Do Not Go Gentle Into That Good Night de Dylan Thomas, traduction, analyse et postérité
Dylan Thomas (1914-1953), grand poète gallois et buveur formidable au point d’en mourir, écrivit en 1947 son poème Do Not Go Gentle Into That Good Night (titre donné d’après le premier vers), pendant un voyage en Italie. En français, le film Interstellar a popularisé la traduction « N’entre pas docilement dans cette douce nuit ».
Contexte d’écriture
Le poème (une villanelle, voir plus bas) fut publié une première fois en 1951 dans la revue littéraire internationale Botteghe Oscure, basée à Rome, qui éditait des articles en plusieurs langues (dont la moitié en anglais). Il est ensuite inclus dans le recueil In Country Sleep, And Other Poems, paru en 1952.
Il est souvent suggéré ici et là que Thomas écrivit « Do not go gentle into that good night » parce que son père (David John Thomas) était agonisant, mais d’autres font remarquer que celui-ci ne mourut pas avant Noël 1952. Le fait est que David John Thomas a longtemps été malade d’un cancer et qu’il commençait à perdre la vue quand Dylan Thomas écrivit sa villanelle, ce qui explique en partie l’importance de la lumière dans le poème.
Dans une lettre à Marguerite Caetani, fondatrice de Botteghe Oscure, Dylan Thomas déclare : « La seule personne à qui je ne peux montrer le poème (ci-inclus) est, bien entendu, mon père, qui ne sait pas qu’il est mourant. »
[“The only person I can’t show (the enclosed) poem to is, of course, my father, who doesn’t know he’s dying.”]
Dylan Thomas to Marguerite Caetani
La traduction « N’entre pas docilement dans cette douce nuit »
Le poème n’est pas entièrement traduit pour le film Interstellar, dont Frédéric Cerdal, qui double Michael Caine, lit deux strophes au cours d’une scène spatiale. On les trouvera ici transcrites :
N’entre pas docilement dans cette douce nuit,
Le vieil âge doit gronder, tempêter, au déclin du jour,
Hurler, hurler à l’agonie de la lumière.
Si le sage sentant la fin sait que les ténèbres sont justes,
Car ses mots n’ont point forgé de foudre,
Il n’entre pas docilement dans cette douce nuit,
Hurle, hurle à l’agonie de la lumière.
Voilà maintenant la version originale du poème :
Do Not Go Gentle Into That Good Night
Do not go gentle into that good night,
Old age should burn and rave at close of day;
Rage, rage against the dying of the light.
Though wise men at their end know dark is right,
Because their words had forked no lightning they
Do not go gentle into that good night.
Good men, the last wave by, crying how bright
Their frail deeds might have danced in a green bay,
Rage, rage against the dying of the light.
Wild men who caught and sang the sun in flight,
And learn, too late, they grieve it on its way,
Do not go gentle into that good night.
Grave men, near death, who see with blinding sight
Blind eyes could blaze like meteors and be gay,
Rage, rage against the dying of the light.
And you, my father, there on the sad height,
Curse, bless, me now with your fierce tears, I pray.
Do not go gentle into that good night.
Rage, rage against the dying of the light.
Voici maintenant une traduction personnelle (de Thomas Spok, donc, datée de 2020) :
N’entre pas courtois dans cette bonne nuit,
Le grand âge devrait s’embraser, fulminer au crépuscule ;
Rage, enrage contre l’agonie de la lumière.
Quoique les sages à leur terme sachent que l’obscur l’emporte,
Parce que leurs mots n’ont déchaîné nulle foudre ils
N’entrent pas courtois dans cette bonne nuit,
Les bons, après la déferlante, s’écriant combien splendides
Leurs actes frêles eussent dansé dans une baie verdoyante,
Ragent, enragent contre l’agonie de la lumière.
Les insensés, qui saisissaient le soleil en vol et le chantaient,
Et apprennent, trop tard, qu’ils l’accablaient dans sa course,
N’entrent pas courtois dans cette bonne nuit.
Les hiératiques, près de mourir, qui voient aveuglément
Qu’aveugles des yeux pourraient fuser tels des météores et joyeux,
Ragent, enragent contre l’agonie de la lumière.
Et toi, mon père, du haut de la triste altitude,
Maudis, bénis-moi maintenant de tes larmes cruelles, je t’en prie.
N’entre pas courtois dans cette bonne nuit.
Rage, enrage contre l’agonie de la lumière.
