tombeau de Pan tomb of Pan Dunsany

« The tomb of Pan » (soit, « Le tombeau de Pan ») est un des brefs textes de Lord Dunsany, qui évoque à la fois le poème en prose et la nouvelle courte, provenant du recueil Fifty-One Tales (« Cinquante-et-un contes » ) publié une première fois en avril 1915, et publié de nouveau en 1974 sous le titre The Food of Death: Fifty-One Tales. Lovecraft, admirateur de Dunsany, avait lu ce recueil qui a contribué, entre autres récits, à faire de Dunsany l’un des « pères » de la fantasy, parmi William Morris ou Tolkien. Dans « Le tombeau de Pan », Dunsany reprend le mythe de Pan, dieu grec associé à la nature, pour la troisième et dernière fois dans son livre. Dans ce texte comme dans toute son œuvre, l’auteur privilégie le sense of wonder, ou l’émerveillement, qu’il oppose à la civilisation industrielle.
Je propose ici une traduction personnelle, suivie de quelques remarques et du texte en anglais (Irlande) d’origine.

Le tombeau de Pan

« Considérant, déclarèrent-ils, que le vieux Pan est mort, bâtissons-lui un tombeau et un monument, afin que tous puissent se souvenir de l’odieuse adoration de jadis, et s’en garder désormais. »
Ainsi s’exprimèrent les gens des contrées éclairées. Et ils construisirent un imposant tombeau de marbre blanc. Il s’éleva lentement sous les mains des bâtisseurs et chaque soir après le coucher du soleil il miroitait plus longtemps, renvoyant les rayons du soleil disparu.
Et nombreux étaient ceux qui pleuraient Pan tandis que les bâtisseurs s’affairaient ; beaucoup l’injuriaient. Certains demandaient aux bâtisseurs de cesser leur ouvrage, et d’autres les incitaient à ne pas élever de cénotaphe du tout à la mémoire d’un dieu si infâme. Mais les bâtisseurs ouvraient avec constance.
Et un jour tout fut achevé, le tombeau se dressa là telle une falaise escarpée. Pan y était engravé, tête humble, les pieds d’anges lui écrasant le cou. Et lorsque le tombeau fut achevé, le soleil était déjà couché, mais des lueurs persistantes rosissaient la masse imposante de Pan.
Et bientôt, tous les gens éclairés arrivèrent, et voyant le tombeau ils se souvinrent de Pan qui était mort, et tous le condamnèrent, lui et son époque malfaisante. Mais à l’écart quelques-uns se mirent à pleurer, à cause de la mort de Pan.
Mais le soir venu, comme il sortait furtivement de la forêt, et glissait doucement telle une ombre parmi les collines, Pan aperçut le tombeau, et éclata de rire.

Commentaire

Je commence par renvoyer au commentaire que j’avais écrit pour « La mort de Pan » de Dunsany, un des trois Fifty-One Tales, où Pan est au cœur du récit. Ils apparaissent dans cet ordre : The Death of PanThe Prayer of the flowers et The Tomb of Pan. Le dieu grec est mentionné également dans la pièce Alexander (1925) et joue un rôle de première importance dans le roman The Blessing of Pan (1927).
Pan représente invariablement dans l’œuvre de Dunsany une figure de résistance au monde industriel, ou moderne au sens large.
Ici la modernité est représentée de façon presque abstraite, par une foule de gens anonymes ironiquement qualifiés d' »éclairés », « enlightened » renvoyant notamment aux Lumières et à l’esprit rationaliste qui, en détruisant les anciennes croyances, même symboliquement comme c’est le cas ici, nuiraient en fait à la spiritualité humaine et à son rapport à la nature. Le tombeau de marbre montre donc, au-delà d’une imagerie antique, l’empreinte humaine sur le paysage naturel : empreinte vouée à disparaître, puisque le marbre blanc évoque davantage les ruines de la culture occidentale que le triomphe de l’urbanisation (sur ce sujet, lire « La prière des fleurs« ). Plus étonnant, ici, la mention des pieds des anges, qui ajoute une dimension religieuse et superpose le christianisme aux Lumières, faisant des deux une même force répressive.
Les hommes, donc, croient pouvoir au nom de la raison et du christianisme se débarrasser de la figure de Pan, et avec lui de l’ancien monde. Le tombeau témoignerait du changement d’époque : il ne s’agit pas d’oublier tout à fait, mais au contraire par le souvenir (on pourrait dire : par la muséification) de rendre inoffensif Pan et tout ce qu’il implique de pulsions incontrôlables. En somme, on refoule : effort dérisoire, selon Dunsany, pour qui les hommes, loin d’être « comme maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes), ne sont que le jouet de forces qui leur échappent.
La chute est donc inévitable : Pan surgit de la forêt, où les hommes ne sont pas (ou plus), et se rit de leurs œuvres. Les enterrements symboliques, si imposants et impressionnants soient-ils, n’empêchent pas le réel de survivre. Dunsany rejoint en partie Yeats, qui convoque la figure mythologique de Cuchulain pour affirmer l’identité irlandaise contre l’ennemi anglais. Dans un cas comme dans l’autre, il ne s’agit pas simplement de rhétorique, mais d’une bataille existentielle : pour Dunsany, la nature irrémédiablement triomphera (son héritier semble en être également persuadé).

Lord Dunsany texte en français
Pan est mort (nature morte), peinture de George Washington Lambert, 1911.

THE TOMB OF PAN

« Seeing, » they said, « that old-time Pan is dead, let us now make a tomb for him and a monument, that the dreadful worship of long ago may be remembered and avoided by all. »
So said the people of the enlightened lands. And they built a white and mighty tomb of marble. Slowly it rose under the hands of the builders and longer every evening after sunset it gleamed with rays of the departed sun.
And many mourned for Pan while the builders built; many reviled him. Some called the builders to cease and to weep for Pan and others called them to leave no memorial at all of so infamous a god. But the builders built on steadily.
And one day all was finished, and the tomb stood there like a steep sea-cliff. And Pan was carved thereon with humbled head and the feet of angels pressed upon his neck. And when the tomb was finished the sun had already set, but the afterglow was rosy on the huge bulk of Pan.
And presently all the enlightened people came, and saw the tomb and remembered Pan who was dead, and all deplored him and his wicked age. But a few wept apart because of the death of Pan.
But at evening as he stole out of the forest, and slipped like a shadow softly along the hills, Pan saw the tomb and laughed.