les autres dieux texte Lovecraft

« The Other Gods » (littéralement : « Les Autres Dieux ») est une nouvelle de fantasy teintée d’horreur écrite par Howard Phillips Lovecraft le 14 août 1921, et publiée pour la première fois en novembre 1933 dans le troisième numéro du fanzine pulp The Fantasy Fan. La nouvelle est souvent rattachée au dit « cycle du rêve » puisqu’elle mentionne notamment des personnages et des lieux de la nouvelle The Cats of Ulthar (« Les Chats d’Ulthar ») et du roman The Dream-Quest of Unknown Kadath (La Quête onirique de Kadath l’inconnue, Kadath étant mentionnée ici pour la première fois !), écrits vers la même période, sous l’influence de Dunsany, mais on peut également relever des références au futur mythe de Cthulhu.
Dans Les Autres Dieux, Lovecraft raconte comment un prêtre et son disciple escaladent une montagne pour contempler leurs dieux. Mais les dieux ont leurs secrets…
Je propose ci-dessous une traduction personnelle de la nouvelle [en cours de relecture], suivie d’un bref commentaire et du texte en anglais (États-Unis).

Les Autres Dieux

Au sommet des plus hauts pitons terrestres demeurent les dieux de la terre, qui ne souffrent pas qu’un homme puisse dire avoir posé les yeux sur eux. Jadis, ils occupaient de moindres pics ; mais toujours les hommes des plaines gravissaient les versants de roche et de neige, repoussant les dieux vers des montagnes toujours plus hautes, tant et si bien qu’une seule reste désormais. Lorsqu’ils abandonnèrent leurs pics d’alors, ils emportèrent avec eux tout signe de leur présence ; hormis une fois, est-il dit, où ils laissèrent une image gravée sur la face de la montagne qu’on appelait Ngranek.
Mais à présent ils se sont retirés à Kadath l’inconnue, dans la désolation glacée que nul homme ne foule, et sont devenus austères, ne disposant pas de pic plus haut où se réfugier face à l’arrivée de l’homme. Ils sont devenus austères, et si naguère ils souffraient d’être délogés par les hommes, dorénavant ils leur interdisent de venir ou, étant venus, de repartir. Il est bon pour les hommes de ne rien savoir de Kadath, sur la désolation glacée, sinon ils tenteraient, de façon peu judicieuse, de l’escalader.
Parfois, lorsque les dieux de la terre sont pris de nostalgie, ils visitent dans la nuit paisible les pics où auparavant ils demeuraient, et pleurent doucement tandis qu’ils s’efforcent de se divertir à la manière d’autrefois sur les versants bien connus d’eux. Les hommes ont senti les larmes des dieux sur Thurai coiffée de blanc, bien qu’ils aient cru à de la pluie ; ils ont ouï à l’aube les soupirs des dieux, dans les vents plaintifs de Lerion. Les dieux ont coutume de voyager dans des vaisseaux nébuleux, et de sages journaliers connaissent des légendes qui les tiennent éloignés de certains pics élevés, les nuits nuageuses, car les dieux ne sont plus indulgents comme jadis.
À Ulthar, sise au-delà de la rivière Skaï, demeurait autrefois un vieillard avide de contempler les dieux de la terre ; un homme fort versé dans la lecture des sept livres cryptiques de Hsan, et familier des Manuscrits Pnakotiques en provenance de la lointaine Lomar glacée. Il se nommait Barzai le Sage, et les villageois rapportent comment il escalada certaine montagne, la nuit où eut lieu l’étrange éclipse.
