« Clown In the Moon » (« Clown dans la lune », ou encore « Clown sur la lune ») est semble-t-il un poème de jeunesse de Dylan Thomas. Il l’aurait écrit à l’âge de quatorze ans, ce qui en ferait un de ses premiers poèmes, sinon le premier. Il n’a pas été repris en recueil, mais le titre a suffisamment marqué pour être réutilisé et évoquer parfois Dylan Thomas lui-même.
J’en propose ci-dessous trois traductions personnelles, suivies du poème en anglais ainsi que d’une traduction publiée d’Alain Suied, et d’un bref commentaire.
Clown In The Moon – traductions
Clown dans la lune [1ère version, plus littérale.]
Mes larmes sont comme la douce dérive
Des pétales tombés de quelque rose magique ;
Tout mon chagrin s’écoule de l’abîme
Des cieux et neiges oubliés.
Je crois, si je touchais la terre,
Qu’elle s’effondrerait ;
Elle est si triste et belle,
Si frissonnante comme un rêve.
Clown dans la lune [2ème version, qui propose d’hésiter sur le sens du « It » du vers 7.]
Mes larmes sont telles les discrets détours
De pétales chus d’une rose magique ;
Et toute ma peine se déverse depuis la faille
De cieux et de neiges effacés.
Je pense que, si j’atteignais la terre,
Elle tomberait en morceaux ;
C’est tellement triste et beau,
Tel un rêve qui tremble.
Clown dans la lune [3ème version, qui suit le schéma de rimes de la première strophe anglais ; le premier quatrain est en alexandrins, le deuxième quatrain est en octosyllabes à l’exception du sixième vers, un hexasyllabe, puisque ce vers est également plus court dans le texte anglais.]
Mes larmes sont comme le tracé silencieux
Des pétales tombés d’une rose enchantée ;
Et toute ma douleur s’échappe hors du grand creux
De cieux et de neiges que j’ai occultés.
Je crois, si je touchais la terre,
Qu’elle s’écroulerait ;
Elle est si malheureuse et belle,
Comme un rêve par ses frissons.
Clown In The Moon
My tears are like the quiet drift
Of petals from some magic rose;
And all my grief flows from the rift
Of unremembered skies and snows.
I think, that if I touched the earth,
It would crumble;
It is so sad and beautiful,
So tremulously like a dream.
Autre traduction
La traduction ci-dessous serait due à Alain Suied (1951-2008), qui a notamment traduit Dylan Thomas pour les éditions Gallimard (Vision et Prière et autres poèmes, 1991). Elle aurait été publiée dans le n°30 de la Revue Improbable, revue publiée entre 2000 et 2006 et qui compte trente-deux numéros en tout.
Clown sur la lune
Mes larmes dérivent comme
Les pétales d’une rose magique
Et toute ma douleur coule
De la faille des cieux et de neiges sans nombre.
Je pense que si je retombais
Sur terre, je m’effriterais ;
C’est si triste et beau
C’est le tremblement d’un rêve.
Pistes d’analyse
En 1928, alors qu’il a quatorze ans, Dylan Thomas est un élève médiocre d’un collège (Grammar School) de Swansea, ville du pays de Galles, mais il est investi dans la revue du collège et en devient même le rédacteur en chef. En juin 1928, il emporte une épreuve d’athlétisme (le mile), et conserve jusqu’à sa mort une photographie de sa victoire. « Clown In the Moon » est écrit donc écrit dans le contexte d’une vie adolescente, avec ses hauts et ses bas, encore éloignée toutefois du deuil exprimé dans le fameux « Do Not Go Gentle Into That Good Night » que Dylan Thomas écrit adulte, en 1947.
Le poème est composé de deux strophes de quatre vers, deux quatrains, donc, qui suivent le schéma de rimes : ABAB CDEF. La disparition des rimes dans la deuxième strophe peut s’expliquer assez logiquement : le premier quatrain expose le chagrin du locuteur, tandis que la deuxième évoque l’effondrement possible de la Terre et le tremblement d’un rêve. Ainsi, les rimes disparaissent dans le même tremblement.
