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« Everybody Knows Joe” (« Tout le monde connaît Joe ») est une nouvelle satirique de Cyril M. Kornbluth parue dans le numéro d’octobre-novembre 1953 du magazine Fantastic Universe. Kornbluth écrit cette nouvelle dans une période de grande productivité, et publie d’ailleurs la même année le roman The Space Merchants (connu en français sous le titre Planète à gogos), co-écrit avec Frederik Pohl, qui est une de ses œuvres les plus célèbres. Il s’agit d’une brève nouvelle, publiée dans un magazine de science-fiction sans vraiment relever du genre : à New York dans les années 1950, un certain Joe fait des recherches superficielles sur la biochimie avant d’aller retrouver sa copine. C’est alors que la musique…
Je propose une traduction de la nouvelle ci-dessous, suivie d’un bref commentaire et du texte anglais (États-Unis).

Ce jeudi-là, Joe passa une sacrée journée, et comme d’habitude je dus suivre. Si je pouvais, je donnerais mon bras droit pour un jour de congé de temps en temps. Comme ce jeudi. Ce jeudi-là, il se surpassa vraiment.
Il se réveilla dans sa chambre d’hôtel et prit une douche. Il n’avait pas l’intention de se raser, jusqu’à ce que je lui fasse remarquer qu’il ressemblait à un clochard. Il se rasa donc, puis resta une minute entière à admirer sa beauté dans le miroir, oubliant de qui était venue l’idée en premier lieu.
Bon, passons au bistrot pour le petit déjeuner. Un homme qui travaille dur a besoin d’un bon petit déjeuner. Aussi, se préparant à une journée éreintante qui consistait à recopier des références à la bibliothèque, il commanda un jus de tomate, deux œufs au plat, trois saucisses, un beignet au sucre et un café — avec de la crème et du sucre.
Il ne pourrait pas se débarrasser de son petit ventre en passant une semaine à creuser des fossés sous le soleil de juillet, mais un honnête travailleurs a besoin d’un bon petit déjeuner. J’étais trop dégouté pour me disputer avec lui à ce sujet. On ne peut rien espérer de lui, quand il sent l’odeur du casse-croûte, ce fumet de graisse fumante, de bacon frit et de café.
Il voulut prendre un taxi pour se rendre à la bibliothèque — à quelques rues de là !
« Marche, imbécile ! » lui ordonnai-je. Il se mit à marmonner quelque chose à propos des six cent balles qu’il allait se faire pour sa semaine de travail, puis dut penser que j’allais évoquer le petit-déjeuner riche en calories. De son point de vue, c’est un coup bas. Il se figure être un homme malchanceux et affligé — de dix kilos en trop. Il marcha, et parvint à la bibliothèque tout resplendissant de vertu.