Barzai en savait tant au sujet des dieux qu’il pouvait prévoir leurs allées et venues, et pressentait un si grand nombre de leurs secrets que lui-même était considéré comme un demi-dieu. Ce fut lui qui dans sa sagesse conseilla les magistrats d’Ulthar, lorsqu’ils adoptèrent la remarquable loi contre le meurtre de chats, lui qui raconta d’abord au jeune prêtre Atal à quel endroit précis se rendent les chats noirs, à la minuit, la veille de la Saint Jean. Barzai, étant versé dans la doctrine des dieux de la terre, s’était pris du désir de contempler leurs visages. Il croyait que ses connaissances vastes et secrètes au sujet des dieux pouvaient le protéger de leur colère, aussi résolut-il de monter au sommet de la haute et rocheuse Hatheg-Kla, une nuit où il savait que les dieux y seraient.
Hatheg-Kla se trouve loin dans le désert rocheux, au-delà de Hatheg, d’après quoi elle est nommée, et se dresse telle une statue de pierre en un temple silencieux. Autour de son pic s’ébattaient les brumes, mélancoliques, car les brumes sont les souvenirs des dieux, et les dieux aimaient Hatheg-Kla lorsqu’ils y demeuraient, aux jours anciens. Souvent les dieux de la terre visitent Hatheg-Kla dans leurs vaisseaux nébuleux, invoquant de pâles vapeurs le long des pentes cependant qu’ils dansent au sommet, dans leur ressouvenir, sous une lune limpide. Les villageois de Hatheg disent que c’est folie de grimper Hatheg-Kla, à quelque moment que ce soit, et qu’il est fatal de l’escalader la nuit, lorsque de pâles vapeurs dissimulent le sommet et la lune ; mais Barzai ne prêta pas attention à eux lorsqu’il vint d’Ulthar, ville avoisinante, en compagnie du jeune prêtre Atal qui était son disciple. Atal n’était que fils d’aubergiste, et parfois se sentait effrayé ; le père de Barzai en revanche avait été un landgrave qui demeurait dans un antique château, si bien qu’il n’avait pas dans son sang une goutte de la superstition typique du commun, et ne faisait que rire des fermiers craintifs.
Barzai et Atal quittèrent Hatheg pour se rendre dans le désert pierreux malgré les suppliques des paysans, et, chaque nuit, ils discutaient des dieux de la terre auprès du feu de camp. Ils voyagèrent bien des jours durant, apercevant de loin l’éminence élevée d’Hatheg-Kla, auréolée de ses brumes mélancoliques. Ils atteignirent le pied désolé de la montagne le treizième jour, et Atal évoqua ses peurs. Barzai cependant était vieux, instruit, et n’avait aucune crainte, aussi ouvrit-il hardiment la voie le long du versant que nul homme n’avait escaladé depuis l’époque de Sansu, ce dernier étant mentionné avec effroi dans les Manuscrits Pnakotiques moisis.
La voie était rocailleuse, rendue périlleuse par des abîmes, des falaises à-pics et des chutes de pierres. Plus tard elle devint froide, enneigée ; Barzai et Atal souvent glissaient et tombaient, avançant à grand-peine comme ils se taillaient un chemin à coups de hache. Enfin, l’air se raréfia, le ciel changea de couleur, et les grimpeurs peinèrent à respirer ; pourtant ils s’acharnaient à monter, s’émerveillant de l’étrangeté du paysage et ravis à l’idée de ce qu’il arriverait au sommet, lorsque la lune paraîtrait et que les pâles vapeurs s’étendraient alentour. Pendant trois jours ils montèrent plus haut, plus haut, toujours plus haut en direction du toit du monde ; puis ils établirent leur campement pour y attendre que les nuages recouvrent la lune.
Aucun nuage ne vint quatre nuits durant, et l’éclat froid de la lune descendait à travers les minces brumes mélancoliques autour du pinacle silencieux. Puis, lors de la cinquième nuit, qui était la nuit de la pleine lune, Barzai aperçut certaines nuées épaisses, loin au nord, et veilla avec Atal afin de les observer qui approchaient. Elles avançaient, denses et majestueuses, de façon lente, délibérée ; elles s’étiraient autour du pic, bien au-dessus des deux témoins, dérobant à la vue la lune et le sommet. Ils observèrent une longue heure durant, tandis que les vapeurs tournoyaient et que l’écran des nuages s’épaississait, s’agitait davantage. Barzai était érudit en matière de doctrine des dieux terrestres, et écouta attentivement, à l’affût de certains sons, mais Atal lui ressentait la froidure des vapeurs et l’effroi de la nuit, et s’épeurait considérablement. Et, lorsque Barzai se mit à grimper plus haut, enjoignant de le suivre d’un geste de la main, il fallut un long moment à Atal pour le suivre.
