analyse La Revanche du yaourt

When the Yogurt took Over (La Revanche du yaourt) – Love, Death and Robots

Le lecteur curieux pourra lire cet article de présentation pour apprendre quelques petites choses sur la conception de la série de courts-métrages Love, Death and Robots pour Netflix.

Laissez faire le yaourt

When the Yogurt took Over (La Revanche du yaourt) est à l’origine une nouvelle de John Scalzi, auteur américain de science-fiction. La nouvelle a été adaptée pour la série par la scénariste Janis Robertson, dont c’est la seule contribution pour la série.
Comme les autres nouvelles de John Scalzi adaptées pour Love, Death and Robots, celle-ci est devenue un court-métrage grâce aux réalisateurs Alfredo Torres et Victor Maldonado, tandis que l’animation provient de Blow Studio qui a aussi produit Les Trois robots.

When the Yogurt took Over La Revanche du yaourt
L’intolérance au lactose ne vous sauvera pas.

La nouvelle When the Yogurt Took Over

When the Yogurt Took Over (La Revanche du yaourt), écrite en 2010, est disponible en anglais, sur le site de John Scalzi. Celui-ci déclare avoir écrit cette pochade en une heure pour la publier sur son blog et amuser ses lecteurs. Dans cette histoire, un yaourt américain génétiquement modifié résout tous les problèmes de l’humanité, tel le réchauffement climatique, mais demande beaucoup en échange…
L’auteur a aussi indiqué avoir écrit cette nouvelle en réaction au roman de la philosophe objectiviste Ayn Rand, La Grève (Atlas Shrugged, réputé pour être un des livres les plus influents aux États-Unis après la Bible !), dont il est en quelque sorte la parodie ; l’idée de départ de Rand est, en ses propres termes : « Et si tous les esprits créateurs du monde se mettaient en grève ? »
Comme Histoires alternatives (nouvelle humoristique sur différentes versions de la mort d’Hitler), La Revanche du yaourt a été publiée dans une anthologie de nouvelles de John Scalzi, qui coûte aujourd’hui 250 dollars, et dont aucune traduction française ne paraît exister.

analyse La Revanche du yaourt
Selon John Scalzi, les « meilleurs » sont des imbéciles comme les autres.

Ayn Rand et l’objectivisme

Même si Revanche du yaourt est un récit burlesque cohérent en tant que tel, il s’enrichit quelque peu lorsqu’on tient compte de l’intention satirique de John Scalzi à l’égard d’Ayn Rand et sa philosophie de l’objectivisme. Cette dernière est très populaire aux États-Unis et en particulier dans les milieux conservateurs.
On peut retenir en particulier sa doctrine du « vivre pour soi », réduite parfois à une conception égoïste du monde. Pour Ayn Rand, il s’agit de défendre l’idée d’un homme rationnel (et athée), dans une société où l’état gérerait spécifiquement le pouvoir judiciaire et serait garant du contrat entre les citoyens.
De ce point de vue, l’éthique de Rand s’inscrirait dans la logique des Pères fondateurs des États-Unis. L’aboutissement logique de cette éthique implique qu’un homme soit jugé sur ses seules actions et le laissez-faire est le garant des libertés individuelles.
Ayn Rand est devenue une figure de la culture pop et de la science-fiction, et elle a eu droit à des références humoristiques dans des séries telles que FuturamaSouth ParkWarcraft 3BioShock… et son livre Atlas Shrugged a même eu droit à une trilogie de films aux budgets médiocres et réputés pour leur médiocrité…
Le livre en tout cas développe l’idée des « hommes d’esprit » irremplaçables, dont surtout John Galt, entrepreneur-philosophe-scientifique, soit le super-héros du capitalisme libertarien.

love death and robots La Revanche du yaourt
Qu’arriverait-il si l’humanité était coincée seule dans l’espace ?

Le court-métrage When the Yogurt Took Over (La Revanche du yaourt)

When the Yogurt Took Over, d’une durée de six minutes, suit fidèlement le déroulement de la nouvelle de John Scalzi, essentiellement comique malgré une morale plus inquiétante. L’animation, elle, pourra évoquer les visages et les couleurs du film Là-Haut (Up) de Pixar.
La voix du narrateur est celle de Maurice LaMarche (doubleur entre autres pour des dessins animés, tels Futurama), qui prend la parole au nom de l’humanité et rapporte, sous forme de flashback, la façon dont le yaourt résout le problème de la fusion et demande (avec la voix d’Alexia Dox) au président des États-Unis l’état de l’Ohio.
Le yaourt continue d’y évoluer et propose un plan parfait pour résoudre les problèmes économiques, mais, dans la logique de John Scalzi, les humains ne peuvent pas s’empêcher de modifier le plan : même les experts nuisent à l’humanité !
On peut facilement y voir le rejet des théories d’Ayn Rand qui prône entre autres le laissez-faire capitaliste et, du moins selon John Scalzi, un gouvernement fantasmé des meilleurs. Or, selon lui :

le monde idéalisé créé par Ayn Rand pour faciliter sa théorisation pieuse n’a pas plus de connexion logique avec notre réalité qu’un monde dans lequel un auteur a imaginé l’humanité sous la direction de pots de yaourt.

Le yaourt du court-métrage finit par placer l’humanité dans un état de dépendance totale, sans possibilité de révolte puisque la seule alternative est la catastrophe. Mais le bonheur de cette humanité a pour pendant la crainte métaphysique d’être abandonné par le nouveau Dieu yaourt : en somme, le fantasme humain du sur-humain est, essentiellement, au pire une mauvaise politique, au mieux de la science-fiction.