L’enfance de Staline annonçait-elle le dictateur ?
« Face à un conflit politique, social ou économique, de toutes les solutions envisageables, il choisissait toujours la voie de la violence et les mettait en branle sans la moindre retenue » (p.37)
Voilà l’image que l’on a de l’ « Homme de fer », un idéologue meurtrier qui fit charrier les cadavres par dizaines de millions… Une nouvelle biographie de Staline nous a été conseillée par notre bibliothécaire, le Staline d’Oleg KHLEVNIUK (avant la GRANDE FERMETURE [1]). Comme à l’accoutumée, notre attention s’est rapidement portée sur la jeunesse du dictateur. Encore une fois, nous étions avides d’anecdotes croustillantes (comme Gandhi et son passage chez les femmes de joie).
Durant toute sa jeunesse, le futur Staline est surnommé « Sosso ». C’est si mignon que l’on en oublierait presque les procès de Moscou (1937-1938) où il fit assassiner tous ses anciens camarades de combat… Qu’imagine-t-on de cet enfant Staline ? Un heureux bébé adoré par une famille stable et structurante ? Non ! Il doit forcément avoir une jeunesse horrible se dit-on. Comment Staline aurait-il pu mal tourner sinon ?
Battu par son père qui était alcoolique, Sosso a souffert de longues maladies comme la variole qui a définitivement marqué son visage. Son bras était aussi « sérieusement handicapé » à cause d’un mauvais soin dans sa jeunesse. Pire, deux doigts de son pied gauche étaient soudés (tare congénitale) : ce qui lui a valu de nombreux quolibets de ses petits camarades fanfarons.
Il apparaît donc normal de penser que sa jeunesse difficile a conditionné ses actes futurs. Cependant, « Il est vain de rechercher dans l’enfance de Staline, aussi difficile fut-elle, l’origine de la cruauté dont il fit preuve », nous dit Oleg. Sosso est-il responsable des meurtres de Staline ? Ses premiers pas étaient-ils prédestinés à finir dans les bottes d’un dictateur sanguinaire ?
Naissance d’une légende
Comme l’intégralité de sa vie, la naissance de Staline est toute empreinte d’un mythe qu’il construira lui-même lorsqu’il sera la tête de l’URSS. Selon « sa biographie soviétique officielle », Staline est né en 1879. En réalité, Iosif Djougachvili est né « un an plus tôt […] dans la petite ville de Gori, quelque part aux confins du vaste Empire russe : […] le 6 décembre 1878 ». Comme toute dame distinguée, Staline aime mentir sur son âge…
Ainsi, le 21 décembre 1929, une grande cérémonie est organisée pour son cinquantième anniversaire. Le jour et l’année sont donc faux (un changement de calendrier a aussi pipé les dés) ! Depuis 1990, les historiens ont tenté de percer le mystère de cette naissance modifiée, mais sans succès : « Une chose est claire cependant, dans les années 1920, Staline décida de se rajeunir d’un an. »
Il existe de nombreuses légendes sur la parenté de Staline : « fils illégitime d’un riche marchand, d’un grand industriel, d’un prince, et même de l’empereur Alexandre III qui, de passage à Tiflis, aurait été servi par une jeune et belle Georgienne, la mère de Iosif […] Ekaterina. ».
En réalité, Iosif est le fils unique de l’union entre cette Ekaterina et un cordonnier nommé Besarionis « Beso » Djoukachvili. La réalité est moins romanesque que le mythe !
Une enfance difficile ?
« Il est communément admis que Iosif a connu une enfance difficile. Maltraité et battu par un père ivrogne, soumis à des privations matérielles, l’enfant se serait aigri et serait devenu brutal et vindicatif. » (p.43). Ici, notre camarade Oleg nous présente le côté négatif de la personnalité de Staline, en accord avec la personnalité du vieux moustachu en devenir. Cependant, il est apparemment possible qu’il ait vécu dans des conditions beaucoup plus normales que ce que l’on pourrait penser.
C’est un fait très rare à l’époque avec l’analphabétisme qui règne dans l’empire russe (surtout dans les marges). Son père est un ouvrier qualifié, polyglotte et sa mère était éduquée et « savait aussi lire et écrire en géorgien ». Staline n’est donc pas né en bas de l’échelle sociale ou dans un caniveau. Etre fils unique a dû aussi l’aider car il était souvent trop cher d’avoir plusieurs enfants à envoyer à l’école.
Il n’est pas juste cependant de dire que son enfance est idéale car son père était violent et surtout « se mit à boire » et sa mère dut « apprendre le métier de couturière ». « Sosso fit l’expérience du bon comme du mauvais — la dureté de son père étant compensée par l’affection sans bornes de sa mère » (p.44). Le jeune Staline va à l’école et n’a pas à gagner sa vie en petits boulots de prolétaires. Selon Oleg encore, sa vie est « ordinaire et même confortable » par rapport au petit géorgien moyen.
Un élève modèle et favorisé
Sa mère rêvait de voir son fils devenir prêtre !