Les vapeurs s’avéraient si épaisses que le chemin en devenait ardu, et bien qu’Atal eût fini par suivre, il pouvait à peine distinguer la silhouette grise de Barzai sur la pente blafarde au-dessus, dans le clair de lune voilé. Barzai se hâtait très loin devant, et malgré son âge semblait grimper plus aisément qu’Atal ; ne redoutant pas la raideur de la pente qui commençait à s’incliner bien trop pour quiconque sinon un homme fort et intrépide, ni n’hésitant devant de larges abîmes noirs par-dessus lesquels Atal avait du mal à sauter. Ainsi donc montèrent-ils follement par-dessus rocs et gouffres, glissant et trébuchant, et parfois éberlués par l’immensité et l’horrible silence des lugubres pinacles glacés et des versants de granit.
Soudainement Barzai disparut à la vue d’Atal, escaladant une falaise hideuse qui paraissait saillir et faire obstacle à tout grimpeur que n’inspiraient pas les dieux de la terre. Atal était loin en dessous, et se préparant à ce qu’il devrait faire au moment où il atteindrait l’endroit, lorsqu’il remarqua curieusement que la lumière avait gagner en intensité, comme si le pic sans nuage et le lieu de rencontre des dieux, éclairé par la lune, était très proche. Et comme il se baissait en hâte en direction de la saillie escarpée et du ciel illuminé, il connut des peurs plus éprouvantes que jamais auparavant. Puis il entendit la voix de Barzai, hors de vue, qui criait à travers les hautes brumes, pris d’une joie folle :
“J’ai entendu les dieux ! J’ai entendu les dieux de la terre chanter en liesse sur Hatheg-Kla ! Les voix des dieux de la terre sont connues de Barzai le Prophète ! Les brumes sont légères et la lune brillante, et je verrai les dieux danser librement sur Hatheg-Kla, qu’ils aimèrent au temps de leur jeunesse ! La sagacité de Barzai l’a rendu plus grand que les dieux de la terre, et face à sa volonté leurs sortilèges et leurs barrières ne sont rien ; Barzai contemplera les dieux, les dieux arrogants, les dieux impénétrables, les dieux de la terre qui méprisent la vue des hommes !”
Atal ne pouvait percevoir les voix qu’écoutait Barzai, mais à présent il était proche de la saillie escarpée et l’examinait, à la recherche de prises pour ses pieds. Puis il entendit la voix de Barzai qui se faisait plus stridente, plus forte :
“Les brumes sont très légères, la lune projette des ombres sur le versant ; les voix des dieux de la terre sont aiguës et frénétiques, et ils craignent la venue de Barzai le Sage, qui est plus grand qu’eux… L’éclat de la lune vacille, pendant que les dieux dansent devant lui ; je verrai les formes des dieux qui bondissent et hurlent dans le clair de lune… La lumière faiblit et les dieux ont peur…”
Tandis que Barzai criait ces choses Atal sentit le spectre d’un changement dans l’air, comme si les mois de la terre cédaient à des lois plus hautes ; car si la voie s’avérait plus raide que jamais, le chemin qui menait droit vers le haut se montrait maintenant redoutablement aisé, et la saillie escarpée ne s’avéra guère un obstacle lorsqu’il la rejoignit et se mit à glisser périlleusement vers la partie supérieure de sa face convexe. L’éclat de la lune avait défailli étrangement, et comme Atal se précipitait vers le haut à travers les brumes, il entendit Barzai le Sage s’écrier d’entre les ombres :
“La lune est enténébrée, et les dieux dansent dans la nuit ; il est une terreur dans le ciel, car sur la lune a fondu une éclipse que nul ouvrage des hommes ou des dieux de la terre n’avait présagée… Il est une magie inconnue sur Hatheg-Kla, car les cris des dieux effrayés se sont changés en rire, et les pentes de glace s’élèvent sans fin jusque dans les cieux noirs où je m’élance… Aho ! Aho ! Enfin ! Dans la lumière blafarde, je contemple les dieux de la terre !”
