Trois lois du genre policier
L’auteur de ce billet, en amateur gourmand du policier, et en particulier du roman à énigme et de ses déclinaisons sur le grand et petit écran, invite le lecteur à lever avec lui un pan du voile des raisons (pas si mystérieuses !) qui nous rendent le genre si attrayant. Voici donc trois petites lois, non de la robotique d’Asimov, mais du polar…
Première caractéristique, qui ?
Le whodunit (who done it) ou « qui l’a fait » désigne le sous-genre le plus fréquent du roman policier, de la nouvelle ou de la série télévisée criminels. Le but de l’investigateur est de deviner, parmi une liste de suspects prédéfinie, qui est l’abominable criminel (souvent vil assassin).
L’unité de lieu et d’action peut limiter très fortement : manoir insulaire isolé dans une tempête, yacht en transit au milieu de la mer, orient-express immobilisé par la neige… Le lieu a l’avantage scénaristique d’empêcher le criminel de s’enfuir et de l’obliger à faire attention à son propre témoignage le temps de pouvoir s’échapper des griffes du malin limier.
Si l’espace-suspect peut être largement ouvert, comme une ville, voire à l’échelle mondiale, dans ce cas les premiers indices cruciaux collectés permettront d’éliminer très rapidement les suspects (voir CSI a.k.a Les Experts, en français).
L’investigateur doit alors retracer la chronologie du crime tout en démasquant les stratagèmes de l’auteur du crime et de ses complices, qui lui ont permis de fausser les témoignages et de déterminer les impossibilités des situations[1].
Deuxième caractéristique, comment ?
Cela nous amène naturellement au deuxième type, le howdunit (how done it), ou « Comment a-t-on fait ». Dans ce cas, le crime semble impossible : la victime est plus que fortement isolée (meurtre en chambre close, hermétique, fermée de l’intérieur) ; ou le principal suspect est en impossibilité, spatio-temporelle : il est trop loin, a un alibi, ou alors la fenêtre vide de son alibi ne peut lui permettre matériellement de se rendre sur les lieux du crime et d’en revenir ; ou par moyen : il a un handicap, il est aveugle, manchot, blessé à la jambe, ne peut quitter son lit.
Agatha Christie en abuse en abondance, comme dans Meurtre sur le Nil, ou finalement l’assassin est évidemment celui qui n’avait pas la possibilité de le faire : celui qui se traîne une balle dans la jambe. Howdunit et Whodunit sont entrelacés : on ne peut deviner qui l’a fait que si on comprend son modus operandi (son mode opératoire) et inversement.
Détective Conan (manga interminable de Gosho Aoyama) a le mérite de présenter des méthodes alambiquées, à base de fil de pêche et de lois de physique étudiées au millimètre, pointant irrémédiablement l’un des trois suspects mis à disposition du génie.
Le fin limier n’abandonne jamais une affaire, mû par force d’intuition et de connaissance en criminologie, ou simplement parce qu’il ne doute pas un instant de l’innocence du principal accusé.
L’avocat Perry Mason et l’écrivaine Jessica Fletcher dans Arabesque (Murder, she wrote) usant à outrance de l’artifice de l’arrière-petit-neveu par alliance du facteur, accusé à tort et qui de facto ne peut être le criminel puisqu’il est quelqu’un de confiance, finissent par démontrer le modus operandi à tout prix pour innocenter l’accusé ou afin de poursuivre la personne dont ils ont devinée qu’elle était le véritable assassin.
Dans d’autres cas, par défi, le criminel signe : dans le film La Faille c’est le cas de Ted Crawford (Anthony Hopkins) auprès de Willy Beachum (Ryan Gosling), où il avoue en aparté son crime et met au défi l’avocat de trouver un moyen de le coincer.
Troisième caractéristique, pourquoi ?
Le troisième type, beaucoup moins employé mais toujours aussi intéressant, est le whydunit (why done it), la cause ! L’auteur du crime est alors souvent motivé indirectement – la finalité étant sans réelle variation : l’argent, la vengeance, la passion, parfois les trois – et pour remonter la piste l’enquêteur doit deviner le mobile primaire.
Voici trois exemples tirés de Monk (Mr. Monk, un ex-policier truffé de TOC, joué par Tony Shalhoub) :
– « Monk et ses collègues » où la victime non-assassinée, un trader, se fait blesser à la main et tient donc son téléphone de l’autre, ce qui permet au criminel de lire sur ses lèvres par la fenêtre et de profiter de conseils judicieux en placement (motif final : l’argent)
– « Monk et l’employée du mois » où l’assassin, après avoir tué l’employé du mois d’une supérette, bénéficie de la place de parking de cette dernière située sur une plaque d’égout, lui permettant de finaliser un cambriolage (motif final : l’argent)
– « Monk et le livreur de journaux », où le livreur de journaux du détective est assassiné, poussant Monk à éplucher le journal du jour pour comprendre quelle information a poussé l’assassin à agir ainsi – résolvant ainsi par inadvertance un crime réalisé dans une France représentée archaïquement [2]. La tueuse voulait empêcher son petit-ami, un voisin de Monk, de découvrir qu’il avait gagné à la loterie le temps de retrouver le billet gagnant (motif final : l’argent. Tiercé gagnant !).
Dans un autre registre, dans La ligue des hommes roux, un rouquin requiert les services de Sherlock Holmes pour comprendre pour quelle raison il a été employé et grassement rémunéré dans une société uniquement composé d’hommes roux pour recopier des dictionnaires. Le vrai crime n’étant évidemment pas une violation de copyright…
Le mot de la fin
À la manière des paramètres variants de la photographie (vitesse d’obturation / profondeur de champ / sensibilité ISO) permettant de saisir le bon cliché, ce triptyque : criminel / modus operandi / mobile, est une base sur lequel le barycentre oscille selon l’envie des auteurs et le mystère qu’ils veulent partager avec le public. On ne peut évidemment que jurer sur Le Crime de l’Orient-Express d’Agatha Christie où, une fois que Poirot a compris le mobile, la mécanique et surtout l’identité du criminel en découlent de nature.
(article de Rémi T.)
Notes :
[1] Aphorisme le plus connu de la littérature criminelle : « Lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité. », in Le Signe des Quatre, la première aventure de Sherlock Holmes.
[2] À noter que l’usage d’archives de presse est réutilisée, heureux hasard ou non, dans le jeu de société Sherlock Holmes : Détective Conseil, où les joueurs ont accès à un lot de coupures de journal pouvant les aider à résoudre le crime ; et également à découvrir par sérendipité, d’autres crimes qu’ils peuvent résoudre telles des quêtes annexes.
Bien intéressant article qui mériterait d'être poussé et développé.