Un avenir qui ne semble pas décevoir Sosso (jusqu’à ses 17 ans). Il fera ainsi une école de théologie puis entrera au séminaire de Tiflis (Tbilissi actuellement). Sa chère maman est toujours restée en Géorgie et son fils n’a pas pu assister à ses obsèques car elle mourut en 1937, pendant la Grande Terreur. Staline est-il un fils indigne ? Sa mère s’est saignée aux quatre veines pour lui payer des études et l’a toujours veillé lorsqu’il tombait malade…
Selon Oleg, « Il était toujours bien habillé en fonction de la saison » et montrait une « application et grande appétence du travail » (contrairement à Gandhi, qui avouait être un élève médiocre, voir le lien plus haut !). « On appréciait la façon dont il récitait les prières et chantait à la chorale ». Sa passion pour la lecture est noté et son excellente maîtrise du russe n’étonnera personne. Seuls points faibles : grec et arithmétique [2].
À 10 ans, il entre au cours préparatoire et franchit l’un des plafonds de verre les plus importants au sein de l’empire russe. Il intègre alors l’école de théologie de Gori de 1888 à 1894. Malgré les difficultés familiales, Staline obtient une bourse grâce à ses excellents résultats scolaires. Grâce à son « excellente mémoire », Sosso gagne « le respect de ses condisciples » (p.46) et reçoit haut la main son diplôme de fin d’études » avec mention « excellent » en conduite ainsi qu’en « histoire sacrée » ou « en catéchisme, en exégèse liturgique et en rituel ecclésiastique ».
Iosif a maintenant 15 ans et il veut entrer au séminaire de Tiflis. Il reçoit l’aide de bienfaiteurs comme le prêtre Kristofor Charkviani et sa famille dont « les enfants lui enseignaient le russe, la langue des études. » Il rentre donc à Tiflis en sept 1894, chaudement recommandé par ses professeurs : « meilleure preuve de la conduite exemplaire du jeune Sosso et de son respect des règles ». Quel intello ! Sale image pour un futur révolutionnaire !
Un adolescent rebelle comme les autres ?
C’est au séminaire que la vie de Sosso va basculer.
Pendant les deux premières années, il continue de recevoir la « mention excellent » et termine 5èmede promo puis 8ème en deuxième année. Brusquement, il commence à mal tourner et ses résultats baissent. Surtout, son attitude change petit à petit : le jeune premier entre en phase rebelle. Comment expliquer ce brusque changement ? Où est passé l’élève modèle, chéri à sa maman ?
Le jeune Iosif couve une insatisfaction. La « fouille des dortoirs » le révolte. Selon un ancien camarade de séminaire, le dortoir comptait « de 20 à 30 lits », la vie était « répétitive et monotone », « Levé à 7 heures du matin » et « la journée commençait avec une prière obligatoire. Puis on nous servait du thé. Quand la cloche sonnait, nous rejoignons nos salles de cours. »
Que penser de cette vie ? Elle apparaît bien dure par rapport à nos jeunesses capitalistes (surtout le côté religieux). Cependant, Sosso est logé et nourri gratuitement au séminaire. Staline est accompagné par des anciens amis et n’a pas trop dû se sentir seul et il a donc tout pour s’acclimater à la ville de Tiflis (beaucoup plus grande que Gori). On peut aussi supposer que tous les séminaires de Russie n’étaient pas des lieux de bonheur intense !
Iosif lit des livres interdits dans un groupe de discussion clandestin et y apprécie beaucoup les romans de Victor Hugo (comme vous, non ? vous avez un air suspect…). Ses notes baissent et il est « de plus en plus souvent pris en infraction au règlement. »
Il lit aussi des livres géorgiens où « héros romantiques » ou autres « redresseurs de torts » [3]. Si seulement il s’était plutôt inspiré d’Oblomov… Sosso se met même à la poésie ! Entre juin et octobre 1895, cinq poèmes sont publiés. Ils sont emprunts de patriotisme géorgien. Petit extrait :
Une alouette lançait son cri au plus haut des cieux
Un rossignol joyeux lui répondit :
Exulte Terre magnifique
Exulte Terre géorgienne
Et vous, Géorgiens,
Réjouissez votre Patrie en vous adonnant à l’Étude !
La rencontre du marxisme
Il s’intéresse de plus en plus à la politique, en particulier aux « sociaux-démocrates » et étudie le marxisme. Il fréquente même des groupes clandestins de cheminots. Il adhère ainsi à un groupe de sociaux-démocrates à partir de 1898 et distribue des tracts à de petits groupes d’ouvriers. Il est rapidement séduit par « la nature globalisante, quasiment religieuse dans son universalité, du marxisme. »
Sosso n’est pas le seul géorgien à être fasciné par le combat révolutionnaire : Lado Ketskhoveli a notamment été un modelé pour Sosso : exclu du séminaire de Kiev, il est arrêté par police et évite de justesse une condamnation. Il est finalement abattu par un gardien de prison en 1903 dans des circonstances floues. Comme Lado, des dizaines de jeunes géorgiens sombrent dans la délinquance…
C’est lors de sa quatrième année de séminaire que Staline commence réellement à déraper. Septembre : lecture de livres interdits. Octobre : trois fois au cachot pour avoir manqué la messe et divers problèmes. Ensuite, il est souvent mis à l’isolement et subit un mois d’interdiction de sortie en janvier. Enfin, il est exclu du séminaire en mai 1894 !