Et maintenant Atal, surmontant d’un pas imprudent des escarpements inconcevables, entendit dans les ténèbres un rire ignoble, à quoi se mêla un cri tel qu’aucun homme jamais n’en avait entendu, hormis dans le Phlégéthon de cauchemars qui ne sauraient être rapportés ; un cri où retentissaient l’horreur et l’angoisse d’une vie de tourment réduite à un seul moment d’atrocité :
“Les autres dieux ! Les autres dieux ! Les dieux des enfers extérieurs, qui gardent les faibles dieux de la terre !… Détourne-toi !… Fais demi-tour !… Ne regarde pas !… La vengeance des abysses infinis… Cette fosse maudite, abominable… Dieux miséricordieux de la terre, je tombe dedans le ciel !”
Et comme Atal fermait les yeux, se bouchait les oreilles, et tentait de sauter vers le bas, s’opposant à l’attraction effroyable qui s’exerçait depuis des hauteurs inconnues, se mit à retentir au-dessus d’Hatheg-Kla ce terrible coup de tonnerre qui éveilla les braves fermiers des plaines et les honnêtes bourgeois de Hatheg, Nir et Ulthar, et fut cause qu’ils contemplèrent, à travers les nuées, cette étrange éclipse lunaire qu’aucun livre n’avait prédite. Puis, lorsque la lune reparut enfin, Atal se trouva sauf, plus bas sur les pentes enneigées de la montagne, sans trace des dieux de la terre, ni des autres dieux.
Or il est dit dans les Manuscrits Pnakotiques moisis que Sansu ne trouva rien que glace et roche muettes lorsqu’il escalada Hatheg-Kla, aux premiers jours du monde. Pourtant lorsque les hommes d’Ulthar, de Nir et d’Hatheg surmontèrent leurs peurs et grimpèrent de jour cette éminence interdite, à la recherche de Barzai le age, ils découvrirent gravé, dans la pierre nue du sommet, un étrange symbole cyclopéen de cinquante coudées de largeur, comme si la roche avait été altérée par quelque burin titanesque. Et le symbole était pareil à celui que les doctes ont aperçu dans ces sections effroyables des Manuscrits Pnakotiques qui sont trop anciennes pour êtres déchiffrées. Voilà ce qu’ils découvrirent.
Barzai le Sage ne fut pas retrouvé, et on ne put jamais persuader le prêtre sacré Atal de prier pour le repos de son âme. Qui plus est, jusqu’à ce jour les gens d’Ulthar, de Nir et d’Hatheg redoutent les éclipses, et prient les nuits om de pâles vapeurs dissimulent le sommet de la montagne et la lune. Et par-delà les brumes, sur Hatheg-Klan les dieux de la terre dansent parfois, nostalgiques ; car ils savent qu’ils sont saufs, et aiment à venir de Kadath l’inconnue sur des vaisseaux nébuleux, pour se divertir selon les anciens usages, comme ils le firent lorsque la terre était nouvelle et que les hommes n’avaient pas pour habitude d’escalader des endroits inaccessibles.

The Other Gods Lovecraft Les Autres dieux
Les premières lignes de la première page du manuscrit (détail) de The Other Gods, daté par Lovecraft du mois d’août 1921. Université de Brown.

