Sortie victorieuse de la Première Guerre mondiale, l’Italie a connu une sortie de guerre difficile. Un spleen italien s’est développé, pleurant des territoires non obtenus lors des traités de paix. Cette histoire, forcément intéressante, nous l’avons abordée dans un précédent article.
Celui-ci portait sur la période préfasciste où le pays a vu l’émergence d’un courant politique autoritaire. Lorsque l’on met en cause les traités de paix, on pense souvent à l’Allemagne nazie, mais c’est en Italie que le germe fasciste est né.
Mussolini et la montée du fascisme
Friand de connaissances, nous continuons ici notre quête de sens vers la compréhension du fascisme historique. Celle-ci nous mène à la figure principale du mouvement, son créateur, Mussolini.
Ce n’est pas le « Duce » glorifié par deux décennies de propagande qui nous intéresse mais le jeune Benito, né en 1883 à côté de Bologne. Pétri de marxisme dans sa jeunesse, il va connaître un retournement total pendant la première guerre mondiale. Pire, après avoir créé la milice fasciste en 1919, Benito devient le chouchou d’une certaine élite italienne qui a peur d’une « révolution rouge » en Italie.
Comment un militant marxiste radical a-t-il pu devenir le bouclier de la bourgeoisie italienne et ainsi prendre le pouvoir dans un pays au bord de la guerre civile ?
Des racines socialistes
N’en déplaise à J-L Mélenchon, les accointances entre l’extrême gauche et l’extrême droite semblent symbolisées par la trajectoire de Mussolini.
Dans sa jeunesse, le jeune Benito est ainsi baigné dans un univers marxiste (à la différence de Staline ?) : son père Alessandro prénomme son fils en l’honneur de Benito Juarez, patriote mexicain célèbre et modèle pour cet homme proche de l’anarchisme. Chez les Mussolini, c’est Le Capital de Marx qui joue le rôle de Bible familiale.
Pétri de socialisme, le jeune Benito possède déjà une personnalité instable violente : à 10 ans, il est exclu du collège des salésiens [1] après avoir blessé un camarade au couteau. Dès l’âge de vingt ans, il se définit lui-même comme « socialiste à outrance » et trouve l’inspiration de ses premiers discours publics dans les souffrances de ses parents. Benito se sent l’égal des « déshérités » et trouve de l’espoir dans un renversement des classes sociales.
Jusqu’en 1914, il va continuer sa lutte marxiste et incarne une frange très à gauche voire révolutionnaire. Tout comme le jeune Staline, Benito connait de multiples arrestations et même la prison à plusieurs reprises [2]. En 1912, Mussolini mène une croisade contre les socialistes réformistes, qu’il juge trop tendres.
Déjà grand orateur, il est nommé à la direction du journal socialiste italien : l’Avanti! Benito y développe des positions extrêmes et prône une prise de pouvoir par le Parti (on peut dire que Lénine suivra cette voie en octobre 1917).
Un tournant autoritaire pendant la 1ère Guerre mondiale
Lorsque la guerre éclate en août 1914, l’Italie déclare sa neutralité à la surprise générale. Mussolini reste d’abord fidèle à la ligne du parti en prônant la non-intervention. Rappelons ici que nous avons déjà parlé de la trahison de l’Italie envers l’Allemagne en 1914.
Rapidement, Mussolini change son fusil d’épaule : il devient interventionniste et se fâche avec le parti socialiste italien (PSI) qui l’expulse en novembre 1914. À partir de cette date, Mussolini entame une virée à tribord toutes voiles dehors.
Dès le 15 novembre 1914, Mussolini marque sa nouvelle indépendance par la création de son propre quotidien : Il Popolo d’Italia. Son journal est toujours profondément social et cite en exemple Auguste Blanqui : « Qui a du fer a du pain ».
Il marque ainsi son attachement à la lutte armée. Cependant, le journal reçoit des financements venus de la bourgeoisie italienne et même de l’étranger : cet argent ne sera pas sans effet sur le discours de Benito… Petit à petit, il se métamorphose en défenseur d’une bourgeoisie qu’il haïssait quelques mois auparavant…
Lorsque l’Italie entre en guerre en mai 1915, Mussolini est envoyé sur le front alpin où il est blessé en février 1917. Comme Hitler, une bonne partie du respect du peuple lui vient de son statut d’ancien combattant.
À la fin de la guerre, il rompt définitivement avec le parti socialiste italien et se mêle aux violents courants de protestation populaire. Il entend désormais défendre les « combattants et les entrepreneurs » et effraie donc de moins en moins l’élite économique italienne.
Création des « chemises noires »
Mussolini va alors créer sa propre milice personnelle, les « faisceaux de combat ». Peu organisée au départ, la milice regroupe des nationalistes mais aussi d’anciens syndicalistes déçus : leur point commun sera la violence de leurs actions.
Ils vont ainsi jouer les fers de lance de la bourgeoisie et jouer les briseurs de grève : leur 1ère action a lieu à Milan en avril 1919 où les fascistes violentent les grévistes et incendient le siège du journal Avanti ! (ancien journal de Mussolini !).
Ainsi, entre 1919 et 1921, les « faisceaux de combat » mènent une lutte ultra-violente contre la gauche italienne et toutes ses organisations (comme le PSI).
Pendant cette même période, Mussolini participe à la vie politique italienne en présentant des listes fascistes aux élections. C’est d’abord un échec mais le 15 mai 1921, grâce à une alliance avec la droite italienne, il obtient 35 sièges à l’assemblée italienne et est lui-même élu député.
