Poèmes inspirés par l’automne

J’ai déjà évoqué, brièvement, ma volonté de trouver dans certains poèmes, parfois même fragmentaires, une puissance narrative qui épuiserait en quelques vers le besoin (la mauvaise habitude ?) consistant à se raconter des histoires ou, ce qui est peut-être une erreur, à en raconter à d’autres.
Sans doute faut-il se méfier de la douce illusion du lecteur de fiction, trop avide de faire sens et ordre à partir de quelques images, d’en retirer pour lui-même quelque secrète vertu signifiante. Contre cette mauvaise habitude, le mot d’André Breton, cité par Sartre [1], avait valeur d’avertissement : « Quelqu’un disait devant Breton : « Saint-Pol Roux a voulu dire… » — Non, monsieur, tonna Breton : s’il avait voulu le dire, il l’aurait dit. »
Mais qu’il s’agisse du « Magicien » de Rilke, de citations de poèmes dans les comics américains, des Illuminations de Seamus Heaney ou des sonnets « Ozymandias » de Percy Shelley et d’Horace Smith, il est certain que la lecture de vers essouffle aisément pour moi toute velléité d’en lire plus, et bien entendu toute ma (maigre) volonté d’écrire de la prose est aussitôt abolie de crainte de tirer à la ligne et de m’assommer à coups de banalités : Breton, encore lui ! attribuait ainsi à Paul Valéry le rejet du roman sous prétexte que noircir des pages de phrases telles que : « La Marquise sortit à cinq heures. » lui paraissait insupportable.
Or les marquises se doivent d’être en retard pour se faire désirer, et il arrive que je griffonne en attendant quelques vers de mon cru qui ne s’étendent guère au-delà de quelques respirations, puisqu’il faut se garder de se laisser entraîner trop loin par ses rêveries. Pour citer plaisamment Shakespeare dans Les deux gentilshommes de Vérone :

« Le lunatiquel’amant et le poète

Sont d’imagination trop confits. »

Neil Gaiman et Charles Vess mettent en comics Shakespeare
Extrait de The Sandman: Dream Country, 1991, par Neil Gaiman (scénario) et  Charles Vess (dessin).

Voici néanmoins des poèmes d’automne, courts et peut-être trop impromptus pour revendiquer un mérite autre que celui de passer le temps ; des exercices, à vrai dire, pour me délasser l’esprit ou le rendre moins disposé aux égarements fictionnels… Enfin, si le poème est plus inéluctable que Thanos dans Avengers, gageons que « Nous ferons mieux une prochaine fois ».

Brefs poèmes d’automne

Je sais tes noms et tes couleurs,
bien qu’aucun ne retienne
tes façons de rêver fluides
l’entremêlement du rire
et du mensonge
façonnés en beauté.
 
*
 
Je suis venu pour la musique,
j’ai senti battre un cœur, le mien,
les années dans le sang
étaient le rythme nécessaire
à la vie luxuriante,
pleine de bruits.
 
*
 
J’entendis un murmure,
mais c’était une fleur,
pas même une fleur,
un simple pétale
qui tomba dans mes mains
et devint une couleur.
 
*
 
Tu es venue pour la gloire, les étoiles ;
bien que tu n’aies trouvé que de nombreuses guerres
et que tu te sois perdue, encore et encore,
tu as tenu bon, tué la douleur,
tu as cherché davantage
jusqu’à atteindre la rive.
 
*
 
Aimer, grandir
à travers les bois du temps
qui dissimulaient leur feu intérieur
mais redoutaient de le nourrir,
aimer, semer
une carte sans territoire
où le trésor est indiqué
et la carte c’est ta peau.
 
*
 
Entre dans la nuit étoilée
avec l’espoir de l’or
qui bouge lentement
entre tes pensées à sec ;
aie soif ! un ivrogne
paint tes désirs, il a besoin
que tu t’élèves au-dessus
de tes vieilles excuses.
 
*
 
Nous avons ri parce qu’une vérité
nous a frappé d’un éclat rouge
puis nous nous sommes détendus
parce qu’enfin nos cœurs étaient proches.
 
*
 
Larmes, rendez-moi la jeunesse
que je coure sous le règne
d’un toit déchiré,
et que m’attrape la tempête ;
 
les cordes de mon cœur rompraient
pour que je découvre des façons de partir,
d’abandonner un amour derrière moi,
de m’en aller et de vivre, plus forte.
 
*
 
J’ai vu notre ancienne maison l’autre jour ;
les arbres autour se sont moqués de moi
quand j’ai rêvé d’enfants enlacés
sous leur feuillage, ils ont dit :
les fantômes se souviennent de ton sacrifice,
tu as grandi, tu as joué puis tu as chu.
 