Voilà ! Rejeté par le système, Sosso va-t-il être contraint de se radicaliser pour survivre ? Rien n’est moins sûr : il reçoit quand même son certificat de quatrième année et sa mère explique son renvoi par « son mauvais état de santé ». Son avenir n’est donc pas du tout fermé et Sosso peut tout a fait rebondir avec ses excellents résultats ! Ainsi, il est embauché à la station météo de Tiflis où il « enregistre les données des appareils de mesure ».
Mais Sosso ne va pas profiter de sa dernière chance de « réussir », il continue de fréquenter des révolutionnaires et entre même dans l’aile la plus radicale. Il participe ainsi activement à la vague de grèves des années 1900-1901 à Tiflis. Il entre en clandestinité car menacé d’arrestation et prend le surnom de Koba, son premier pseudonyme, d’après un héros populaire, terreur des oppresseurs russes et aristocrates géorgiens. Certains l’appelèrent ainsi toute sa vie…
Selon l’auteur, « avec l’origine sociale qui est la sienne, il avait peu à perdre ». Est-ce vrai ? Koba va se laisser entraîner dans le combat pour les prolétaires, mais en est-il réellement un lui-même ?
Épilogue
En 1944, le petit père des peuples envoie des lettres remplies de roubles à ses anciens camarades d’école :
« À mon ami Petia — 40 000. 30 000 roubles à Dzeradze. Gricha ! Accepte ce petit cadeau de ma part… Bien à toi, Sosso. »
Cette brève lettre écrite en géorgien par le vieux Staline, témoigne de la nostalgie d’une jeunesse pas si difficile. On n’y devine pas réellement le traumatisme de jeunesse ; on peut y reconnaître plutôt un côté mafieux de Staline qui envoie des sous à ses vieux potes alors que le peuple russe est en plein « combat patriotique » pour libérer l’Europe des nazis.
À la lecture de la jeunesse de Staline, on peut comprendre que la propagande bolchévique se soit penchée sur une réécriture de l’Histoire. En effet, le jeune Sosso n’a pas la jeunesse fantasmée d’un futur révolutionnaire communiste ! N’est-il pas dangereux de peindre un passé si « normal » du 1er secrétaire du parti communiste ? Profondément géorgien (et non russe !) ; élevé comme un prêtre, et excellent élève jusqu’à ses 17 ans ?
Morale
Cette énième jeunesse de grand homme a un parfum moins naïf que nos précédents babillages. Camarade Oleg nous a mis sur la voie dans son début d’ouvrage : il est dangereux de créer une filiation directe entre la tendre jeunesse et le sombre futur de l’homme de fer. Lorsque Sosso est battu par son père, est-il en train de s’accoutumer à la violence ? Lorsqu’il est viré du séminaire, le système crée-t-il le monstre qui va le détruire ?
Comment le jeune Koba, dégoûté du système russe et de ses inégalités, a-t-il pu devenir un révolutionnaire à l’idéologie extrême ? L’influence d’hommes comme Lénine a eu un rôle capital ici mais aussi la réaction répressive violente des autorités russes. Pour comprendre réellement l’origine du mal, il faut se plonger dans la propagation du marxisme sous sa forme la plus violente en URSS : le bolchevisme.
L’idéologie bolchevique prônait la destruction des chaines du prolétariat et même leur prise de pouvoir. À l’inverse de cette idée, le peuple de l’URSS verra les défauts hideux du tsarisme se développer à leur maximum : violence de masse, terreur idéologique, culte du chef… S’il était né en 1925, le jeune Iosif serait-il devenu un dissident soviétique ?
Mais ça, ce serait une autre histoire…
Notes :
[1] LA GRANDE FERMETURE eut lieu en l’an 2020 de notre ère. Elle fut décidée par le roi Macron Ier et commença le mardi 17 mars. Il provoqua un grand trouble dans la force…
[2] Comme Staline, le régime communiste est assez mauvais en arithmétique, que ce soit en URSS (génocide ukrainien) ou en Chine (grand bond en avant).
[3] Le jeune Sosso a lu les aventures du magnifique KOBA, héros géorgien redresseur de torts ! Il usera même de son patronyme comme surnom lorsqu’il deviendra rebelle (Koba remplace Sosso).
[4] Grand écrivain, Karl MARX a théorisé le communisme ; son livre écrit avec ENGELS : Le Capital, changea le monde. Comme Staline, il dit représenter les prolétaires mais il n’est pas un ! Il est rentier, ce qui lui permet de se consacrer à la lecture, aux voyages et à l’écriture… Son histoire de la révolution de 1848 en France est cependant remarquablement écrite.