Par ailleurs, le lecteur pourra lire avec intérêt une traduction de Lionel-Édouard Martin (suivre le lien pour lire sa version), lui-même poète et romancier : il a choisi de transposer le pentamètre iambique anglais en alexandrin avec césure à l’hémistiche, respectant ainsi la régularité du classicisme métrique de l’original (on en donnera ici qu’un extrait) :
N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit,
Les vieux devraient tonner, gronder quand le jour tombe ;
Rage, mais rage encor lorsque meurt la lumière.
Si le sage à la fin sait que l’ombre est la norme,
Comme aucun de ses mots n’a fourché en foudre il
N’entre pas apaisé dans cette bonne nuit.
Il est à noter qu’on peut lire également la version traduite par Alain Suied dans la collection poche Poésie/Gallimard (nrf), dans un recueil intitulé Vision et Prière et autres poèmes (la traduction du poème remonte à 1979). Le titre donne « N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit » et la traduction :
N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit,
Le vieil âge devrait brûler et s’emporter à la chute du jour ;
Rager, s’enrager contre la mort de la lumière.
Bien que les hommes sages à leur fin sachent que l’obscur est mérité,
Parce que leurs paroles n’ont fourché nul éclair ils
N’entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.
Les hommes bons, passée la dernière vague, criant combien clairs
Leurs actes frêles auraient pu danser en une verte baie
Ragent, enragent contre la mort de la lumière.
Les hommes violents qui prirent et chantèrent le soleil en plein vol,
Et apprennent, trop tard, qu’ils l’ont affligé dans sa course,
N’entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.
Les hommes graves, près de mourir, qui voient de vue aveuglante
Que leurs aveugles pourraient briller comme météores et s’égayer,
Ragent, enragent contre la mort de la lumière.
Et toi, mon père, ici sur la triste élévation
Maudis, bénis-moi à présent avec tes larmes violentes, je t’en prie.
N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit.
Rage, enrage contre la mort de la lumière.
Écouter Dylan Thomas lire « Do not go gentle into that good night »
Après la Seconde Guerre mondiale, Dylan Thomas et sa famille ont des difficultés financières : Thomas accepte alors d’écrire et enregistrer une séries d’émissions pour la BBC qui rencontrent le succès. De 1945 à 1948, plus d’une centaines d’enregistrements font entendre sa poésie, mais aussi des débats littéraires ou des critiques diverses. Lorsqu’il écrit « Do not go gentle into that good night », Thomas est une célébrité de la radio, et il est logique qu’il ait choisi d’enregistrer une lecture de son poème, que l’on peut écouter ci-dessous :
Éléments d’analyse
Le poème de Dylan Thomas évoque la volonté d’en découdre jusque dans l’agonie, quand bien même il est impossible d’en triompher (on songera sur ce sujet au poème « La tour noire » de Yeats).
Les strophes montrent comment différentes personnes se comportent face à la mort, de l’homme « sage » de la deuxième strophe au propre près de Thomas dans la sixième. Il s’agit pour chacun de faire un bilan de la vie écoulée, de ce qui a été fait ou non, et dans ce dernier cas d’exprimer des regrets : « words had forked no lightning » dans le cas du sage.
Ce parcours de témoignage en témoignage est renforcé par le procédé de l’enjambement, par exemple dans la cinquième strophe :
Grave men, near death who see with blinding sight [enjambement]
Blind eyes could blaze like meteors and be gay.
On remarquera le passage de « blinding » à « blind », l’affaiblissement ou la perte de la vue due au grand âge permettant paradoxalement, en apparence, une meilleure vision de la vie menée. L’enjambement permet aussi de souligner le mouvement de la lecture et de la vie qui est donc aussi celui du temps qui mène, inéluctable, à la mort défiée. Celle-ci est assimilée évidemment à la nuit, image récurrente qui se décline par le biais de l’obscurité, du soleil faiblissant (« The sun in flight ») : or elle est présentée aussi d’une façon positive, « good night » qui est aussi image d’un paradis ou du moins d’un repos.
On pourra aisément faire le lien avec la maladie du père de Dylan Thomas (« my father ») pour qui la mort pouvait représenter la fin des souffrances dont il connaissait symboliquement les sommets, au plus près donc de la mort (« sad height »). Or pour le poète, ainsi que le rappelle le refrain, il est hors de question d’accepter la mort quand bien même elle apparaîtrait comme un soulagement.
