Récemment décédé, Jacques Le GOFF fut un pilier de l’Histoire médiévale ; ses écrits sur la fabrication des saints ont inspiré de nombreux lecteurs. Son grand recueil, Histoire médiévale – Héros du Moyen Âge, le Saint et le Roi, me guide à nouveau vers cet âge d’or de l’Occident – le XIIIème siècle – et son plus illustre représentant : un français ! Unique roi de France canonisé par l’Église, Louis IX dit « Saint Louis » porte sur ses épaules la grandeur de son époque qu’il personnifie par son immense piété et ses deux croisades. Avec lui, la royauté française a trouvé son modèle le plus lumineux… Voici pourquoi !
Louis IX et la politique de la piété
Tout comme François d’Assise – dont j’ai déjà étudié le cas dans cet article – le roi Louis a su plaire aux autorités pontificales. Dès sa mort à Tunis en 1270, ses ossements deviennent des reliques qui vont être disséminées dans tout l’Occident. Dès lors, sa vie se transforme en récit officiel. Louis IX est ainsi sans cesse mis en valeur dans les textes : l’image d’un homme parfait lui colle à la peau pour des siècles. Il est le roi qui a dompté son corps et son âme face aux péchés ; qui a mis le roi d’Angleterre à sa botte ; qui meurt en croisade pour accéder à la canonisation en 1297…
Derrière cette image de perfection apparente [1], la réalité de sa vie est plus complexe, si l’on remonte un peu dans le temps… Roi à 12 ans, le tout jeune Louis IX va vivre un début de règne sous forme de calvaire. Tout comme Louis XIV (roi à 5 ans), il essuie une révolte des grands nobles qui aurait pu lui coûter son trône. Bien que l’épisode de la Fronde (de 1648-1653) soit davantage connu du grand public, la difficile jeunesse de Saint Louis n’est que très peu soulignée. On préfère raconter ses exploits glorieux et montrer sa sainteté permanente. Pourtant, cette jeunesse royale a été un moment clé de son règne, qui préfigure sa gloire future.
L’intérêt sera donc d’analyser le début de règne compliqué du jeune Louis IX tout en insistant sur l’importance de sa mère, Blanche de Castille, dans les affaires du royaume. Cette dernière fut l’une des femmes les plus influentes de l’Histoire (n’ayons pas peur de le dire) car elle gouverne le royaume le plus puissant au XIIIème siècle, et ce pendant des décennies ! Enfin, ayant « survécu » aux premières menaces, Louis IX va parvenir à s’inspirer de ses deux modèles (le Christ et sa mère) pour devenir l’un des rois les plus puissants de l’histoire du Moyen Âge.
Chronologie rapide :
1214 : Naissance de Louis à Poissy
1226 : Mort de son père, Louis IX devient roi de France et sa mère régente
1227-1230 : Révolte contre le roi menée par le duc de Bretagne
1234 : Mariage de Louis IX avec Marguerite de Provence
1248-1253 : 1ère croisade de Louis IX
1253-1270 : Âge d’or du pouvoir royal de Louis IX
1270 : Mort de Louis IX à Tunis
1297 : Canonisation du nouveau « Saint Louis » sous le règne de Philippe le Bel
La mort du père Louis VIII le Lion en 1226
Louis VIII dit le Lion était encore en pleine force de l’âge lorsqu’il mourut subitement de la dysenterie à Montpensier. Sa participation à la croisade albigeoise, la seule guerre sainte menée en territoire chrétien (contre les cathares), est l’épisode le plus marquant de son court règne (3 ans). Sur son lit de mort, le 3 novembre, le roi gisant fait venir une vingtaine de hauts personnages (clercs et laïcs) pour leur faire promettre de soutenir son fils, Louis.
Lorsque Louis VIII meurt le 8 novembre 1226, personne ne conteste le couronnement du jeune Louis IX. Cependant, une question centrale va diviser : qui va gouverner le royaume pendant la minorité du roi, qui n’a que 12 ans ? Finalement, le royaume est confié sous le « bail et tutelle » de la reine-mère, Blanche de Castille. Les raisons de ce choix sont obscures [2] mais il institutionnalise la possibilité pour les veuves royales de devenir régentes – ce qui se reproduira dans le futur.
Effectué dans la hâte (en trois semaines seulement), le sacre de Louis IX peut apparaitre comme un témoignage d’une autorité royale naissante. Rien n’est moins sûr : la plupart des grands personnages du royaume sont absents (alors que les invitations furent nombreuses). Autre couac, l’absence de l’archevêque de Reims – alors que le sacre est effectuée dans sa cité – n’est pas bon signe. En réalité, celui-ci était décédé et son successeur encore non désigné (ce qui arrivait souvent à l’époque…).