La première strophe paraît donc plus musicale : on peut ainsi distinguer des rimes internes, « rose » rimant avec « flows » et « snows », vers 2, 3 et 4, et « skies » trouve par allitération un écho avec « snows » vers 4. On peut relever aussi une assonance au premier vers, « like » et « quiet » comprenant la voyelle « i » longue qui est reprise dans « skies » au vers 4. Le jeune poète utilise aussi un autre procédé sonore, l’anaphore, en répétant « Of » au début des vers 2 et 4. Tout cela renforce l’unité du premier quatrain qui est constitué d’une seule phrase, avec un point virgule à la fin du deuxième vers qui ralentit le rythme, et dont les vers s’enchaînent deux par deux par enjambement.
La première strophe, en commençant par « My », incite à identifier le locuteur et fait le lien avec le titre qui est donc partie intégrante du poème : le lecteur en effet est amené à associé la première personne du poème au « clown » du titre, sans que le mot « clown » apparaisse dans les vers. Les deux premiers vers convoquent le registre merveilleux, qu’il est tentant d’associer à l’enfance : les larmes du clown, comparées aux pétales qui tombent d’une rose magique, donnent aussitôt une image de la tristesse mais aussi d’un monde extraordinaire. Cette image est renforcée par les métaphores hyperboliques des deux vers suivants. : » all my grief flows », » unremembered skies and snows », la neige faisant le lien avec le paysage lunaire glacé. Le clown est donc triste, variation du Pierrot français (« Au clair de la lune »), et sa tristesse mobilise d’immenses espaces concrets (les cieux, la neige) pour exprimer de façon lyrique un sentiment dont la cause n’est pas connue, voire oubliée (« unremembered »), ce qui ajoute encore à sa dimension tragique.
La deuxième strophe envisage un changement de perspective : le locuteur explore verbalement une possibilité, rendu par la conjonction « si » (« if I touched the earth » vers 5), mais qui n’aboutirait qu’à une catastrophe élémentaire. Le chagrin du clown serait ainsi trop lourd pour la terre, celle-ci ayant peut-être la fragilité du rêve : il est difficile de déterminer exactement à quoi renvoie le « it » du vers 7, s’il s’agit de la Terre ou de l’émotion du clown. On peut néanmoins relever encore une fois l’utilisation de l’anaphore avec la répétition de « It » au début des vers 6 et 7, qui favorise l’idée que ce « It » renvoie au même sujet, la « Terre », donc. Celui-ci, dans cette strophe, paraît pourtant moins submergé par l’émotion, puisqu’il est dans l’expérience de pensée, « I think » précise-t-il, et le rythme de ce quatrain est plus lent que le précédent, avec plus de virgules et aucun enjambement. Le clown, en tout cas, n’a semble-t-il jamais posé le pied sur Terre, ce que suggère l’emploi du passé de « touched », au lieu d’un présent moins hypothétique. La conséquence de l’expérience de pensée fait l’objet du vers le plus bref du poème, « It would crumble » étant moitié plus court que les autres, comme si l’effondrement avait lieu à l’intérieur du vers même. La Terre (ou le réel ?) devient donc ce lointain dont la douleur nous sépare. Mais ce lointain est peut-être la source du chagrin, ou une source supplémentaire, puisqu’il est qualifié de « so sad and beautiful », cette triste beauté étant telle que le locuteur doit douter de son existence : il l’assimile finalement à un rêve (« dream »), comme si elle était finalement le fruit de son imagination (sur le thème de l’œuvre et de sa pérennité, on pourra relire « Ozymandias » de Shelley). On peut d’ailleurs remarquer que le poème s’ouvre et se ferme ainsi par des comparaisons, « My tears are like the quiet drift » du vers 1 trouvant un pendant au dernier vers avec « So tremulously like a dream », comme si la fin du poème devait ramener à son début.
Compléments
Le titre du poème a notamment inspiré un spectacle au sujet de la vie de Dylan Thomas : le comédien Rhodri Miles interprète Dylan Thomas dans une mise en Gwynne Edwards. On peut entendre une lecture du poème dans une vidéo de présentation de The Rogue Theatre, qui par ailleurs met en scène Under Milk Wood (Au bois lacté,), à l’origine pièce radiophonique de Dylan Thomas.