Comme il remplissait son formulaire dans la salle consacrée à la presse, il écrivit mollement, à côté de société The Griffin Press, Inc. — alors qu’il savait aussi bien que moi qu’il n’était que pigiste et n’avait même pas reçu de tâche spécifique de la part de Griffin.
Il y a une ligne sur le formulaire où on écrit la raison pour consulter les dossiers (soyez précis s’il vous plaît). C’est dommage, après lui avoir posé une question du type sujet d’essai comme ça, de limiter le style de Joe à une ligne seulement. Il serra ses lettres, Préparation d’un article sur une année de biochimie pour l’encyc. Griffin Pr. annu. 1952, et d’un air épanoui tendit le formulaire au bibliothécaire.
Ce dernier, un gentil vieux monsieur, se montra poli, ce qui avec Joe est généralement une erreur. Une fois qu’il eut fini d’expliquer au bibliothécaire comment il fallait organiser son dossier de microfilms, comment on devrait passer du microfilm à la microcarte, et comment en dépit de tout la bibliothèque publique de New York n’était pas un si mauvais endroit pour faire des recherches, il se mit au travail.
Il est plutôt inoffensif quand il travaille — c’est une des choses qui m’empêche de lui couper la gorge. S’accordant une pause déjeuner constituée d’une tarte aux pommes et de café, il retranscrivit environ une centaine d’entrées sur ses cartes, faisant efficacement le tour de l’année en biochimie. Il descendit les marches de la bibliothèque, fier comme un paon, se sentant comme Herman Melville après avoir fini Moby Dick.
« Ne sois pas si prétentieux, lui dis-je. Il te reste à écrire l’article. Et il faut encore qu’ils l’achètent.
— Un détail, répondit-il avec hauteur. Rien que du journalisme. Je peux faire ça les yeux fermés. »
Rien que du journalisme. D’une façon ou d’une autre, les trois mois qu’il avait passé à imprimer des journaux pour l’Associated Press avant la guerre avaient fait de lui un Ed Leahy.
« Et quand comptes-tu t’y mettre, avec les yeux…? » dis-je d’abord, mais ça ne servait à rien. Il commença à m’expliquer comment Gautama Buddha n’avait pas rompu avec le monde avant d’avoir 29 ans, et comment Mahomet n’avait pas annoncé être prophète avant d’avoir 30 ans, alors pourquoi est-ce que lui ne pourrait pas brusquement, un de ces jours, ouvrir les bras pour une nouvelle révélation ou un truc du genre, et en boucher un coin monde entier ? En résumé, il n’envisageait pas d’écrire l’article ce soir-là.
Il reporta sa rupture avec le monde, assez longtemps pour acheter au distributeur un sandwich pain de seigle jambon fromage et davantage de café, puis il téléphona à Maggie. Elle était disponible, comme d’habitude. Elle répondit, comme d’habitude, « Ben oui, tu n’as qu’à passer, et on passera une soirée tranquille à écouter des disques ? »
Comme d’habitude il pensa que ce serait agréable, vu à quel point il était vanné après une rude journée. Et comme à l’accoutumée, je lui dis : « Tu es un parasite, Joe. Tu sais bien que tout ce qu’elle veut, c’est un mari, et tu sais bien que ce ne ne sera pas toi, alors pourquoi tu ne laisses pas cette pauvre fille pour qu’elle puisse trouver quelqu’un de sérieux ? »
Les réponses habituelles sortirent, machinales, et on mit ça de côté.
Maggie n’est peut-être pas très maline, mais elle avait l’air contente de le voir. Elle ambitionne un Doctorat en sociologie à l’université de N.Y., elle fait un travail d’assistante sociale à temps partiel pour la la ville, son appartement est un de ces trois pièces de Greenwich Village, avec leurs rideaux en toile de jute, leurs divans et leurs décorations suspendues. Elle croit qu’écrire est quelque chose de sacré, et Joe fait attention à ne pas la détromper.
Ils burent du vin rhénan et de l’eau gazeuse pendant que Joe racontait sa journée de travail comme s’il avait remporté le prix Nobel de biochimie. Il se montra carrément brutal au sujet de Maggie et du fait qu’elle se mêlait de sociologie, cette prétendue science, toute d’approximations et de pseudo statistiques, et elle fit de plates excuses, si bien qu’il finit par lui pardonner. Joe et son grand cœur.
Mais il n’était pas chaud bouillant au point de devoir se lancer dans une conversation sur le sujet du couple et du foyer — « pas cette année, mais peut-être la prochaine. Trente ans, c’est un point limite qui fait qu’on s’arrête pour réfléchir à ce qu’on veut vraiment, et comment profiter de la vie, Maggie chérie. » Ça revenait à lui dire qu’elle ferait mieux de se comporter en bonne fille, de continuer à lui ouvrir sa porte, et sans doute qu’un jour… sans doute.
Comme je disais, peut-être que Maggie n’est pas très maline. Mais comme je disais aussi, ce fut le jeudi où Joe décida de se surpasser.
« Joe, fit-elle avec un regard étrange, j’ai acheté un nouveau trente-trois tours de la Sérénade N°1 de Brahms. Il est en haut de la pile. Est-ce que tu pourrais me dire ce que tu en penses ? »
Il alluma la platine, et ils restèrent assis à siroter du vin rhénan et de l’eau pétillante, puis il retourna le disque et ils restèrent assis à siroter du vin rhénan et de l’eau pétillante jusqu’à ce les deux faces eussent fini de tourner. Et elle ne cessa pas de le regarder. Sans adoration.
« Alors, demanda-t-elle, le regard toujours étrange, qu’en as-tu pensé ? »
Il le lui dit, bien sûr. Il y eut un quelconque commentaire sur la forme architectonique de Brahms, et la résurrection par celui-ci du contrepoint. Parce qu’il avait jeté un œil furtif à la pochette du disque, il fut capable de passer deux minutes sur la dette de Brahms envers Haydn et au cinquième mouvement (allegro, D Major) du jeune Beethoven, ainsi qu’au gai rondo de la —
« Joe, fit-elle, sans le regarder. Joe, insista-t-elle, j’ai eu ce disque pour une remise d’enfer, en bas de la rue. Il y a une erreur de pressage. Pour une raison ou une autre sur la première face à la première moitié de la Sérénade, mais sur la la second moitié c’est l’opus treize des Études symphoniques de Schumann. Quelqu’un l’a remarqué quand ils l’ont passé dans une cabine. Mais je suppose que toi, tu n’as pas remarqué. »
« Tire-toi donc de ce mauvais pas, petit génie, » lui dis-je.
Il se leva et déclara d’une voix étranglée : « Dire que je pensais que tu étais mon amie. J’imagine que je n’apprendrai jamais. » Il s’en alla brusquement.
Oui, j’imagine qu’il n’apprendra jamais.
Que Dieu me vienne en aide, je devrais le savoir.

