« Walk on the Wild Side » est extrait de l’album Transformer (1972), dont chaque chanson chronique l’underground new-yorkais tel que Lou Reed l’a connu entre la fin des années 1960 et le début des années 1970. Les personnages dépeints sont des actrices transgenres et des acteurs gays gravitant dans le giron d’Andy Warhol, artiste multidisciplinaire et figure de proue du courant « Pop art », qui a lancé la carrière de Reed en produisant le premier album de son groupe, The Velvet Undergound.
Vous trouverez ci-dessous une traduction des paroles de la chanson, suivie de quelques pistes d’interprétation et un commentaire sur sa signification possible, puis le texte original !
Par Rodolphe Casso
Walk on the Wild Side – traduction en français
Fais un tour du côté obscur
Holly venait de Miami, en Floride
Elle a traversé les Etats-Unis en auto-stop
S’est épilé les sourcils en chemin
Rasé les jambes et ainsi il devint elle
Elle dit : « Hé, chéri, viens faire un tour du côté obscur »
Elle a dit : « Hé, mon chou, viens faire un tour du côté obscur »
Candy venait de Long Island
Dans l’arrière-salle, c’était la chérie de tout le monde
Mais elle ne perdait jamais la tête
Même quand elle taillait des pipes
Elle dit : « Hé, chéri, vient faire un tour du côté obscur »
Elle a dit : « Hé, mon chou, viens faire un tour du côté obscur »
Et les filles de couleur font :
« Dou, dou-dou, dou-dou, dou-dou-dou… (x4)
Douuu… »
Little Joe ne faisait jamais de cadeau
Tout le monde devait passer à la caisse
Une passe par ici et une passe par là
New York City est l’endroit
Où on dit : « Hé, chéri, vient faire un tour du côté obscur »
J’ai dit : « Hé, Joe, vient faire un tour du côté obscur »
La Fée Dragée a battu le pavé
Cherchant de la soul food et un endroit pour manger
Il est allé à l’Apollo
Tu aurais dû le voir se la donner
Ils ont dit : « Hé, mon chou, viens faire un tour du côté obscur »
J’ai dit : « Hé, chéri, viens faire un tour du côté obscur »
C’est ça
Ah !
Jackie est complètement speedée
Elle s’est prise pour James Dean toute une journée
Puis je suppose qu’elle s’est crashée
Le Valium a dû y contribuer
Ils ont dit : « Hé, mon chou, viens faire un tour du côté obscur »
J’ai dit : « Hé, chérie, viens faire un tour du côté obscur »
Et les filles de couleur font :
« Dou, dou-dou, dou-dou, dou-dou-dou… (x8)
Douuu… »
Commentaire
Dans le recueil Parole de la nuit sauvage (Between Thought and Expression de son titre original) qui compile tous les textes de Lou Reed de 1965 à 1990, le parolier revient dans une note de bas de page sur la genèse de la chanson : « Ils comptaient faire une adaptation en comédie musicale du roman de Nelson Algren, A Walk on the Wild Side. Quand le projet a été abandonné, j’ai récupéré ma chanson et changé les personnages du livre par des gens de la Factory de Warhol que je connaissais. Je n’aime pas le gâchis. »
Publié en France sous le nom de La rue chaude, le roman de Nelson Algren se déroule à La Nouvelle-Orléans dans les années 1930. Le héros, Dove, échoue dans un quartier pauvre et vicié jusqu’à l’os. Lou Reed a donc remplacé les personnages de losers, zonards, cinglés et poivrots d’Algren par ceux de la Factory. Un cirque contre un autre.
Warhol superstars
Les cinq couplets de « Walk on the Wild Side » font tour à tour le portrait de cinq comédien.nes / performer, surnommées à l’époque les « superstars » d’Andy Warhol. Icones du cinéma underground, ces personnalités compteront parmi les toutes premières célébrités de la culture queer. Le premier couplet décrit le personnage de Holly Woodlawn, actrice transgenre qui a notamment joué dans films et des pièces pour Andy Warhol, Paul Morrissey ou Jackie Curtis.