Contexte

Comme la plupart des textes relevant du dit « cycle du rêve » (rappelons que Lovecraft n’a pas lui-même désigné de groupes de textes sous ce nom), notamment par exemple Ex Oblivione, The Other Gods est écrit dans les années 1920, dans un contexte personnel difficile pour l’auteur qui vient de perdre sa mère. Par ailleurs, il écrit alors en étant influencé par sa lecture des œuvres de Dunsany, dont surtout The Gods of Pegāna qui propose un panthéon nouveau. Lovecraft cherche non seulement à imiter le style de Dunsany, tendant à un style riche, parfois qualifié péjorativement de purple prose (l’abondance des adjectifs…), mais en reprend aussi des thèmes (l’orgueil).
Aujourd’hui, le manuscrit est conservé à l’université de Brown (Providence, Rhode Island). Lovecraft avait écrit la nouvelle (huit pages en tout) au dos de lettres adressées à divers correspondants.

Le magazine The Fantasy Fan

The Fantasy Fan a une aura particulière puisqu’il est le premier fanzine (magazine amateur) consacré à la weird fiction à laquelle est rattachée globalement l’œuvre de Lovecraft. Le magazine commence à paraître en septembre 1933 et permet donc à Lovecraft de publier pour la première fois The Other Gods, nouvelle écrite douze ans plus tôt, en novembre 1933 (troisième numéro). On peut préciser que Lovecraft contribue au magazine dès octobre 1933, en y publiant une première partie de son essai Supernatural Horror in Literature. Lovecraft semble avoir été séduit par The Fantasy Fan, puisqu’il encourage des amis à lui (dont Clark Ashton Smith et Robert E. Howard, qui y publie The Frost King’s Daughter sous le titre Gods of the North !) à envoyer des textes au rédacteur, le tout jeune Charles Hornig (dix-sept ans !). C’est donc ainsi que des auteurs habitués des pulps trouvent avec The Fantasy Fan un moyen de diffuser des textes refusés par ailleurs !
À noter : Lovecraft publie dans le magazine, outre des nouvelles, quatre poèmes qui font désormais partie du recueil Fungi de Yuggoth : « The Book », « Pursuit », « The Key », et « Homecoming ».

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Pressentiment complexe, peinture de Kasimir Malevitch, 1928-1932.

Récurrences des noms propres

On peut établir un lien entre The Other Gods de Lovecraft et le recueil The Gods of Pegāna de Dunsany, publié en 1905, et en particulier faire un parallèle avec la nouvelle The Revolt of the Home Gods (La Révolte des dieux primitifs), dans laquelle des dieux mineurs se rebellent contre leurs supérieurs et voient leur orgueil démesuré (leur hubris) châtié en conséquence. Comme dans la nouvelle de Dunsany, Lovecraft propose des panthéons hiérarchisés et cruels, qui annoncent les entités du mythe de Cthulhu. On peut d’ailleurs relever que Lovecraft, s’il propose déjà des noms, des bribes d’un langage imaginaire, fait encore référence à la culture gréco-latine : le « Phlegethon » est ainsi un fleuve des enfers grecs, affluent de l’Achéron, qui a la caractéristique d’être en feu. Dante le mentionne dans sa Divine Comédie, en faisant un fleuve de sang qui bout les âmes des damnés, dont notamment Attila le Hun, qu’on pourrait comparer à Sansu.
On peut, surtout, établir des liens précis avec d’autres textes de Lovecraft. Atal était ainsi déjà mentionné dans la nouvelle Les Chats d’Ulthar, écrite en 1920, où il est alors présenté comme un jeune garçon, fils d’aubergiste, qui apporte aux autorités de la ville son témoignage concernant les chats et leurs rites. Il apparaît de nouveau dans La Quête onirique de Kadath l’inconnue (1926), devenu patriarche du temple des Dieux Très Anciens (« Elder Ones »). Il fournit un bon exemple de personne secondaire récurrent dans les premiers récit de Lovecraft, éclipsé déjà par Randolph Carter.