Dans l’ensemble, le poème développe une structure argumentative, de l’impératif de la première strophe, appliqué ensuite à différents types de personne (hommes sages, bons, sauvages, sérieux…) jusqu’au quatrain conclusif : il s’agit toujours de refuser de se soumettre à la mort et d’inciter finalement la figure paternelle à enrager à son tour, selon les modèles qui lui sont fournis.
On insistera brièvement sur l’importance de l’adjectif « gentle » dans le texte original, parfois considéré comme une faute de grammaire (intentionnelle) alors que l’anglais attendrait l’adverbe « gently » : on peut suggérer que l’adjectif renvoie bien au sujet à qui est adressé l’injonction (« do not go gentle » impliquant un « you », c’est-à-dire une adresse au lecteur, au père), tandis que l’adverbe « gently » s’appliquerait à l’action (« go »). L’adjectif fonctionnerait donc ici selon un principe d’ellipse grammaticale qui fait ressortir le vers.
Un genre poétique, la villanelle
Forme classique stricte et répandue dans la poésie anglaise, la villanelle respecte plusieurs critères :
– elle est constituée de dix-neuf vers répartis en cinq tercets et un quatrain final ;
– elle est écrite en pentamètre iambique, vers fréquent de la poésie anglaise qui consiste à faire suivre une syllabe non accentuée d’une syllabe accentuée ;
– seuls deux types de rimes sont utilisés tout le long du poème : la rime en -ight (« night », « light », « brigh »…) et la rime en -ey (« they », « day », « bay »…) ;
– le premier vers entier est répété aux sixième, douzième et dix-huitième vers ;
– le troisième vers est répété aux neuvième, quinzième et dix-neuvième vers.
Exemple de modèle, appliqué par Dylan Thomas : A1 b A2 / a b A1 / a b A2 / a b A1 / a b A2 / a b A1 A2.
On constate ainsi que dans le poème de Dylan Thomas, les vers « Do not go gentle into that good night » et « Rage, rage against the dying of the light » servent de refrain.
La villanelle est traditionnellement associée aux thèmes pastoraux, à la nature, aux choses simples. De ce point de vue, le thème de la mort dans le poème de Thomas est compris comme partie du cycle naturel de la vie.
Postérité musicale
La popularité du poème de Dylan Thomas a conduit des musiciens à s’en inspirer pour des hommages musicaux très variés.
Igor Stravinsky avait ainsi envisagé une collaboration avec Dylan Thomas pour une oeuvre de théâtre musical. Dès 1954, Stravinsky compose en mémoire du poète le chant funèbre In Memoriam Dylan Thomas. Il s’agit d’un chant pour ténor, quatre trombones et quatuor à cordes d’une durée d’environ huit minutes que l’on peut entendre sur youtube.
Le deuxième mouvement est consacré à « Do not go gentle into that good night », chanté par le ténor.
En 1989, c’est le musicien gallois John Cale (ancien membre du groupe Velvet Underground) qui utilise des poèmes de Thomas pour son album Words for the Dying, composé en réaction à la guerre des Malouines de 1982 qui oppose le Royaume-Uni à l’Argentine. Sur la face B de l’album se trouve notamment un enregistrement de « Do not go gentle into that good night » :
En 2015, le rappeur G-Eazy lit le début du poème en « Intro » de son album When It’s Dark Out, gros succès de la période qui contribue encore à faire découvrir le poème (plus d’un million de disques vendus) !
Plus récemment, le « parrain du Punk » Iggy Pop a proposé sa propre version intégralement lue du poème pour son album Free (2019), dont « Do not go gentle into that good night » occupe l’avant-dernière place. Une agence de pub avait contacté le rocker pour qu’il lise le poème en voix d’une publicité : le chanteur vieillissant s’est d’abord montré peu enthousiaste, associant le poème à la scolarité (« Je ne suis pas au lycée ! » déclare-t-il), mais finalement n’a pas résisté au plaisir de l’intégrer à un disque… on peut entendre sa lecture ici, avec une trompette en fond (entre autres).
Postérité au cinéma
Le cinéma également a su se souvenir du poème de Thomas… sachant d’ailleurs tirer parti de son statut de classique scolaire, par exemple pour le film Back To school (1986) d’Alan Metter, où l’on voit l’acteur comique Rodney Dangerfield, dans le rôle de Thornton Mellon, découvrir les bancs de la fac pour encourager son fils… et lui-même s’encourage en plein examen en récitant « Do not go gentle into that good night ».