Pendant ce temps, ceux que l’on commence à surnommer les « chemises noires » sont de plus en plus nombreux : 17 000 adhérents en 1919 et près de 700 000 en 1922 ! Mussolini a bien compris et veut tout miser sur ce courant ascendant : en novembre 1921, il remplace sa vieille milice par un réel parti politique : le Parti National fasciste.
Finie la violence tous azimuts, un vrai programme de gouvernement est lancé : celui est résolument nationaliste et étatiste [3]. Ce programme va s’imposer en Italie, mais pas par les urnes…
Une « glorieuse » marche sur Rome
Paradoxe de l’Histoire, l’homme qui a renié le communisme et rejoint l’extrême-droite italienne va prendre le pouvoir quasiment comme Lénine en octobre 1917 : par un coup d’État. Tout va s’enchaîner le 24 octobre avec un grand congrès fasciste à Naples où près de 40 000 chemises appellent à marcher sur Rome.
À cette date, les fascistes contrôlent déjà plusieurs villes italiennes comme Milan, Gênes ou Trente : il ne reste plus qu’à couper la tête du gouvernement romain.
Près de 50 000 « chemises noires » sont réunies le 26 octobre et sont prêtes à marcher sur Rome : leur chef Mussolini ne va pas les guider. Celui-ci a peur que l’armée italienne intervienne et donc de finir entre quatre murs… Le 28 octobre 1923, la marche sur Rome a donc lieu alors que Mussolini est resté à Milan, tout proche de la Suisse où il espère s’enfuir en cas de problème. Même si les miliciens sont nombreux, ils ne pèseront pas très lourds si l’armée italienne est mobilisée contre eux…
Face au coup d’État fasciste, le gouvernement italien demande ainsi au roi Victor-Emmanuel III de décréter l’État d’urgence. Apeuré par une potentielle guerre civile, celui-ci refuse et Luigi Facta, chef du gouvernement, démissionne. Le 29 octobre, le roi offre à Mussolini la charge de former un nouveau gouvernement : cette date marque la réussite du coup d’État fasciste.
Morale de l’Histoire
Pourquoi Victor-Emmanuel III a-t-il abandonné son pays au fascisme ? Il serait idiot de blâmer seul ce roitelet italien. Dès 1919, Mussolini fait figure de bouclier contre la révolution communiste en Italie (malgré son passé) ; contre les rouges, les bourgeois italiens ont cru opter pour la stratégie du moindre mal… L’armée italienne est donc restée dans ses casernes et Mussolini a pu rejoindre Rome et devenir le chef de l’État. Pire, il servira de modèle à un petit caporal allemand en mal de reconnaissance…
Notes :
[1] Un collège fort catholique. Les salésiens forment une congrégation religieuse inspirée par Saint François de Sales, qui doit d’ailleurs son prénom à Saint François d’Assise.
[2] Mussolini fut emprisonné pour de nombreuses raisons et pas qu’en Italie ! En 1902, il est arrêté pour vagabondage à Lausanne puis est arrêté à Berlin en 1903. En 1908, il est de retour en Italie et se fait arrêter pour menace envers un dirigeant d’un syndicat patronal.
[3] Lorsqu’il prend le pouvoir, Mussolini mène une politique économique résolument libérale où l’État n’intervient quasiment pas. À partir de 1926, la dictature fasciste s’accentue et l’étatisme se met petit à petit en place avec la mise en place de corporations pilotées par le Grand Conseil Fasciste. Cependant, les fascistes n’iront jamais aussi loin que Staline ou Hitler dans le contrôle de l’économie.
Cher toi, article intéressant on peut aussi ajouter :
– le rôle des femmes dans la vie du Duce et de l'Italie en général
– la violence et la polarisation de la vie politique en Italie au XXe siècle ; avant et après les fascistes.
Penses-tu vraiment que Mussolini faisait partie des éléments violents de la société italienne ?
Il est arrêté pour vagabondage puis en tant que journaliste politique.
Cher lecteur, merci pour ton retour.
Inventeur du fascisme où la violence est reine, le Duce ne fut pas un enfant de chœur…
Tout jeune, il était violent à l'école et a poignardé un camarade. Plus vieux, il alterne ensuite entre gréviste et casseur de grève (des activités très peu pacifiques).
Je ne pense pas que l'on puisse donc le classer dans les "non-violents"
Petit extrait de son discours du 3 janvier 1925 :
"Lorsque deux éléments sont en lutte et lorsqu’ils sont irréductibles, la solution est dans l’emploi de la force. Il n’y a jamais eu d’autres solutions dans l’histoire et il n’y en aura jamais d’autres."
Concernant les femmes et la violence en Italie, si tu as des références à partager, je suis preneur !
A bientôt sur le blog.
Pour la violence de Mussolini je reste partagé,
en tant que leader réactionnaire il ne fait que répondre
à une violence sociétale et s'adapte à son environnement.
Sur ce point peut être faut-il plus chercher dans les visions de Mussolini père
ou bien encore dans le suicide des "dirigeants" italiens faisant de Mussolini leur ennemi.
Mussolini n'a pas d'ennemis.
Sans eux Mussolini aurait certainement juste coulé les jours paisibles
d'un enseignant dans une petite ville de province du Nord de l'Italie..
bonjour,
penses-tu que le covid créé les conditions
pour un nouveau Mussolini
l'histoire se repète-t-elle sous nos yeux ?
Un Benito en France pour bientôt ??