Barzai le Sage est aussi évoqué dans La Quête onirique de Kadath l’inconnue, où Nyarlathotep, le sinistre messager d’Azathoth, suggère au protagoniste Randolph Carter que Barzai a connu une fin et un châtiment prévisibles. De façon rétroactive, Barzai est aussi rattaché aux Les Chats d’Ulthar puisqu’il est présenté comme le véritable instigateur de la loi qui protège les chats de la ville.
Barzai par ailleurs a des lectures marquantes pour l’amateur du « cycle du rêve » et du mythe de Cthulhu. Il a donc lu les Sept Livres Cryptiques De Hsan, œuvre fictive (comme le Necronomicon !) dont c’est la première apparition, et qui seront encore mentionnés dans La Quête onirique de Kadath l’inconnue. Que ce soit dans ce roman ou Les Autres Dieux, ils sont accompagnés des Manuscrits Pnakotiques, œuvre également fictive créée pour la nouvelle Polaris, et dont c’est la deuxième mention dans l’œuvre de Lovecraft. Ils font le lien entre le « cycle du rêve » et le mythe de Cthulhu dans la mesure où ils sont associés à la « Grande Race de Yith » avec la longue nouvelle Dans l’abîme du temps (The Shadow Out of Time, 1936), ce qui aurait plutôt tendance à montrer que la distinction entre « cycles » est artificielle.
On ne s’étonne donc pas que des lieux mentionnés dans The Other Gods réapparaissent dans d’autres nouvelles, rattachées explicitement ou non au « cycle du rêve » ou à celui de Cthulhu : Lomar apparaît d’abord dans Polaris (1918), avant d’être mentionnée dans The Quest of Iranon, The Mound, The Horror in the Museum, Through the Gates of the Silver Key ou encore The Shadow Out of Time ; Lerion réapparaît dans La Quête onirique de Kadath l’inconnue ; Kadath bien sûr, évoquée pour la première fois dans The Other Gods, est au premier plan dans The Dream-Quest of Unknown Kadath, mais aussi mentionnée dans The Dunwich Horror, The Mound, Medusa’s Coil et At the Mountains of Madness. En somme, la chose est connue, les noms propres contribuent directement à donner l’illusion d’un monde commun aux récits et aux personnages de Lovecraft, sans que ceux-ci se croisent nécessairement.

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Enfer, peinture de Jérôme Bosch, vers 1490-1515.

The Other Gods

Atop the tallest of earth’s peaks dwell the gods of earth, and suffer no man to tell that he hath looked upon them. Lesser peaks they once inhabited; but ever the men from the plains would scale the slopes of rock and snow, driving the gods to higher and higher mountains till now only the last remains. When they left their older peaks they took with them all signs of themselves; save once, it is said, when they left a carven image on the face of the mountain which they called Ngranek.
But now they have betaken themselves to unknown Kadath in the cold waste where no man treads, and are grown stern, having no higher peak whereto to flee at the coming of men. They are grown stern, and where once they suffered men to displace them, they now forbid men to come, or coming, to depart. It is well for men that they know not of Kadath in the cold waste, else they would seek injudiciously to scale it.
Sometimes when earth’s gods are homesick they visit in the still night the peaks where once they dwelt, and weep softly as they try to play in the olden way on remembered slopes. Men have felt the tears of the gods on white-capped Thurai, though they have thought it rain; and have heard the sighs of the gods in the plaintive dawn-winds of Lerion. In cloud-ships the gods are wont to travel, and wise cotters have legends that keep them from certain high peaks at night when it is cloudy, for the gods are not lenient as of old.
In Ulthar, which lies beyond the river Skai, once dwelt an old man avid to behold the gods of earth; a man deeply learned in the seven cryptical books of Hsan, and familiar with the Pnakotic Manuscripts of distant and frozen Lomar. His name was Barzai the Wise, and the villagers tell of how he went up a mountain on the night of the strange eclipse.