Cette dernière est justement la Jackie de l’ultime couplet, celle qui carbure au speed (Jackie est complètement speedée). Un jour, elle s’est réellement prise pour James Dean « toute une journée » suite à une trop grosse prise de drogue. Curtis s’est aussi essayée à la réalisation et à la poésie, avant de succomber à une overdose en 1985. En 2004, le documentaire Superstar in a Housedress, de Craig Highberger, a retracé sa vie et son parcours artistique.
Candy Darling, muse queer de l’époque, a joué dans des films réalisés ou produits par Warhol et s’est même vue proposer un rôle par Tennessee Williams dans la pièce Small Craft Warnings. Elle est un personnage important de l’univers de Lou Reed, qui lui avait déjà consacré une chanson entière, intitulée « Candy Says », sur le troisième album du Velvet Undergound. Cette bluette sublime et bouleversante démarre ainsi : « Candy dit : j’en suis arrivée à haïr mon corps / Et tout ce qu’il exige en ce monde ».
Dans le recueil Parole de la nuit sauvage, Reed précise dans une note de bas de page : « Candy était une drag queen. Elle mourra plus tard d’un cancer dû à des injections d’hormones. Son vrai nom était James Slattery. Elle était originaire de Long Island.
La Fée Dragée est un personnage de Casse-Noisette, qui s’intitule Sugar Plum Fairy dans la version anglaise du ballet de Tchaïkovski. C’est aussi le surnom du personnage de prostitué incarné par l’acteur Joe Campbell dans le film de Warhol, My Hustler. Or, dans Paroles de la nuit sauvage, Sugar Plum Fairy est étrangement traduit en « Baba le pédé ». Par ailleurs, le vers « Looking for soul food and a place to eat » est ainsi traduit : « Il cherche de quoi nourrir son âme et manger ». Gageons qu’il s’agit ici d’un contresens ; soul food ne désigne pas de la nourriture spirituelle mais un style de cuisine afro-américaine originaire des plantations du sud des États-Unis. Les spécialités les plus connues sont le fried chicken, le cornbread ou le mac and cheese. Nous avons d’ailleurs choisi de ne pas traduire le terme soul food, considérant que, non content d’être intraduisible, il est aujourd’hui entré dans le lexique culinaire français.
On peut imaginer que cette gastronomie est fréquemment servie dans les échoppes de street food de New York, et c’est sans doute ce que Lou Reed, conformément à la logique profondément naturaliste de la chanson, a voulu décrire dans son couplet : la Fée dragée cherchant un casse-dalle et un endroit où se poser pour le consommer, avant de se rendre à l’Apollo (« Il est allée à l’Apollo »), salle mythique de Harlem, où l’on peut raisonnablement supposer qu’il s’adonne à la prostitution. Le lecteur remarquera que Lou Reed genre Sugar Plum Fairy au masculin (« You should’ve seen him go, go go ») malgré son surnom féminin.
À noter par ailleurs que l’acteur Joe Campbell a partagé pendant 7 ans la vie de Harvey Milk, premier homme ouvertement gay à avoir été élu au Conseil des superviseurs de San Francisco.
Enfin, Little Joe est le surnom de Joe D’Allesandro, icône du cinéma underground et de la culture gay. Son couplet fait référence au personnage de jeune prostitué qu’il interprète dans le film Flesh, de Paul Morrissey. D’Allesandro est toujours en activité. Au fil des décennies, il a notamment joué pour Serge Gainsbourg (Je t’aime, moi non plus), Catherine Breillat (Tapage nocturne), Francis Ford Coppola (The Cotton Club), John Waters (Cry Baby), Steven Soderbergh (L’Anglais) ou encore Damien Chazelle (Babylon).
Précisons par ailleurs que lorsque Lou Reed mentionne les « filles de couleur » qui font : « Dou, dou-dou, dou-dou, dou-dou-dou… », il évoque les choristes noires fréquemment embauchées sur les disques de rock et de pop de l’époque (dont le sien). Le documentaire 20 Feet from Stardom, de Morgan Neville, rend hommage à ces « colored girls » et démontre combien la plupart de ces musiciennes ont été exploitées, parfois flouées, et jamais reconnues à la hauteur de leur talent.