En 1996, c’est le blockbuster Independence Day de Roland Emmerich qui puise dans le poème de Thomas pour le discours patriotique du président des États-Unis joué par Bill Pullman. Celui-ci motive ses troupes avant un assaut décisif contre les envahisseurs aliens, s’exclamant très solennellement « We will not go quietly into the night » ! Curieuse utilisation, peut-être, d’un poème gallois qui n’avait rien à voir avec l’indépendance américaine…
Interstellar (2014) de Christopher Nolan a plus récemment contribué à la popularité du poème au niveau international, les vers de Thomas accompagnant en leitmotiv les différentes tentatives des personnages d’échapper à l’extinction de l’humanité : l’espérance et les lumières des étoiles contrastent avec la noirceur spatiale. On peut écouter ici une lecture de l’acteur Michael Caine (le professeur John Brand dans le film), ou encore une version interprétée par d’autres acteurs du film, dont Jessica Chastain ou Matthew McConaughey. La science-fiction et la poésie font bon ménage au cinéma (voir Yeats et Equilibirum)…
Postérité en peinture
On ne s’étonnera pas sans doute que ce soit encore un gallois qui ait voulu rendre hommage au poème de Dylan Thomas, en l’occurrence l’artiste Ceri Richards (1903-1971). Il peignit trois peintures inspirées du poème, chacune datée respectivement de 1954, 1956 et 1965.
Au sujet de la villanelle elle-même, Ceri Richards déclara : « ‘Rage, rage against the dying of the light’ est peut-être dans la nature de la contestation – mais futile. Ce vers qui revient à la fin de chaque strophe me semble affirmer la futilité de la contestation et de la proclamation. Ce sont nos oeuvres que nous laissons derrière nous. »
Référence dans un jeu vidéo
Dans le jeu League of Legends de Riot Games, les joueurs peuvent entendre de temps à autre le personnage Aatrox citer « Rage against the dying of the light », Aatrox étant lui-même un ancien « Fils du soleil » devenu un « Darkin » fou de colère…
Le poème a eu d’autres influences et continue d’inspirer au fil du temps, sous des formes diverses (le premier roman de science-fiction de George R. R. Martin se nomme par exemple Dying of the light !), ce qui d’ailleurs renforce son statut de classique… ainsi que celui de Dylan Thomas (dont le nom a notamment inspiré Robert Zimmerman pour devenir Bob Dylan !).
Ci-dessous le poème de Thomas et une traduction au format webp :
Bonjour, dans le film "Solaris" de Steven Soderbergh, sorti en 2002, il y a "And death shall have no dominion".
https://www.youtube.com/watch?v=lSOS8eSrvQY
Bonjour !
Merci pour cet article…
A mon tour, j'ai tenté une traduction personnelle de ce poème attachant.
Voilà ce que ça donne :
N'entre pas sans révolte dans cette douce nuit qui tombe
Le grand âge devrait brûler et tempêter à la dernière heure,
Se mettre en rage face à la lumière qui se meurt
Même si l'homme sage sur sa fin sait qu'il ne peut éviter l'ombre…
Conscient que ses mots n'ont pas tracé l'éclair de l'illumination
Il n'entre pas en paix dans cette douce nuit sans nom
L'homme bon, devant la vague ultime, qui se met à pleurer
En voyant combien sa frêle existence aurait pu briller et danser
Rage et enrage face à la lumière qui se meurt
L'homme libre qui, en chantant, parvint à capturer le soleil
Avant de réaliser, trop tard, qu'il avait retenu sa course à tort,
N'entre pas sans révolte dans la douce nuit du sommeil
L'homme trop sérieux, qui, au bord de la tombe, voit, en un flash de couleur,
Qu'il est possible à l'oeil aveugle de s'enflammer comme un joyeux météore
Rage et enrage face à la lumière qui se meurt
Et toi, mon père, qui te trouves là, sur ces tristes hauteurs
Maintenant, je t'en prie, maudis-moi, bénis-moi de tes larmes de fureur
N'entre pas sans révolte dans cette ultime noirceur
Et hurle ta rage face à la lumière qui se meurt
.
La Licorne
(d'après Dylan Thomas)
Merci de partager cette traduction ! Vous avez réussi à proposer plusieurs fois des rimes, je suis toujours impressionné de voir cela, c'est tellement difficile. La notion de "révolte" pour restituer "not… gentle" est audacieuse, peut-être correspond-elle bien à l'esprit français…
J'apprécié beaucoup vos traductions pcq, en repectant la définition de la traduction en tant que telle , votre travail est un exerciced de doutes et d'inquiétudes. Un travail inachevé; l'incomplétude même. Soyez en remercié.
Mais vous me voyez très touché par vos mots trop aimables.