1226-1234 : Le jeune Louis IX dans la tourmente…
Boudé par les grands nobles lors de son sacre, le jeune Louis va ensuite essuyer une véritable révolte de leur part ! En effet, une rébellion éclate après seulement six mois de règne ! Réunis à Corbeil lors de l’été 1227, de nombreux barons décident de s’emparer du roi pour le séparer de sa mère, jugée trop menaçante pour leurs intérêts (et de surcroit étrangère). Ils se donnent pour chefs Philippe Hurepel, comte de Boulogne et Pierre Mauclerc, duc de Bretagne. Blanche est sur la sellette et Louis à deux doigts de finir otage au château des ducs de Bretagne à Nantes…
Selon Joinville, le fidèle chroniqueur du roi, Louis doit son salut à la providence. Bloqué à Montlhéry par les troupes des mutins, le roi et sa mère réussissent à regagner Paris grâce au soutien de paysans en armes, qui les escortent en sécurité. Cette miraculeuse chevauchée va donner un sursis à la régente. Cependant, la révolte des barons perdure et le jeune roi, à peine âgé de 16 ans, doit prendre la tête d’une expédition militaire pour mater les barons rebelles aidés par le roi d’Angleterre. Grâce au 1er témoignage de soutien populaire à un roi de France de l’Histoire, Louis IX va pouvoir mener une longue campagne militaire pour vaincre les partisans du duc de Bretagne.
Lors de l’assemblée de Melun, en décembre 1230, tous les barons du royaume jurent fidélité au roi de France dont le pouvoir était enfin affirmé. Mieux, la 1ère ordonnance royale est promulguée dans la foulée : celle-ci fut valable pour l’intégralité du royaume et non plus le domaine royal seul, les terres appartenant en propre au roi. C’est le signe que le vent a tourné et Blanche de Castille va pouvoir gouverner jusqu’au mariage de Louis (1234) avec Marguerite de Provence. Ce dernier marque le début d’une nouvelle période où Louis va pouvoir progressivement imposer son pouvoir sur la France.
Blanche de Castille, clé de voûte du règne de Saint Louis
Née en 1188 en Castille, Blanche est la fille d’Alphonse VIII de Castille et d’Aliénor d’Angleterre. Sur ordre de sa grand-mère Aliénor d’Aquitaine [3], elle épouse le fils du grand roi Philippe-Auguste en mai 1200 : le futur Louis VIII de France. Son premier rôle sera celui de mère, douze enfants naissent de leur union, dont sept moururent avant l’âge adulte : Louis est son 4ème enfant. À cette époque, elle est déjà un soutien essentiel de son mari, surtout à partir de 1223, lorsqu’il grimpe sur le trône royal.
Le décès du roi Louis VIII (en 1226) afflige profondément sa veuve. C’est à cette période difficile que vont émerger toutes ses qualités : courage, persévérance, pugnacité… Très vite, elle se ressaisit et devient régente du royaume. Dans la foulée, son fils Louis est sacré à Reims. Comme nous l’avons vu, une majorité de barons se ligue contre elle. Même si la chance a joué son rôle, c’est, entre autres, à sa poigne de fer qu’elle doit son succès face aux rebelles.
