
2) Le monde sensible participe au monde intelligible, auquel cas, il est difficile d’en dire quelque chose car il est confondu avec les choses sensibles qui sont changeantes. Le monde sensible est le monde intelligible : « l’Un, c’est l’Être »
3) Le monde sensible participe et ne participe pas au monde intelligible : sa relation est fugace, insaisissable, contingente : « l’Un est et n’est pas ».

Platon philosophie vérité

Si cela vous semble abscons (et ça l’est), retenons simplement que la voie platonicienne originelle se heurte à des apories conséquentes et que les propositions de Platon, si elles ont résolu la contradiction Héraclite/Parménide, posent de nouveaux problèmes, qui nécessiteront au moins Aristote pour les résoudre. Tel sera le sujet et le point final de notre revue de la métaphysique naissante.

Notes :
(1) L’allégorie de la caverne est expliquée dans le livre VII de la République.
(2) Platon, Apologie de Socrate, Criton, Phédon, Gallimard, Paris, 1968, p. 131 ; Cette théorie apparaît aussi dans le Théétète et le Ménon.
(3) La maïeutique est particulièrement explicitée dans le Théétète.
(4) Platon, op. cit., p. 147.
(5) Ibid., p. 119.
(6) Ibid., p. 223.
(7) Platon, Timée, Critias, Flammarion, Paris, 2017, p. 117.
(8) Ibid., p. 118.
(9) Platon, Parménide, Théétète, Le Sophiste, Gallimard, Paris, 1992, p. 14.