Barzai knew so much of the gods that he could tell of their comings and goings, and guessed so many of their secrets that he was deemed half a god himself. It was he who wisely advised the burgesses of Ulthar when they passed their remarkable law against the slaying of cats, and who first told the young priest Atal where it is that black cats go at midnight on St. John’s Eve. Barzai was learned in the lore of earth’s gods, and had gained a desire to look upon their faces. He believed that his great secret knowledge of gods could shield him from their wrath, so resolved to go up to the summit of high and rocky Hatheg-Kla on a night when he knew the gods would be there.
Hatheg-Kla is far in the stony desert beyond Hatheg, for which it is named, and rises like a rock statue in a silent temple. Around its peak the mists play always mournfully, for mists are the memories of the gods, and the gods loved Hatheg-Kla when they dwelt upon it in the old days. Often the gods of earth visit Hatheg-Kla in their ships of cloud, casting pale vapours over the slopes as they dance reminiscently on the summit under a clear moon. The villagers of Hatheg say it is ill to climb Hatheg-Kla at any time, and deadly to climb it by night when pale vapours hide the summit and the moon; but Barzai heeded them not when he came from neighbouring Ulthar with the young priest Atal, who was his disciple. Atal was only the son of an innkeeper, and was sometimes afraid; but Barzai’s father had been a landgrave who dwelt in an ancient castle, so he had no common superstition in his blood, and only laughed at the fearful cotters.
Barzai and Atal went out of Hatheg into the stony desert despite the prayers of peasants, and talked of earth’s gods by their campfires at night. Many days they travelled, and from afar saw lofty Hatheg-Kla with his aureole of mournful mist. On the thirteenth day they reached the mountain’s lonely base, and Atal spoke of his fears. But Barzai was old and learned and had no fears, so led the way boldly up the slope that no man had scaled since the time of Sansu, who is written of with fright in the mouldy Pnakotic Manuscripts.
The way was rocky, and made perilous by chasms, cliffs, and falling stones. Later it grew cold and snowy; and Barzai and Atal often slipped and fell as they hewed and plodded upward with staves and axes. Finally the air grew thin, and the sky changed colour, and the climbers found it hard to breathe; but still they toiled up and up, marvelling at the strangeness of the scene and thrilling at the thought of what would happen on the summit when the moon was out and the pale vapours spread around. For three days they climbed higher, higher, and higher toward the roof of the world; then they camped to wait for the clouding of the moon.
For four nights no clouds came, and the moon shone down cold through the thin mournful mists around the silent pinnacle. Then on the fifth night, which was the night of the full moon, Barzai saw some dense clouds far to the north, and stayed up with Atal to watch them draw near. Thick and majestic they sailed, slowly and deliberately onward; ranging themselves round the peak high above the watchers, and hiding the moon and the summit from view. For a long hour the watchers gazed, whilst the vapours swirled and the screen of clouds grew thicker and more restless. Barzai was wise in the lore of earth’s gods, and listened hard for certain sounds, but Atal felt the chill of the vapours and the awe of the night, and feared much. And when Barzai began to climb higher and beckon eagerly, it was long before Atal would follow.
So thick were the vapours that the way was hard, and though Atal followed on at last, he could scarce see the grey shape of Barzai on the dim slope above in the clouded moonlight. Barzai forged very far ahead, and seemed despite his age to climb more easily than Atal; fearing not the steepness that began to grow too great for any save a strong and dauntless man, nor pausing at wide black chasms that Atal scarce could leap. And so they went up wildly over rocks and gulfs, slipping and stumbling, and sometimes awed at the vastness and horrible silence of bleak ice pinnacles and mute granite steeps.