La reine-mère a une très forte influence sur le jeune roi : elle l’entoure des meilleurs professeurs pour former le meilleur roi possible. Le résultat fut plutôt concluant… Lorsque la minorité de Louis s’arrête en 1235 (il a 21 ans), il s’impose petit à petit comme souverain unique mais il s’appuie sur les conseillers de sa mère pour gouverner. Ainsi, jusqu’à sa mort en 1252, la reine-mère Blanche de Castille accompagne le roi dans ses décisions, bien après la fin de sa minorité. Elle restera un soutien de poids jusqu’au départ redouté de Louis IX en croisade en 1248 : elle ne le reverra plus jamais…
Tombé malade en 1244 après une guerre gagnée contre le roi d’Angleterre, Louis est mal en point. Selon Joinville, « il fut à telle extrémité que l’une des dames qui le gardait voulait tirer le drap sur le visage, et disait qu’il était mort ». Finalement, le roi guérit « miraculeusement » et jure de se croiser pour remercier Dieu de ses bonnes grâces. Ainsi, Blanche de Castille assume de nouveau la régence du royaume pendant le long voyage de son fils entre 1248 et 1252 où elle meurt à Melun. Ce choix de Louis montre toute la confiance et la tranquillité qu’elle inspirait au roi. [4]
Le futur « Saint Louis » vers la légende
Avant sa 1ère croisade (1248), Louis IX montre déjà une grande piété. Proche des franciscains, il finance la construction de l’abbaye de Royaumont 1229. Lorsque le roi apprit la perte du saint clou en 1232, sainte relique de l’église Saint Denis, lui et sa mère eurent une « grande douleur » selon Guillaume de Nangis – moine de Saint-Denis et chroniqueur – Louis rajoutant même qu’il préférait voir « la meilleure cité de son royaume détruite et brulée » plutôt que perdre la relique. Paris a eu chaud…
L’édification de la Sainte-Chapelle (à partir de 1242) coule sa foi dans le marbre. Le roi Louis va y entreposer les saintes reliques achetées aux Byzantins en 1239. D’un roi pieux [5], Louis va franchir un cap avec son premier voyage vers l’Orient : la 7ème croisade (1248-1254). Malgré l’échec total de son entreprise, Louis IX revient auréolé par son long périple. Il n’était pas si courant que les rois acceptent d’aller en croisade (trop dangereux) et l’Eglise en fit un modèle.
De retour à Paris en septembre 1254, Louis IX va définitivement imposer son autorité à l’intérieur de son royaume. Les vassaux ne cherchent plus à ennuyer un roi prospère [6] et déjà considéré comme saint. Il va pouvoir mettre en place des réformes fondamentales de la royauté française, en imposant au royaume entier, ce qui avant était simplement valable pour le domaine royal : la « grande ordonnance » de décembre 1254 en est le symbole. Plus tard, à partir de 1262, Louis IX va imposer une monnaie unique à tous et crée un écu d’or, une rareté pour l’époque.
L’image d’un justicier royal s’est imposée à cette époque. La justice capétienne devient la clé de voûte du royaume où n’importe qui peut demander au roi de casser un jugement local. Mieux, la justice de Louis va briller jusqu’aux pays voisins [7]. Le 4 décembre 1259, le roi d’Angleterre Henri III prête hommage au roi de France : Louis IX est à l’apogée de son pouvoir et sa gloire est consacrée par son plus grand rival anglais. Même les Mongols, qui terrorisent le XIIIème siècle, voient en Louis le plus puissant des souverains d’Occident.
Une mort en pleine gloire
En 1267, Louis IX se croise à nouveau, son destin est définitivement lié à celui de l’empire musulman. Louis vogue vers Tunis ; cette destination a étonné les historiens car située à des milliers de kilomètres de la Terre sainte (peut-être un problème de carte !). Cette 8ème croisade sera la dernière de l’Histoire. Le 25 août 1270, le roi Louis succombe en « terre infidèle », victime de la dysenterie, coupé en plein élan évangélisateur. Cette mort en martyr de la chrétienté va élever Louis IX au niveau du Christ, ce qui lui permettrait de devenir « Saint Louis » un modèle parmi les rois.
Mort, le cadavre du saint roi va subir un étrange traitement : il est bouilli dans du vin pour séparer les os et les chairs. Les « parties molles » du corps seront enterrées en Sicile, sur les terres de Charles d’Anjou, frère du roi, pour des raisons de conservation… Les parties dures et précieuses – les os – vont faire la route jusqu’à la nécropole royale : Saint Denis, que Louis IX avait lui-même confirmée comme nécropole royale officielle des capétiens, en y faisant de grands travaux.
La canonisation de Saint Louis ne sera pas aussi rapide que celle de Saint François : il va falloir attendre 27 ans ! La cause principale est que la procédure de canonisation (une véritable enquête) est souvent mise en pause par la mort du souverain pontife… Ainsi, Louis IX est finalement canonisé en 1297 par le pape Boniface VIII. Cependant, ses restes vont subir un culte quasi-immédiat, bien avant la canonisation officielle. Son squelette va même subir un fractionnement – poussé à l’extrême – si bien que des bouts, parfois minuscules, du saint roi finiront éparpillés dans toute l’Europe chrétienne…
Conclusion : de Louis à Saint Louis
Bien que Saint Louis apparaisse aujourd’hui comme un saint au règne lumineux, le pouvoir du jeune Louis IX ne s’est pas imposé par miracle. Contesté pendant plusieurs années par ses propres vassaux, Louis a su compter sur les talents spectaculaires de sa mère Blanche, régente du royaume de France et soutien principal de son règne, jusqu’à la croisade d’Égypte en 1248.
