Glorifié au mont Rushmore, George Washington fait figure de clé de voûte de l’Histoire des États-Unis. Devenu célèbre pendant la guerre d’Indépendance américaine, il est l’un des pères fondateurs de la nation étasunienne.
En 1789, il devient le premier président de la toute jeune République américaine alors qu’il approche la soixantaine. Or les jeunes années de cet homme, glorifié pour ses actions d’homme mûr, sont très peu connues (surtout en France).
Pourtant, sa vie antérieure mérite le détour. Loin du mythe gravé dans la pierre, loin de la rédaction de la Constitution américaine, le jeune George apparaît près de trente ans auparavant dans l’Histoire de l’Amérique du Nord.
Il est sujet de la couronne d’Angleterre, natif de la colonie de Virginie. À l’époque, les États-Unis n’existent pas encore et les Britanniques contrôlent les Treize Colonies le long de la côte est. Tout autour, l’empire colonial français occupe près des deux tiers de l’Amérique du Nord. Pour information, nous avons déjà publié un article sur cette période peu connue et pourtant fascinante.
George Washington responsable d’une guerre mondiale ?
Fils d’une riche famille de planteurs virginiens. George Washington est très tôt engagé dans la milice de la colonie, pour la défendre ou mener des actions contre les Français. Choisi comme simple messager, ses actions vont mener au déclenchement d’une guerre terrible qui touchera le monde entier : la grande « Guerre de Sept Ans » (1755-1763).
Je peux vous en parler avec précision grâce à la lecture d’un bon ouvrage : La guerre de Sept Ans de E. Dziembowski. Une bonne partie des faits et des citations en sont tirées.
Comment l’inexpérimenté milicien G. Washington a-t-il pu bien déclencher un conflit mondial ?
Le messager éconduit
Principale guerre du XVIIIème siècle, la « guerre de Sept Ans » a été le théâtre d’une confrontation farouche entre le royaume de France et le royaume d’Angleterre. La guerre touche la quasi-totalité de l’Europe comme la Prusse et l’Autriche qui se livrent à des batailles saignantes pour l’hégémonie en Europe centrale, chaque puissance choisissant son camp.
Les combats iront jusqu’en Inde où les comptoirs français et anglais se retrouvent entraînés dans la spirale guerrière.
Avec George Washington, nous verrons que cette proto-guerre mondiale a été déclenchée en Amérique du Nord et plus précisément dans l’Ohio.
Cette région est située à la frontière des deux empires d’Amérique du Nord : à l’est, la colonie britannique de Pennsylvanie ; à l’ouest, l’Amérique française et la région des grands lacs proche des villes de Montréal et Québec, capitale administrative de la colonie.
Cette vaste zone entre le Lac Érié et les Appalaches, peuplée d’Amérindiens comme les Delawares, va être la poudrière du conflit.
Pour les deux ennemis intimes, le contrôle de la région va apparaître comme fondamental, ce qui expliquera la montée des tensions. En effet, chacun y voit un danger potentiel d’invasion si l’ennemi s’y implante un peu trop.
À l’époque, les signes extérieurs d’occupation sont matérialisés par des forts, plus ou moins bien protégés, parfois bâtis en quelques jours. Il en existe des centaines en Amérique du Nord.
Jeune milicien, George Washington apparaît pour la première fois dans l’Histoire comme un simple messager. À vingt-et-un ans, il reçoit un ordre du gouverneur de Virginie lui-même. Il doit transmettre une lettre à l’ennemi français : il faut cesser les avancées dans l’Ohio !
Le 11 décembre 1753, il est accueilli avec politesse au fort Le Bœuf par le commandant La Gardeur. Cependant, il est durement éconduit et La Gardeur avertit Washington qu’il ne doit pas s’attendre au départ des Français : pire, les droits du roi de France sont « incontestables » et les français ne resteront pas immobiles…
L’affaire de Jumonville
Le 16 avril 1754, une troupe française menée par l’officier Contrecœur attaque un petit fortin britannique au niveau des fourches de l’Ohio. Sans aucun combat, le commandant Ward se rend et les Britanniques sont renvoyés avec « les honneurs de la guerre » [1].