Tube subversif
Pour finir, rappelons l’étonnant parcours de « Walk on the Wild Side », seul vrai tube de la carrière de Lou Reed, qui s’est classé à la 10e place des charts anglais, et à la 16e du Hot 100 Billboard aux USA. Pour une chanson parlant d’homosexualité, de transidentité, de prostitution, de fellation, de consommation de drogue, la chose était totalement inattendue.
Cependant, deux éléments viennent faire écran aux images subversives distillées dans le texte. Tout s’abord, la qualité musicale intrinsèque du morceau, sa ligne de basse soyeuse (probablement la plus célèbre de l’histoire du rock) et son atmosphère feutrée en contradiction avec les paroles sulfureuses. Ensuite, l’art du double sens habilement manié par Reed, qui analysera ainsi son tour de passe-passe : « C’est tourné avec soin de façon à ce que les hétéros puissent passer à côté des insinuations et apprécier les morceaux sans être offensés. »
Lou Reed, bisexuel assumé, qui a lui même entretenu des relations avec des personnes trans à l’époque, préfère banaliser la portée de sa chanson. En 1973, il déclarait : « L’idée selon laquelle tout le monde est bisexuel est très répandue de nos jours, mais je crois qu’elle ne vaut pas grand-chose. Je pourrais dire que si mon album aidait des gens à décider de ce qu’ils sont, alors j’aurais accompli quelque chose dans ma vie. Mais je ne pense pas du tout ça. Je ne crois pas qu’un disque puisse faire quoi que ce soit. On ne peut pas écouter un disque et dire : « Oh, ça m’a branché sur la vie gay, je vais devenir gay. » Beaucoup de gens auront une ou deux expériences, et ce sera tout. »
Walk on the Wild Side
Holly came from Miami, F-L-A
Hitch-hiked her way across the USA
Plucked her eyebrows along the way
Shaved her legs and then he was a she
She says, « Hey babe, take a walk on the wild side »
Said, « Hey honey, take a walk on the wild side »
Candy came from out on the Island
In the backroom, she was everybody’s darling
But she never lost her head
Even when she was giving head
She says, « Hey babe, take a walk on the wild side »
Said, « Hey babe, take a walk on the wild side »
And the colored girls go
Doo, do-doo, do-doo, do-do-doo
Doo, do-doo, do-doo, do-do-doo
Doo, do-doo, do-doo, do-do-doo
Doo
Little Joe never once gave it away
Everybody had to pay and pay
A hustle here and a hustle there
New York City is the place where they said
« Hey babe, take a walk on the wild side »
I said, « Hey Joe, take a walk on the wild side »
Sugar Plum Fairy came and hit the streets
Looking for soul food and a place to eat
Went to the Apollo
You should’ve seen him go, go, go
They said, « Hey sugar, take a walk on the wild side »
I said, « Hey babe, take a walk on the wild side »
Alright, huh
Jackie is just speeding away
Thought she was James Dean for a day
Then I guess she had to crash
Valium would’ve helped that bash
She said, « Hey, babe, take a walk on the wild side »
I said, « Hey, honey, take a walk on the wild side »
And the colored girls say
Doo, doo-doo, doo-doo, doo-doo-doo
Doo, doo-doo, doo-doo, doo-doo-doo
Doo, doo-doo, doo-doo, doo-doo-doo
Doo, doo-doo, doo-doo, doo-doo-doo
Doo, doo-doo, doo-doo, doo-doo-doo
Doo, doo-doo, doo-doo, doo-doo-doo
Doo, doo-doo, doo-doo, doo-doo-doo
Doo, doo-doo, doo-doo, doo-doo-doo
Doo, doo-doo, doo-doo, doo-doo-doo
Doo, doo-doo, doo-doo, doo-doo-doo
Doo, doo-doo, doo-doo, doo-doo-doo
Doo, doo-doo, doo-doo, doo-doo-doo
Doo