Very suddenly Barzai went out of Atal’s sight, scaling a hideous cliff that seemed to bulge outward and block the path for any climber not inspired of earth’s gods. Atal was far below, and planning what he should do when he reached the place, when curiously he noticed that the light had grown strong, as if the cloudless peak and moonlit meeting-place of the gods were very near. And as he scrambled on toward the bulging cliff and litten sky he felt fears more shocking than any he had known before. Then through the high mists he heard the voice of unseen Barzai shouting wildly in delight:
“I have heard the gods! I have heard earth’s gods singing in revelry on Hatheg-Kla! The voices of earth’s gods are known to Barzai the Prophet! The mists are thin and the moon is bright, and I shall see the gods dancing wildly on Hatheg-Kla that they loved in youth! The wisdom of Barzai hath made him greater than earth’s gods, and against his will their spells and barriers are as naught; Barzai will behold the gods, the proud gods, the secret gods, the gods of earth who spurn the sight of men!”
Atal could not hear the voices Barzai heard, but he was now close to the bulging cliff and scanning it for foot-holds. Then he heard Barzai’s voice grow shriller and louder:
“The mists are very thin, and the moon casts shadows on the slope; the voices of earth’s gods are high and wild, and they fear the coming of Barzai the Wise, who is greater than they. . . . The moon’s light flickers, as earth’s gods dance against it; I shall see the dancing forms of the gods that leap and howl in the moonlight. . . . The light is dimmer and the gods are afraid. . . .”
Whilst Barzai was shouting these things Atal felt a spectral change in the air, as if the laws of earth were bowing to greater laws; for though the way was steeper than ever, the upward path was now grown fearsomely easy, and the bulging cliff proved scarce an obstacle when he reached it and slid perilously up its convex face. The light of the moon had strangely failed, and as Atal plunged upward through the mists he heard Barzai the Wise shrieking in the shadows:
“The moon is dark, and the gods dance in the night; there is terror in the sky, for upon the moon hath sunk an eclipse foretold in no books of men or of earth’s gods. . . . There is unknown magic on Hatheg-Kla, for the screams of the frightened gods have turned to laughter, and the slopes of ice shoot up endlessly into the black heavens whither I am plunging. . . . Hei! Hei! At last! In the dim light I behold the gods of earth!”
And now Atal, slipping dizzily up over inconceivable steeps, heard in the dark a loathsome laughing, mixed with such a cry as no man else ever heard save in the Phlegethon of unrelatable nightmares; a cry wherein reverberated the horror and anguish of a haunted lifetime packed into one atrocious moment:
“The other gods! The other gods! The gods of the outer hells that guard the feeble gods of earth! . . . Look away! . . . Go back! . . . Do not see! . . . Do not see! . . . The vengeance of the infinite abysses . . . That cursed, that damnable pit . . . Merciful gods of earth, I am falling into the sky!”
And as Atal shut his eyes and stopped his ears and tried to jump downward against the frightful pull from unknown heights, there resounded on Hatheg-Kla that terrible peal of thunder which awaked the good cotters of the plains and the honest burgesses of Hatheg and Nir and Ulthar, and caused them to behold through the clouds that strange eclipse of the moon that no book ever predicted. And when the moon came out at last Atal was safe on the lower snows of the mountain without sight of earth’s gods, or of the other gods.
Now it is told in the mouldy Pnakotic Manuscripts that Sansu found naught but wordless ice and rock when he climbed Hatheg-Kla in the youth of the world. Yet when the men of Ulthar and Nir and Hatheg crushed their fears and scaled that haunted steep by day in search of Barzai the Wise, they found graven in the naked stone of the summit a curious and Cyclopean symbol fifty cubits wide, as if the rock had been riven by some titanic chisel. And the symbol was like to one that learned men have discerned in those frightful parts of the Pnakotic Manuscripts which are too ancient to be read. This they found.
Barzai the Wise they never found, nor could the holy priest Atal ever be persuaded to pray for his soul’s repose. Moreover, to this day the people of Ulthar and Nir and Hatheg fear eclipses, and pray by night when pale vapours hide the mountain-top and the moon. And above the mists on Hatheg-Kla earth’s gods sometimes dance reminiscently; for they know they are safe, and love to come from unknown Kadath in ships of cloud and play in the olden way, as they did when earth was new and men not given to the climbing of inaccessible places.