Les Français s’attèlent aussitôt à construire l’un des plus grands forts d’Amérique française : le Fort Duquesne, « le plus éloigné des possessions françaises » (région actuelle de Pittsburg). Le message de Washington n’est définitivement pas bien passé !
Pendant cette avancée française, les colons britanniques, ne sont pas restés inactifs : Washington, promu lieutenant-colonel, est envoyé dans l’Ohio avec 200 miliciens. Il a pour mission de contrer les forces françaises, cette fois-ci par la force.
Du côté français, le capitaine de Jumonville est envoyé à la tête de 35 soldats pour intimer gentiment aux Anglais de partir. L’incident diplomatique est tout proche…
Avec sa petite délégation française, Jumonville installe son camp à quelques lieues du camp adversaire. Prévenu par des alliés indigènes, Washington décide de prendre les devants : dans la nuit de 27 au 28 mai, Washington cerne le camp des Français avec une quarantaine de miliciens et épaulés par les hommes du demi-roi indigène Tanaghrisson.
S’en suit une offensive précédée par deux décharges de mousquets.
L’Anglais ivre de sang pousse un cri dans cieux,
Et sa barbare joie étincelle en ses yeux. [2]
C’est ici que les faits divergent. Selon Washington,
après un engagement d’environ quinze minutes, nous en avons tué dix, blessé un et pris vingt-et-un prisonniers. Parmi les tués, il y avait M. de Jumonville, leur commandant.
Une escarmouche tout à fait banale selon lui. Cependant, c’est la furie chez les Français qui vont tout de suite dénoncer la barbarie du jeune lieutenant-colonel : selon les témoignages recueillis, Washington est accusé d’avoir laissé le demi-roi massacrer des Français.
« George le sanglant »
Contrecœur atteste que, pendant l’attaque, le commandant français demanda un cessez-le-feu ; les Britanniques
cessèrent et M. de Jumonville leur fit lire la sommation […] pendant qu’il lisait, tous nos Français approchaient contre M. de Jumonville […] Tous les sauvages qui étaient présents disent qu’il a été tué pendant qu’il écoutait lire la sommation.
Rédigeant un écrit ministériel, Contrecoeur conclut ainsi :
Je crois, Monsieur, que vous serez surpris par la façon indigne dont les Anglais agissent ; c’est ce qui ne s’est jamais vu, parmi même toutes les nations les moins policées, que de frapper sur les ambassadeurs en les assassinant.
Bien que la vérité soit impossible à distinguer clairement, il est sûr que l’incident sera extrêmement mal pris par le camp français. Cette histoire sera montée en épingle au Canada et dûment transmise au vieux continent.
Outre-Atlantique, elle servira la diplomatie française en faisant passer les Anglais comme responsables du conflit mondial. La graine d’Arès est plantée et la guerre est toute proche…
Envoyé sur une terre de tous les dangers, l’intrépide George a su déjouer la perfidie française en laissant massacrer de fourbes espions. Du moins c’est ce qu’on peut croire. Il est loin de s’imaginer que ses ennemis préparent une guerre.
Des centaines de Français assoiffés de sang préparent déjà une action violente sous couvert de défendre leur honneur. Washington va-t-il payer pour son action ? Une guerre mondiale va-t-elle enfin se déclarer ? Pourrez-vous survivre à ce suspens, en attendant la deuxième partie de cet article ?
Notes :
[1] Sous l’Ancien Régime, les « lois de la guerre » imposaient un code de valeurs aux belligérants. Lors d’un siège, si les défenseurs se rendent en ayant été courageux, ils peuvent « récompensés » par leur ennemi qui reconnait leur valeur. Ceux-ci ne sont pas faits prisonniers et peuvent rentrer chez eux (avec leurs armes !). La seule condition était de ne plus combattre pendant une période plus ou moins longue (rarement respecté).
[2] La guerre de Sept Ans, p.53.