*
 
Nous poursuivons, pour les larmes perdues et la colère,
nous luttons, à cause des nuages de l’époque,
nous chantons, durant les nuits qui noircissent notre eau,
nous grandissons, pourtant nous avons tué l’enfant en nous dans un accès de rage.]
 
*
 
Elle ne dira pas un mot, je crois bien,
et je n’étais pas préparé à un silence
si furieux que je devrais m’enfuir, je pense, au Pôle Nord
où je deviendrais le trappeur oublié, toujours amoureux.
 
*
 
Tu as donné le meilleur de toi-même, mon ami ;
qu’il n’ait pas suffi montre seulement
qu’un cadeau n’accomplit pas une vie ; tiens bon,
alors, une page attend derrière la page.
 
*
 
Je n’ai pas répondu à ton appel d’hier ;
que te seraient mes paroles,
sinon de l’eau allant à l’eau,
sans rencontrer les profondeurs ? Laisse aller.
 
*
 
La vie n’est que ta lèvre au matin neuf,
peu importe la saison, la raison, elle est
la promesse, l’espérance et le miracle
qu’épanouit le seul baiser créateur.
 
*
 
Elle vient le cœur sur la main
et chaque tour s’effondre quand elle bouge,
chaque amant crie si elle retire
sa robe pour la danse à nu, la si lente danse.
 
*
 
Tu as donné l’amour et la luxure,
nuits et jours gaspillés
tels une âme lancée dans un trou noir,
mais il y avait de la furie et du désir
quand tu as planté des fleurs sur les murs
pour une poignée de lumière.
 
*
 
Retourne-toi, détourne-toi, car cela blesse
de vivre et d’oublier sans plaisir ni tendresse
l’époque de l’or dissimulé dans la boue,
d’être l’enfant qui ne sait plus à quoi il joue.
 
*
 
Les constellations furent ébranlées
lorsqu’un arbre poussa à travers ciel
tel une flèche qui atteint sa cible :
un silence s’abattit, alors, sur la terre.
 
*
 
Dans le lointain et le froid
commence l’appel, le hurlement triste
et j’entends une réponse sauvage :
la bête en moi pleure en retour.
 
*
 
La poussière sur la fenêtre,
comme un ciel gris, empêche la lumière d’entrer,
mais un oiseau chante sa chanson de nulle part :
cette bonté inattendue lave l’âme.
 
*
 
Vous connaissez l’histoire :
d’abord le cœur pur, le nouveau départ,
puis le rythme familier, l’étreinte puissante ;
à la fin, cela froisse et émousse.
 
*
 
Je connais ma place, entre les coups d’œil
d’un futur coincé entre des frontières strictes,
génération après génération profitant du pouvoir
avant que l’éternité ne réclame sa part.
 
*
 
Amis aux portes, surprenez-moi !
Nous avons un rêve à abattre, et un arbre :
par le passé, nous nous sommes perdus dans les bois ;
dépensons tous nos souvenirs en bibelots !
 
*
 
Des racines grandit un ours au regard flamboyant :
des frissons déchirent l’écorce
jusqu’à ce que l’ours se dresse,
ses pattes couvertes d’un sang vert.
 
*
 
Mer, dis-moi dans un murmure la perte ou le gain,
la promesse liquide mariée à l’espérance, dis-moi
la rive où le navire a brisé sa proue
et comment je suis devenue la sirène au cœur noyé.
 
*
 
Nous sommes allés à la mer verte, l’un de nous souriait,
J’ai pensé que nous étions heureux malgré les mégots
tels des amants qui espèrent une dernière bouffée,
tu as dit : Je veux changer le monde, tu veux y vivre.
 
*
 
La fierté d’un homme n’est qu’un temps changeant,
faite de tempêtes et de jardins paisibles qui crient
l’un sur l’autre, chaque cœur une chanson chantée
au seul survivant, l’oiseau de proie.
 
*
 
Le chat encore et encore tenta sa chance
contre le vieil oiseau qui connaissait la dance,
griffes et bec se rencontrant davantage
jusqu’à ce que les plumes finissent en gage.
 
*
 
Dans les champs nocturnes, parfois je rêve
d’un hérisson menteur qui prétend se souvenir
du temps où les collines se couvraient d’étoiles,
et je m’interroge : le ciel était-il un bol vide ?
 
*
 
Les pauvres croyaient à la fin de l’humiliation
par les façons de mourir : pour eux, rien
ne restait à conquérir, et l’amour lui-même,
pensaient-ils, devrait se rendre.
 
*
 
Nous irons sur la grande mer
dont les vagues sont des dents,
nous naviguerons et partirons
pour un baiser sous un soleil de sel !
 
[1] Jean-Paul Sartre, « La Jeunesse piégée », Le Nouvel observateur, 17-23 mars, 1969, réimprimé dans Situations, Paris, Gallimard, 1972, tome 8, p.246.