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Vue aérienne de la bibliothèque publique de New York, bâtiment principal, 5ème Avenue et 42ème Rue, Manhattan, New York City, New York, 1959. Photographie d’Angelo Rizzuto.

Notes et commentaire

C’est en bon New Yorkais que Kornbluth écrit cette nouvelle : il y est né, il y a vécu une partie de sa vie, il y est mort. On ne s’étonne donc pas de trouver dans son texte une référence à la New York Public Library, une des plus grandes du monde. Le lecteur du XXIème siècle habitué à internet peut se montrer un peu plus déstabilisé par l’évocation des formulaires à remplir et de ces bouleversements techniques que furent les microfilms et les microcartes ! Ce n’était pas de la science-fiction, mais on voit comment ces questions du progrès technologiques s’invitaient déjà dans le quotidien de l’époque.
Autre référence marquante : les trois pièces de Greenwich Village, quartier bohême par excellence de la culture américaine, où les loyers alors sont accessibles ! Au début des années 1950 ce n’est pas encore la grande période du rock, mais plutôt celle de la Beat Generation (Burroughs, Ginsberg, Kerouac) dont les grandes œuvres n’ont pas encore été publiées. Et donc Kornbluth donne plutôt une bonne image de la ville, qui permet à des étudiants (en tout cas Maggie) de se loger et de travailler dans le social en attendant le diplôme. Ajoutons au passage que Kornbluth fut quant à lui renvoyé du City College of New York, soit l’université publique, pour avoir mené une grève étudiante !
Les étudiants et amateurs de sociologie peuvent par ailleurs relever que les attaques et moqueries adressées à la discipline ne datent pas d’hier : Kornbluth la défend par l’intermédiaire de Maggie, dans une démarche qu’on pourrait presque qualifier de féministe, puisque son personnage féminin, outre sa gentillesse, son engagement dans le social et sa culture musicale classique valorisés (qu’on oublie pas encore une fois qu’Elvis Presley, par exemple, n’entame sa carrière qu’en 1954 !), si elle paraît d’abord se soumettre au mauvais comportement de Joe, finit par le prendre au piège. La sociologie triomphe des aspirants journalistes !

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Couverture de Fantastic Universe n°3, 1953, par Alex Shomburg.

Sur le sujet du journalisme, précisément, quelques références encore : il existe bien une Griffin Press, imprimerie active depuis 1858, mais il est difficile de dire s’il s’agit bien de celle que Kornbluth avait en tête pour sa nouvelle, ou si le nom qu’il donne était en fait fictif. Il fait en tout cas un clin d’œil à l’essor des encyclopédies annuelles, qui firent un temps les beaux jours de la vente par correspondance. Kornbluth mentionne plus clairement l’A.P., l’Associated Press, agence de presse mondiale et généraliste américaine dont le siège se trouve à New York. La prétention de Joe le fait comparer entre autres à Ed Leahy : il s’agit peut-être d’Edward L. Leahy, juge et sénateur démocrate américain mort en 1953, qui exerçait à Rhode Island, près de New York. La comparaison paraît tout de même délicate à saisir : faut-il y a voir une allusion à la fonction de juge, au prestige du sénateur ?
La mention de Melville est plus transparente, mais mis à part l’importance de Moby Dick, rappelons que Melville est en particulier un romancier new yorkais.
Dernier détail : en 1953, Kornbluth avait trente ans, d’où l’âge de Joe, cet « average Joe », qui selon l’expression américaine signifie « Monsieur Tout-le-Monde ». La nouvelle est donc la satire d’un pauvre mec de la classe moyenne américaine, aussi prétentieux intellectuellement que paresseux, qui se comporte en goujat avec ceux qui font preuve de gentillesse envers lui (le bibliothécaire, Maggie), reproduisant les travers des hommes à la virilité caricaturale. Et le narrateur de Kornbluth, beau joueur, admet qu’il peut se reconnaître lui aussi dans Joe, et qu’il ne vaut pas mieux que lui, et sans doute que le lecteur (masculin) non plus.
Mais où est donc la science-fiction ? La petite voix du narrateur qui juge Joe est-elle autre chose que celle de sa conscience, ou rien d’autre que la manifestation d’un jeu de mise en abîme ? On pourrait à la rigueur être intrigué par les allusions à la biochimie, au fait que Joe est traité de « parasite », qu’il y a les indices d’un dialogue entre Joe et la « voix », que bien sûr les disques ont deux faces et que l’une est parfois trompeuse… Dans Fantastic Universe, le chapeau de la nouvelle annonçait : « At least two persons live in each of us. / At least one of them is Joe », soit : « Au moins deux personnes vivent en chacun de nous. / Au moins l’une d’entre elles est Joe. »
De là à imaginer derrière tout ceci une variation sur le docteur Jekyll et M. Hyde ? ce serait tirer la satire par les cheveux…

