« Stan Lee présente », hommage à Stan Lee
Stan Lee n’avait pas même besoin d’écrire un mot : quand j’étais gosse et que j’ouvrais un numéro de Strange déjà vieux, déniché dans des recoins de brocante, la formule « Stan Lee présente » était déjà magique et c’est par elle, pour un benêt comme moi qui n’aurais pas imaginé sauté une ligne d’une bande dessinée, c’est par elle que commençait vraiment l’histoire.
Les années 1990 elles aussi commençaient – les épisodes que je lisais avec exaltation dataient pour la plupart des années 1970, sans que j’en sache rien, d’ailleurs je m’en serais moqué pas mal.
Image extraite de Strange n°100, éditions Lug
Stan Lee n’écrivait déjà plus guère et travaillait à forger sa légende, avec un succès : « Stan Lee présente » impliquait je ne sais quelle influence mystérieuse sur l’existence et la qualité de la BD entre mes mains, indépendamment de ces autres héros qu’étaient à mes yeux le scénariste et le dessinateur.
Parfois tout de même les années 1960 m’invitaient à leur fête, grâce aux Strange Spécial Origines, dans lesquels Spider-Man, mon personnage favori, en prenait plein la gueule : il n’avait pas payé son loyer, sa copine lui en voulait d’être en retard à un rencart parce que ce couillon n’osait pas lui avouer qu’il était un super-héros et qu’il venait de se faire tabasser par le Docteur Octopus.
Parfois aussi le Surfer d’argent se lamentait au sujet de l’immensité inaccessible du cosmos, ou Iron Man s’efforçait de ne pas succomber à une crise cardiaque. Hulk échappait à des tirs de tanks d’un seul bond. Thor se faisait gronder par Odin son père. Les X-Men n’étaient que cinq, et les Quatre Fantastiques affrontaient un homme au masque de fer qui s’appelait Fatalis.
Dès cette époque j’ai appris des noms qui m’enchantaient, parce qu’ils sonnaient bien : John Romita Sr., Gerry Conway, Barry Windsor-Smith, John Buscema, Jack Kirby, Steve Ditko… ces trois derniers morts également. Des géants. J’ignorais totalement que Stan Lee s’était fâché plus d’une fois avec eux, pour des questions très sérieuses de droits d’auteur, de reconnaissance, d’équité. Ça m’aurait sans doute chamboulé. Je n’aurais pas compris.
Et le sachant aujourd’hui, l’essentiel reste que je lisais des bandes dessinées de super-héros (les termes comic book me sont venus plus tard) parce que je trouvais les géniales, au même titre qu’Astérix, Tintin ou Lucky Luke. Par les comics j’aidécouvert New York, les troubles de la guerre du Vietnam et de la guerre froide, les Black Panthers, le sida… C’était toujours « Stan Lee présente ».
Je suppose que d’aucuns diront que les super-héros ont envahi le cinéma, qu’ils sont assommants, que Stan Lee n’était plus qu’un caméo… Tant pis.
Il avait tout de même sa formule magique à lui, son dernier mot à la fin d’un magazine ou d’un courrier des lecteurs, en latin qui plus est : Excelsior : « plus haut », qu’il a tiré d’un poème de Longfellow et qui est, évidemment, la devise de l’État de New York. Les comics et la poésie, décidément !
Voilà qui ne paraîtra peut-être pas grand-chose, mais j’y entends encore l’écho à la formule d’un Cyrano, autre de mes grands héros un peu dérisoires, « Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » : eh oui, ne pas monter bien haut, mais viser tout de même la lune – excelsior, plus haut.
Ma reconnaissance est sans borne.