Par la suite, Louis a progressivement construit son image de roi pieux à travers une attitude quotidienne toujours pieuse. Certains de ses biographes vont même jusqu’à en faire un roi-moine. Cependant, ce sont ses deux croisades et surtout sa mort en martyr sur une terre infidèle qui ont assuré un si haut statut à Saint Louis. Plus qu’un roi très chrétien, Louis IX a aussi su renforcer le pouvoir royal : son règne sera très bénéfique pour sa dynastie capétienne.
Il est intéressant de se demander jusqu’à quel point cette jeunesse difficile a influé sur le futur glorieux du roi Louis. Aurait-il été si pieux ? Aurait-il à ce point cherché à imposer son autorité partout dans le royaume ? Il parait évident que les guerres qu’il dut mener contre ses vassaux ont constitué un traumatisme chez le jeune roi. Par la suite, il fera tout pour que cela n’arrive plus jamais.
Premièrement, en s’assurant d’un respect de la part de tous, et cela bien au-delà des provinces françaises. Deuxièmement, en gardant comme objectif principal, la stabilité du royaume par la paix, en cherchant à tout prix à mettre en œuvre des solutions pacifiques. Enfin, Saint Louis n’aura lancé aucune guerre de conquête en terre chrétienne, même face aux rivaux anglais ou allemands (qui eux ne s’en étaient pas privés par le passé…). Cette politique d’apaisement a grandement contribué à la stabilité et à la prospérité de l’Occident chrétien dans son entier du XIIIème siècle [8]…
Notes :
[1] J. Le GOFF tente de s’approcher du vrai Saint-Louis en citant la biographie de Joinville (familier du roi) comme étant la plus proche de la vérité historique [1 note sur les défauts de Saint Louis]. Cependant, le saint roi y apparait sous un biais très positif et Joinville était en réelle admiration devant lui.
[2] Blanche de Castille a certainement reçu le soutien de grands ecclésiastiques comme l’archevêque de Sens. Celui-ci produisit un document datant de la mort du roi Louis VIII affirmant que le roi gisant sur son lit de mort aurait désigné sa femme Blanche pour régente du royaume. Les historiens se battent encore pour savoir si ce document était un faux…
[3] Comme Blanche de Castille, Aliénor d’Aquitaine est l’une des femmes les plus célèbres et puissantes de l’Occident chrétien. D’abord marié au roi de France Louis VII le Jeune, leur union fut annulée en 1152 ! Elle se remaria avec son ennemi juré, le roi d’Angleterre Henri II, qui devint le seigneur le plus puissant du royaume de France (possédant en fief la moitié du royaume !).
[4] Louis IX ne laisse pas sa mère gouverner seule pendant sa croisade : il l’entoure de ses conseillers dévoués. La tête d’affiche change mais la matière grise reste la même (voilà une pratique qui a su perdurer dans le temps, jusqu’à la Vème République…).
[5] La piété de Louis IX est telle que sa vie quotidienne ressemble à celle d’un moine. Il se lève même la nuit pour faire ses prières ! Bien qu’il soit présenté comme modèle de sainteté par l’Eglise, cette vie très austère ne devait pas être facile à vivre pour ses proches et surtout sa femme Marguerite…
[6] À noter que les caisses de l’État sont pleines lorsque Louis devint roi, grâce aux victoires de son grand père Philippe Auguste. Une bonne façon d’expliquer un tel succès…
[7] Lorsqu’Innocent IV déchoit son pire ennemi, l’empereur germain Frédéric II, de tous ses titres (empire et tous ses royaumes), Louis IX est vu comme un intermédiaire tout trouvé pour ramener Frédéric II à la raison (celui-ci conteste l’autorité papale). Malheureusement pour le pape, Louis IX est concentré sur la 1èrecroisade et préfère rester neutre !
[8] Pour aller plus loin, on peut voir que contrairement à l’idée que l’on se fait d’un souverain du Moyen Âge, Saint Louis n’a jamais mené de guerres d’expansion ! C’est particulièrement inouï car il a certainement l’une des armées les plus puissantes d’Europe.
Très bon article, sur une période décidément riche et grande pour notre histoire ! Ajoutons également au crédit de Saint Louis, la fondation de l'hôpital des Quinze-Vingt pour les pauvres aveugles de Paris, hôpital encore ouvert aujourd'hui !