Fantastic Universe 3 1953 C. M. Kornbluth short story
Sommaire de Fantastic Universe n°3, 1953.

Le magazine Fantastic Universe

Fantastic Universe est un magazine lancé dans les années 1950, en plein essor des revues professionnelles et des maisons d’édition consacrées à la science-fiction, alors que l’ancien modèle des pulps s’était effondré. Comme d’autres magazines du genre, il s’agit d’un digest, au format 14 cm x 21,6 cm, qui permet de contenir beaucoup de texte. Le premier numéro du magazine (bimensuel à ses débuts) sort pour juin-juillet 1953, pour le prix relativement élevé de 50 cents, par rapport à la concurrence, mais tout en proposant plus de pages (192 !) : on retrouve au sommaire les noms prestigieux d’Arthur C. Clarke, Philip K. Dick, Ray Bradbury !
De plus, le magazine bénéficie à ses débuts de l’expérience de Leo Marguiles, éditeur, et de Sam Merwin Jr., rédacteur, qui ont auparavant fait leurs armes avec le pulp Thrilling Wonder Stories. La maison d’édition de Marguiles, King-Size Publications, édite en parallèle le magazine à succès The Saint Detective Magazine, consacré aux nouvelles policières. Fantastic Universe bénéficie donc aussitôt d’une bonne distribution.
Quand Kornbluth publie sa nouvelle « Everybody Knows Joe », c’est donc dans un magazine qui se fait remarquer ! Mais les choses vont bouger sitôt après ce numéro : le rédacteur Sam Merwin Jr. renonce à son poste, la publication devient plus fréquente en 1954… et la qualité des nouvelles est considérée comme progressivement en baisse. Kornbluth avait choisi le bon moment…

Postérité

Malheureusement Kornbluth décède brusquement d’une crise cardiaque en 1958. La prestigieuse maison d’édition Doubleday publie peu de temps après, la même année une édition reliée d’une anthologie intitulée A Mile Beyond the Moon, qui rassemble des nouvelles de science-fiction de Kornbluth qu’il avait publiées dans divers magazines, « Everybody Knows Joe » étant la seule tirée de Fantastic Universe. Cette anthologie a été rééditée plusieurs fois, y compris en poche (Macfadden Books, à partir de 1962), y compris en allemand et en italien !
La nouvelle est également au sommaire de l’intégrale His Share of Glory: The Complete Short Science Fiction of C. M. Kornbluth, publiée en 1997 par The New England Science Fiction Association (NESFA), association anglaise de fans de science-fiction et de fantasy qui s’efforcent, entre autres, de préserver le souvenir d’œuvres négligées (on leur doit d’ailleurs The Rediscovery of Man de Cordwainer Smith !).

C. M. Kornbluth short story online
Hôtel près d’une voie ferrée, peinture d’Edward Hopper, New York, 1952, conservée à Hirshhorn Museum and Sculpture Garden.

Everybody knows Joe – C. M. Kornbluth

Joe had quite a day for himself Thursday and as usual I had to tag along. If I had a right arm to give I’d give it for a day off now and then. Like on Thursday. On Thursday he really outdid himself.
He woke up in the hotel room and had a shower. He wasn’t going to shave until I told him he looked like a bum. So he shaved and then he stood for a whole minute admiring his beauty in the mirror, forgetting whose idea it was in the first place.
So down to the coffee shop for breakfast. A hard-working man needs a good breakfast. So getting ready for a backbreaking day of copying references at the library, he had tomato juice, two fried eggs, three sausages, a sugared doughnut and coffee—with cream and sugar.
He couldn’t work that off his pot in a week of ditch-digging under a July sun, but a hard-working man needs a good breakfast. I was too disgusted to argue with him. He’s hopeless when he smells that short-order smell of smoking grease, frying bacon and coffee.
He wanted to take a taxi to the library—eight blocks!
« Walk, you jerk! » I told him. He started to mumble about pulling down six hundred bucks for this week’s work and then he must have thought I was going to mention the high-calorie breakfast. To him that’s hitting below the belt. He thinks he’s an unfortunate man with an affliction—about twenty pounds of it. He walked and arrived at the library glowing with virtue.


