The Pacific est une nouvelle de William Somerset Maugham tirée de son recueil The Trembling of a Leaf: Little Stories of the South Sea Islands, publié en 1921 aux États-Unis, traduite en France notamment par Marie-Christine Blanchet en 1925 pour Les Éditions de France sous le titre : L’Archipel aux sirènes. The Pacific, en particulier, est le texte d’ouverture du recueil, et aussi l’un des plus brefs. Maugham écrit ces nouvelles durant ses voyages avec son secrétaire et compagnon Gerald Haxton dans les South Seas, c’est-à-dire l’Océanie et ses îles, et d’une façon générale le sud du Pacifique : Maugham est alors un agent des services secrets britanniques (alors le MI1) qui l’envoient en novembre 1916 au Samoa, alors sous contrôle de la Nouvelle-Zélande, où il doit veiller aux intérêts anglais et obtenir des informations sur les forces allemandes présentes dans la zone. Maugham, aidé par Haxton qui lui sert d’intermédiaire, en profite pour recueillir de la matière pour ses écrits. Le couple fait ainsi un arrêt à Pago-Pago (aujourd’hui capitale des Samoa américaines) pour une mise en quarantaine, et Maugham s’y inspire des gens qu’il rencontre. The Pacific, Le Pacifique, donc, se distingue parce qu’il tend peut-être davantage au poème en prose qu’à la nouvelle : le locuteur y rapporte les impressions que lui procure l’océan, mêlant images et références culturelles. On pourra lire également le texte Envoi, son pendant dans le recueil. J’en propose ici une traduction personnelle, suivie de quelques notes et du texte original en anglais.
I. Le Pacifique (traduction)
Le Pacifique est inconstant et changeant comme l’âme d’un homme. Parfois il est gris comme la Manche au large du cap Béveziers, avec une forte houle, et parfois il est âpre, couvert de crêtes blanches, et turbulent. Ce n’est pas si souvent qu’il est calme et bleu. Quand cela arrive, d’ailleurs, son bleu est arrogant. Le soleil brille farouchement depuis un ciel sans nuage. L’alizé afflue dans le sang, vous voilà pris de l’impatience d’embrasser l’inconnu. Les nappes de nuage, dans leurs magnifiques volutes, s’étendent partout autour de vous, au point de faire sombrer votre jeunesse évanouie, ainsi que son souvenir, cruel et doux, dans un désir de vivre ardent, insoutenable. C’est sur une mer semblable qu’Ulysse fit voile, lorsqu’il cherchait les îles des Bienheureux. Mais il est d’autres jours, aussi, où le Pacifique est pareil à un lac. La mer étale resplendit. Les poissons volants, ombres reflétées sur un miroir luisant, soulèvent de petites fontaines de gouttes scintillantes lorsqu’ils plongent. Des nuages moutonneux paraissent à l’horizon, qui prennent des formes étranges au coucher du soleil, si bien qu’il est impossible de nier que s’étire sous les yeux une chaîne de hautes montagnes. Ce sont les monts du pays de vos rêves. Voilà que vous naviguez sur une mer magique, à travers un silence inimaginable. De temps à autre, la présence de quelques mouettes suggère la terre proche, une île oubliée, dissimulée dans l’étendue vide des eaux ; mais les mouettes, mélancoliques oiseaux, sont le signe unique qui vous l’indiquent. Vous n’apercevez jamais de cargo à la fumée amicale, ni de voilier majestueux, ni de fine goélette, ni même un chalutier : c’est un désert vide ; et bientôt le vide vous emplit d’un vague pressentiment.
Notes :
– cap Béveziers : Beachy Head en anglais, promontoire blanc de la côte sud de l’Angleterre, qui sert de repaire aux marins. Beachy Head, qui devrait logiquement être repris, est le nom usuel, déformation semble-t-il du français Béveziers. Simple caprice de traducteur, ici. Maugham semble avoir le souci de donner à son lectorat anglais une référence connue qui facilite la représentation.
– alizé : l’anglais dit trade wind, ce qui désigne dans tous les cas des vents qui soufflent dans l’hémisphère sud du sud-est vers le nord-ouest.
– îles des Bienheureux : ou îles Fortunées, lieu de la mythologie grecque rattaché aux Enfers, où se trouvent les vertueux. Elles sont plutôt associées à l’Atlantique. À noter : Clark Ashton Smith partage cette référence à la même époque, puisqu’il y mentionne ces îles, ainsi qu’Ulysse, le héros de l’Odyssée d’Homère, dans son poème en prose « La Muse d’Atlantis » daté de 1922.
I. The Pacific
THE Pacific is inconstant and uncertain like the soul of man. Sometimes it is grey like the English Channel off Beachy Head, with a heavy swell, and sometimes it is rough, capped with white crests, and boisterous. It is not so often that it is calm and blue. Then, indeed, the blue is arrogant. The sun shines fiercely from an unclouded sky. The trade wind gets into your blood and you are filled with an impatience for the unknown. The billows, magnificently rolling, stretch widely on all sides of you, and you forget your vanished youth, with its memories, cruel and sweet, in a restless, intolerable desire for life. On such a sea as this Ulysses sailed when he sought the Happy Isles. But there are days also when the Pacific is like a lake. The sea is flat and shining. The flying fish, a gleam of shadow on the brightness of a mirror, make little fountains of sparkling drops when they dip. There are fleecy clouds on the horizon, and at sunset they take strange shapes so that it is impossible not to believe that you see a range of lofty mountains. They are the mountains of the country of your dreams. You sail through an unimaginable silence upon a magic sea. Now and then a few gulls suggest that land is not far off, a forgotten island hidden in a wilderness of waters; but the gulls, the melancholy gulls, are the only sign you have of it. You see never a tramp, with its friendly smoke, no stately bark or trim schooner, not a fishing boat even: it is an empty desert; and presently the emptiness fills you with a vague foreboding.