Making out his slip at the newspaper room he blandly put down next to firmThe Griffin Press, Inc.—when he knew as well as I did that he was a free lance and hadn’t even got a definite assignment from Griffin.
There’s a line on the slip where you put down reason for consulting files (please be specific). It’s a shame to cramp Joe’s style to just one line after you pitch him an essay-type question like that. He squeezed in, Preparation of article on year in biochemistry for Griffin Pr. Encyc. 1952 Yrbk., and handed it with a flourish to the librarian.
The librarian, a nice old man, was polite to him, which is usually a mistake with Joe. After he finished telling the librarian how his microfilm files ought to be organized and how they ought to switch from microfilm to microcard and how in spite of everything the New York Public Library wasn’t such a bad place to research, he got down to work.
He’s pretty harmless when he’s working—it’s one of the things that keeps me from cutting his throat. With a noon break for apple pie and coffee he transcribed about a hundred entries onto his cards, mopping up the year in biochemistry nicely. He swaggered down the library steps, feeling like Herman Melville after finishing Moby Dick.
« Don’t be so smug, » I told him. « You still have to write the piece. And they still have to buy it. »
« A detail, » he said grandly. « Just journalism. I can do it with my eyes shut. »
Just journalism. Somehow his three months of running copy for the A.P. before the war has made him an Ed Leahy.
« When are you going to do it with your eyes…? » I began but it wasn’t any use. He began telling me about how Gautama Buddha didn’t break with the world until he was 29 and Mohammed didn’t announce that he was a prophet until he was 30, so why couldn’t he one of these days suddenly bust loose with a new revelation or something and set the world on its ear? What it boiled down to was he didn’t think he’d write the article tonight.
He postponed his break with the world long enough to have a ham and cheese on rye and more coffee at an automat and then phoned Maggie. She was available as usual. She said as usual, « Well then, why don’t you just drop by and we’ll spend a quiet evening with some records? »
As usual he thought that would be fine since he was so beat after a hard day. As usual I told him, « You’re a louse, Joe. You know all she wants is a husband and you know it isn’t going to be you, so why don’t you let go of the girl so she can find somebody who means business? »
The usual answers rolled out automatically and we got that out of the way.
Maybe Maggie isn’t very bright but she seemed glad to see him. She’s shooting for her Doctorate in sociology at N.Y.U., she does part-time case work for the city, she has one of those three-room Greenwich Village apartments with dyed burlap drapes and studio couches and home-made mobiles. She thinks writing is something holy and Joe’s careful not to tell her different.
They drank some rhine wine and seltzer while Joe talked about the day’s work as though he’d won the Nobel prize for biochemistry. He got downright brutal about Maggie being mixed up in such an approximate unquantitative excuse for a science as sociology and she apologized humbly and eventually he forgave her. Big-hearted Joe.
But he wasn’t so fried that he had to start talking about a man wanting to settle down— »not this year but maybe next. Thirty’s a dividing point that makes you stop and wonder what you really want and what you’ve really got out of life, Maggie darlin’. » It was as good as telling her that she should be a good girl and continue to keep open house for him and maybe some day … maybe.
As I said, maybe Maggie isn’t very bright. But as I also said, Thursday was the day Joe picked to outdo himself.
« Joe, » she said with this look on her face, « I got a new LP of the Brahms Serenade Number One. It’s on top of the stack. Would you tell me what you think of it? »
So he put it on and they sat sipping rhine wine and seltzer and he turned it over and they sat sipping rhine wine and seltzer until both sides were played. And she kept watching him. Not adoringly.
« Well, » she asked with this new look, « what did you think of it? »
He told her, of course. There was some comment on Brahms’ architectonics and his resurrection of the contrapuntal style. Because he’d sneaked a look at the record’s envelope he was able to spend a couple of minutes on Brahms’ debt to Haydn and the young Beethoven in the fifth movement (allegro, D Major) and the gay rondo of the—
« Joe, » she said, not looking at him. « Joe, » she said, « I got that record at one hell of a discount down the street. It’s a wrong pressing. Somehow the first side is the first half of the Serenade but the second half is Schumann’s Symphonic Studies Opus Thirteen. Somebody noticed it when they played it in a booth. But I guess you didn’t notice it. »
« Get out of this one, braino, » I told him.
He got up and said in a strangled voice, « And I thought you were my friend. I suppose I’ll never learn. » He walked out.
I suppose he never will.
God help me, I ought to know.